SERRA YILMAZ: « APRÈS PARIS ET ISTANBUL J’AI CHOISI FLORENCE ».

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Brillante comédienne turque, traductrice, féministe, Serra Yilmaz qui vit désormais à Florence s’est prêtée à un entretien pour LUNGARNO, le 30 mars 2021. L’Observatoire de la Turquie contemporaine présente la traduction de l’article:

« Nous l’avons connue et appréciée à travers les films de Ferzan Ozpetek, de « Harem Suare » à « Les fées ignorantes », de « La fenêtre opposée » à « Saturne contre », de « Une journée parfaite » à « Istanbul la rouge ». Mais nous, Florentins, avons également eu la chance de pouvoir la voir en direct, de près, grâce à la Compagnia Pupi e Fresedde qui, d’abord avec « L’Ultimo Harem », pendant plus de dix saisons consécutives, puis avec « La bastarda di Istanbul », l’a amenée sur la scène du Teatro di Rifredi. Depuis quelques années, Serra Yilmaz a fait de Florence sa deuxième maison.

Comment avez-vous vécu cette année d’enfermement d’un point de vue personnel et professionnel ? N’avez-vous pas pu vous produire au théâtre, avez-vous plutôt participé à des films ?

« D’un point de vue personnel, je m’en suis remise. Le premier moment a été celui du découragement et de l’inquiétude de ne pas pouvoir travailler. Lors d’un appel téléphonique, ma fille, qui vit en Australie, m’a dit : « Plus tu t’inquiètes, moins tu dors, moins tu dors, moins ton immunité sera forte, même si tu t’inquiètes, rien ne changera. Vas-y doucement. » C’était un conseil très sage, j’apprends beaucoup de ma fille. Je me suis dit qu’il fallait voir ce qui se passait. J’ai beaucoup de chance car j’habite dans un immeuble où nous nous connaissons tous et où nous nous retrouvons, en gardant nos distances, sur une grande terrasse et dans le jardin, et avec un ami, nous dînions toujours ensemble et tous les soirs nous regardions une série télévisée ou un film. Je n’ai pas travaillé, ma tournée de « Don Quichotte » avec Alessio Boni s’est arrêtée le 23 février. Et il ne recommencera pas avant janvier 2022. J’ai cependant eu deux collaborations avec le Teatro di Rifredi, « Occidente » avec Ciro Masella, une pièce de Remi De Vos, et un atelier sur un roman argentin que le directeur Angelo Savelli avait réduit. Des œuvres qui m’ont permis de garder le moral ».

Quelle est votre relation avec l’Italie et avec Florence en particulier ?

« J’ai grandi en étant bilingue avec le français. Quand j’avais onze ans, une famille avec un père originaire de Scarperia et une mère française est arrivée dans mon quartier avec beaucoup d’enfants. Je suis enfant unique et cette famille, venant de Strasbourg, si nombreuse, était fascinante pour moi. Je me suis immédiatement intégrée à elle et j’ai fini par parler plus ou moins l’italien pour l’avoir entendu longtemps, même si nous communiquions entre nous en français. Mes premiers voyages en Italie m’ontmenée à Florence et au Mugello et, pendant de nombreuses années, l’Italie a été pour moi synonyme de Florence et de la Toscane, pour lesquelles j’ai un amour particulier. Et quand il y a quatre ans j’ai décidé de vivre en Italie, je vivais déjà entre Istanbul et Paris, je me suis posée la question de savoir si je devais aller à Rome ou à Florence, et finalement j’ai choisi Florence qui est vraiment la ville où je me sens chez moi, et je suis très heureuse de mon choix ».

En quoi Florence vous rappelle-t-elle Istanbul et qu’est-ce qui vous manque tant dans la ville du Bosphore ?

« Il n’y a rien à Florence qui me rappelle Istanbul, Florence me rappelle plutôt Paris, par exemple la Piazza d’Azeglio. Ce qui me manque, c’est le Bosphore, car la présence de la mer est essentielle, même si Istanbul est une ville tellement gigantesque, avec près de vingt millions d’habitants et des banlieues à perte de vue, où l’on peut rencontrer des gens qui n’ont jamais vu la mer. Et aussi l’ouverture d’esprit des gens : les Florentins n’ont pas les règles d’hospitalité que nous avons, par exemple, je rencontre beaucoup de Florentins, mais je n’ai jamais été invité chez eux. Nous nous ouvrons plutôt la maison immédiatement et nous mangeons ensemble, c’est une autre mentalité.

Êtes-vous pour ou contre les vaccins et, plus précisément, allez-vous recevoir le vaccin anti-coronavirus ?

« Je suis pro-vaccins, et je le ferais aujourd’hui même si je pouvais en trouver un, la vaccination va trop lentement en Italie. En Turquie, mon tour était déjà arrivé, j’ai réfléchi à l’opportunité d’aller me faire vacciner à Istanbul, de rester là-bas pendant un mois, car il se passe tellement de choses entre la première et la deuxième dose. Mais il se serait agit du vaccin chinois qui n’est pas encore reconnu en Europe, j’ai donc décidé d’être patiente, mais je ne suis pas très optimiste, et nous ne nous en sortirons jamais si une campagne de vaccination intense n’est pas mise en place. »

Comment imaginez-vous l’avenir proche de notre théâtre ? Quelles répercussions pensez-vous qu’il y aura sur les théâtres et surtout pour les acteurs ?

« Le théâtre ira toujours de l’avant même si malheureusement je dois constater qu’en Italie il y a beaucoup d’indifférence à l’égard de l’art, ce qui est difficile à expliquer car l’Italie est le berceau de la culture. Cependant, c’est le résultat d’avoir réduit l’activité artistique au rang de simple « divertissement », -ce qui doit de toute façon exister, cela je ne le conteste pas-. Je ne comprends pas pourquoi les églises peuvent rester ouvertes, pourquoi les gens peuvent faire du shopping dans les grands magasins, pourquoi les restaurants sont ouverts et fermés, pourquoi les jeunes se rassemblent sur les places… mais le cinéma et le théâtre sont interdits, où il est très facile de se conformer aux règles, de prendre des températures, de porter des masques, de garder ses distances. Je ne pense pas que le théâtre puisse se faire en ligne. On peut faire des lectures, réciter de la poésie, mais une pièce entière jouée est une chose de totalement contraire et éloignée de sa nature, si transmise en ligne. La particularité du théâtre est de pouvoir sentir le souffle de chaque acteur et d’assister à un événement non répétable. Chaque soir il y aura une nouvelle performance et de nouveaux petits incidents qui le rendent unique. Je dois sentir le souffle du public et le public doit sentir le nôtre sur scène. »

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