Sümbül Kaya, Etienne Copeaux «Les martyrs ne meurent pas»

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Les obsèques des combattants, images de la Turquie en guerre

in. Raphaëlle Branche,  Nadine Picaudou,  Pierre Vermeren (dir) AUTOUR DES MORTS DE GUERRE Sorbonne éditions, 2014

La rébellion armée kurde du PKK, en Turquie, a débuté en 1984, et, dans les années 1990, elle n’était plus cantonnée à la région sud-est du pays1. En 1995, l’armée turque avait pénétré en Irak, et ces incursions, parfois massives, sont devenues habituelles. En 1996, la rébellion cherchait à desserrer l’étau imposé par l’armée en provoquant des affrontements vers la mer Noire et le Centre de l’Anatolie. La guerre, alors, n’était plus très loin d’Ankara. En février 1999, grâce à la capture d’Abdullah Öcalan (« Apo »), chef du PKK, les Turcs ont cru la rébellion terminée. Öcalan lui-même, de sa prison, avait appelé ses troupes à cesser le combat. Pourtant, la guerre n’a jamais vraiment cessé et, en 2007, une contre-offensive de la guérilla kurde de Turquie (PKK/CONGRA-GEL) a provoqué une résurgence du conflit et de la violence dans cette région, provoquant une nouvelle fois l’intervention de l’armée turque au nord de l’Irak. Aussi, les autorités turques continuent-elles de justifier la présence permanente de l’armée dans les montagnes du Sud-Est, et ce, même en période de cessez-le-feu, par la nécessité de lutter contre le « terrorisme ».

Malgré l’alternance des gouvernements qui se sont succédé de 1984 à 2007, la politique de l’État n’a pas varié dans son approche de la question kurde. De ce seul point de vue, et malgré les crises et les changements politiques, l’État turc apparaît comme remarquablement stable depuis le début de la république2. Cet immobilisme se reflète dans la sémiologie politique, dans les rituels et dans ce que nous appelons le « langage des obsèques3 ». Un « consensus obligatoire » est exigé des citoyens par l’État turc4. Le comportement des familles de soldats tués ainsi que le rituel des obsèques doivent absolument s’insérer dans ce consensus, car la guerre dans le Sud-Est est l’une des « questions nationales » (millî dava) dont la sacralisation permet de faire l’économie du débat. Inversement, le langage des obsèques, très diffusé par les médias puis, plus récemment, par les individus eux-mêmes, contribue à conforter le consensus. Le tout est propre à alimenter un « régime sécuritaire » ou « régime de sécurité nationale »dans lequel le pouvoir de l’armée est prévalent5.

Un pays en guerre

La guerre a fait irruption dans la vie de tous les Turcs, même lorsqu’ils vivent loin des lieux d’affrontements, ne serait-ce que parce qu’elle a propulsé l’Anatolie profonde sur le devant de la scène et poussé la population du Sud-Est à Istanbul et dans les autres grandes villes. Des milliers de villages ont été vidés de leur population, souvent bombardés ou brûlés ; une autre partie de la population a migré « volontairement », par crainte de la violence, de représailles, ou simplement parce que la guerre avait rendu l’élevage et l’agriculture impossibles. Depuis un quart de siècle, tout citoyen turc peut voir, dans son journal ou à la télévision, des images d’hommes en armes, des reportages sur les milices, il peut entendre chaque jour des déclarations belliqueuses. Mais la vraie guerre fait irruption sur ce « bruit de fond », souvent plusieurs fois par semaine. En effet, ce conflit a ponctionné des jeunes de tout le pays. Il a renvoyé des cercueils. Les jours d’obsèques, loin du champ des affrontements, la guerre s’installe au cœur des métropoles, dans les bourgades tranquilles, sous la forme du deuil et de la colère.

En Turquie, les appelés tués au cours des opérations sont considérés comme « martyrs » (şehit). Ce terme est un titre attribué officiellement de par la loi de lutte contre le terrorisme6, mais la notion a d’abord un sens religieux. En l’occurrence, les différences idéologiques entre les kémalistes, qui revendiquent la laïcité de l’État turc, et les islamistes s’estompent paradoxalement pour s’accorder sur le statut exceptionnel conféré au martyr7. C’est donc toute la population (y compris les « laïcs ») qui accorde un respect religieux ou quasi religieux aux martyrs. Pour les croyants, « les martyrs ne meurent pas », ils sont vivants au paradis. Cette conviction s’appuie sur un verset de la sourate Al-Ahram du Coran et, dans les milieux religieux, il est d’ailleurs courant de nommer les forces armées turques par l’expression le « foyer du Prophète » (Peygamber ocafiı). Les soldats tués lors des opérations sont considérés comme ayant opéré au sein du foyer du Prophète et sur le chemin de Dieu. La croyance en l’immortalité du martyr s’applique aux soldats tués lors des opérations dans le Sud-Est. Elle facilite certainement l’acceptation du deuil par les proches.

