Entre Ankara et Riyad, un rapprochement à multiples visées – Courrier International

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« Recep Tayyip Erdogan s’est rendu en Arabie Saoudite deux semaines après que la justice turque a décidé d’enterrer le procès sur l’assassinat à Istanbul du journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi. Une ouverture sur Riyad motivée par des intérêts locaux, notamment économiques, et des enjeux géopolitiques, à savoir le renforcement du front sunnite anti-Iran » rapporte Courrier International du 29 avril 2022.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est arrivé le jeudi 28 avril en Arabie Saoudite pour une visite officielle de deux jours, lors de laquelle il a rencontré, pour la première fois depuis l’assassinat à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi, le roi Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud et le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) – soupçonné d’avoir commandité cet assassinat.

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Cette visite d’État consacre ainsi l’apaisement en cours entre Ankara et Riyad, qui entretenaient des relations très tendues ces dernières années, sur fond de divergences régionales, au sujet notamment de la Syrie, de la Libye mais aussi du soutien d’Ankara aux Frères musulmans, une confrérie bannie en Arabie Saoudite.

Le meurtre en 2018, dans le consulat saoudien d’Istanbul, du journaliste saoudien en exil Jamal Khashoggi avait été le point d’orgue de la tension entre les deux pays. L’ordre de son assassinat, imputé au prince héritier MBS et nié par les autorités saoudiennes, avait été documenté par les services de sécurité turcs, qui avaient notamment présenté un enregistrement audio de son exécution.

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“Ce meurtre et la tempête de réactions internationales qu’il a suscitée ont beaucoup nui au prince ben Salmane, à une époque où il se présentait comme un dirigeant soucieux de modernité et de démocratie”, rappelle le quotidien turc Evrensel.

Priorité à l’économie, à l’approche des élections

Au début d’avril, la justice turque a décidé de transférer le dossier du procès de l’assassinat du journaliste à la justice saoudienne, une démarche visant pour elle à se dessaisir d’un procès délicat et à ouvrir la voie à un rapprochement entre Ankara et Riyad.

“La Turquie aurait dû rester fidèle aux principes fondamentaux du droit et continuer résolument ce procès mais, malheureusement, les principes et la réalité font rarement bon ménage”, déplore Evrensel avant d’ajouter :

“La priorité pour la Turquie est l’économie, et surtout l’éventuel afflux d’investissements étrangers pour donner un nouveau souffle à l’économie avant l’élection [présidentielle, prévue en juin 2023 mais qui pourrait être anticipée].”

Du fait de l’embargo saoudien sur les produits turcs, les exportations d’Ankara vers le royaume ont chuté de 3,5 milliards de dollars en 2015 à 265 millions en 2021, indique Hürriyet.

Afin de sortir de son périlleux isolement diplomatique et économique au Moyen-Orient, la Turquie a récemment entrepris une série de démarches pour se réconcilier avec plusieurs pays, notamment Israël et les Émirats arabes unis, rappelle le journal turc, proche du pouvoir.

Par ailleurs, toujours selon Hürriyet, les relations entre Le Caire et Istanbul s’améliorent aussi rapidement :

“Les Égyptiens se plaignaient que la Turquie accueille des Frères musulmans et des médias d’opposition égyptiens, mais Ankara a fini par accepter de faire arrêter la diffusion de ces programmes et d’expulser certaines personnes recherchées par l’Égypte vers des pays tiers.”

Faire face à l’Iran

Sur le plan géopolitique, ce rapprochement vise aussi à renforcer l’alliance entre les pays sunnites du Moyen-Orient face à un Iran chiite de plus en plus influent et expansionniste, de surcroît dans un contexte de désengagement des États-Unis de la région.

“Le rapprochement turco-saoudien crée une potentielle coalition anti-iranienne bien plus forte, ou du moins un groupement régional qui se place en opposition à l’expansion sans limite de l’hégémonie iranienne au Moyen-Orient”, souligne Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute à Washington, cité par le journal libanais L’Orient-Le Jour.

Loin des analyses ou des éditos concernant cette visite, la presse saoudienne s’est contentée, de son côté, de se féliciter à travers ses unes de l’ouverture d’une “nouvelle page” pour les relations entre les deux pays, égrenant les étapes de la visite, y compris le dîner organisé jeudi soir par MBS en l’honneur de son hôte turc.

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Courrier International, 29 avril 2022

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