Les appelés envoyés dans le Sud-Est ont entre dix-neuf et vingt-deux ans, et sont recrutés majoritairement parmi les classes populaires. N’étant pas des professionnels de la guerre et du combat, ils sont formés pendant leurs classes qui durent deux ou trois mois seulement, puis intégrés pendant douze mois au sein de l’institution militaire, où les dispositifs et les formations militaires tentent de les aguerrir et de les acclimater à leur nouvel environnement. Certains d’entre eux sont intégrés dans les « commandos » (Komando), troupes d’élite qui constituent le gros des forces envoyées en opérations terrestres dans le Sud-Est. Leur service militaire est donc très particulier, car ils participent pleinement à la guerre et sont confrontés à la violence des combats et à la mort.

Le retour du combattant, vivant ou mort, est un événement qui rythme la vie quotidienne des Turcs : retour du fils ou du frère, du camarade, du voisin… Toutes les villes, toutes les régions, toutes les couches sociales sont concernées, et depuis vingt-cinq ans la guerre se manifeste régulièrement dans la société turque tout entière8.

La mort légitimée

La conception actuelle de la nation turque dépend fortement du contexte dans lequel elle a été créée. L’historiographie nationale n’a pas cessé d’exalter la force et la fierté de ce peuple, mises à mal par la défaite de 1918. Mustafa Kemal, qui a réussi en 1919 à lever une nouvelle armée, à créer un pouvoir politique antagoniste à celui du sultan et à repousser l’armée d’occupation grecque, reste considéré comme le libérateur et le père fondateur de la Turquie contemporaine.

L’historiographie nationale, depuis les années 1930, a produit un discours de justification destiné à redonner confiance et fierté aux Turcs, à corriger leur image d’eux-mêmes, à prouver la continuité et la grandeur de leur culture, et à établir l’ancienneté et la légitimité de leur présence en Anatolie9. L’attachement au sol anatolien y est exprimé par la glorification du sacrifice, l’évocation fréquente de la menace ennemie, l’appel à la cohésion et à la concorde (birlik ve beraberlik). La patrie à défendre, dont les frontières,« tracées avec le sang des Turcs », étaient nouvelles en 1923, est « notre sainte Anatolie » (kutsal Anadolumuz), une terre « imprégnée du sang des martyrs qui a donné sa couleur à notre drapeau ». Ces valeurs, enseignées depuis le plus jeune âge à l’école, puis lors du service militaire, sont également répétées ad nauseam par les médias lors des quatre fêtes nationales, lors des commémorations patriotiques de toutes sortes et lors des obsèques des martyrs.

Dans cette optique, le martyr et le vétéran de guerre sont des héros (kahraman) ; ils représentent des figures particulièrement valorisées car ils sont considérés comme ayant rendu son honneur à la nation turque. Le recours à des icônes dont les référents sont nationaux, religieux et « anti-impérialistes » fait consensus depuis l’extrême droite jusqu’à une partie de la gauche, en passant par les islamistes modérés. Ces valeurs étant indexées à la personne sacralisée d’Atatürk et au kémalisme, les opposants à la guerre doivent se positionner en dehors de celui-ci, en dehors du consensus obligatoire – ce qui signifiait pour ainsi dire, au cours des années 1990 au moins, en dehors de la société.

Les commémorations, en Turquie, forment la structure d’un véritable calendrier liturgique. Les quatre fêtes nationales chômées renvoient à la geste kémalienne de 1919-1922 ; le 10 novembre, jour anniversaire de la mort d’Atatürk, non chômé, est également l’occasion de mises en scènes propres à réactiver l’amour du citoyen pour son sauveur10. Lors de ces cinq occasions, la population scolaire, l’armée, de nombreux fonctionnaires sont mobilisés. Cérémonies protocolaires, défilés, démonstrations dans les stades occupent l’espace public, et plusieurs pages des quotidiens dont les « unes » sont souvent de véritables posters. Les indexations historiques de ces journées, mais aussi l’omniprésence de l’armée, entretiennent la culture patriotique et militaire, le souvenir d’une période héroïque idéalisée. Toutefois, les « martyrs » de cette époque ne sont évoqués qu’en tant que collectivité indistincte « dont le sang imprègne le sol de la patrie ». Hors Mustafa Kemal, il n’y a pas vraiment de héros.

Les références au passé, dans ce domaine du patriotisme guerrier, forment un ensemble à multiples strates, superposant des temps de valeurs différentes. Le cycle des fêtes nationales remémore le début du régime. Mais d’autres commémorations plus ou moins solennelles, plus ou moins officielles, renvoient aussi à l’époque lointaine de la conquête de l’Anatolie (xisiècle) et à la prise de Constantinople (xve siècle). Enfin, par sa durée (un quart de siècle désormais), la guerre contre le séparatisme kurde a créé une nouvelle strate temporelle assez longue pour qu’elle ait imprimé sa marque sur la vie sociale et politique, notamment par la répétitivité des cérémonies d’obsèques. En somme, le « martyr » contemporain se voit placé dans le cadre d’une continuité absolue depuis l’arrivée des Turcs en Anatolie, de sorte que sa mort est légitimée par l’histoire autant que par le patriotisme et par la religion11.

C’est sans doute la durée du conflit qui a fait ressentir aux autorités la nécessité de nouvelles cérémonies commémoratives ; elles ont été mises en place par la loi du 27 juin 2002 et, comme les autres, elles s’imposent aux pouvoirs centraux et locaux. Les institutions et administrations sont tenues d’y intégrer la participation des associations et de la population. Le 18 mars a été institué journée d’hommage aux martyrs, et le 19 septembre est voué aux vétérans. Une nouvelle fois, ces dates indexent le présent aux événements sacralisés du début du siècle et au « sauveur » des Turcs, puisque le 18 mars(1915) est l’anniversaire de la destruction des navires des Alliés par les Turcs durant la bataille des Dardanelles (dont Mustafa Kemal est présenté comme le vainqueur) ; et le 19 septembre (1921) commémore l’attribution du titre de Gazi à Mustafa Kemal par l’Assemblée nationale12. Ainsi, le 19 septembre 2008, de nombreux ministres et le président de la République ont prononcé des discours similaires pour rendre hommage aux vétérans, où ils font également référence aux martyrs. Le général İlker Başbuğ, chef d’état-major de l’armée turque, déclarait en cette occasion :

Grâce à votre sacrifice et à votre héroïsme, le combat qui a été initié en faveur de la protection et de l’indépendance du pays, de l’indivisibilité de la nation turque, de l’unité nationale et de la possibilité de vivre ensemble ne s’effacera jamais de nos mémoires, et les forces armées turques n’oublieront jamais leur devoir de fidélité.
Si aujourd’hui la nation turque vit libre et indépendante dans l’unité, ensemble nous le devons à nos saints martyrs et à nos héros, les vétérans. Bénédiction, en premier lieu à notre sublime leader Mustafa Kemal ATATÜRK et à ses compagnons d’armes, à nos saints martyrs et nos héros les vétérans. Il est nécessaire de commémorer avec gratitude l’action des vétérans en vie, mes respects aux chères familles et à la nation entière13.

Si le discours du général fait allusion aux anciens combattants du passé, ses références à l’« indivisibilité du territoire », à l’« unité de la nation » et à la « possibilité de vivre ensemble » font sens également dans les représentations collectives du conflit du Sud-Est.

Le discours du président de la République, Abdullah Gül, prononcé le même jour, fait à la fois référence au passé, en intégrant les anciens combattants de la guerre d’indépendance, et au présent, en soulignant la participation des forces armées turques dans la lutte contre le « terrorisme » :

Pour toute la nation turque, ce qui place la patrie au-dessus de tout est le culte des martyrs et le respect aux vétérans. C’est à eux que nous devons d’avoir hérité de cette patrie paradisiaque. […] Nos forces de sécurité sont aujourd’hui impliquées dans un combat contre le terrorisme. Les vétérans héroïques de ce combat, en sacrifiant tout ce qu’ils ont pour le pays, sont le plus bel exemple de l’amour patriotique14.

Une telle association entre les conflits passés et le conflit actuel peut affecter et émouvoir la population, et réactiver ainsi le patriotisme et l’union autour des valeurs consensuelles. La dimension émotionnelle des obsèques de martyrs ne fait que renforcer l’affect qui est présent (ou tout au moins souhaité) dans la relation entre l’individu et l’État. La sacralisation des martyrs et l’héroïsation des vétérans du conflit du Sud-Est, en mobilisant les références à la guerre d’indépendance qui est à l’origine de la formation de l’État turc, participent au brouillage des frontières entre le passé et le présent. La construction sociale de la guerre est ainsi à l’œuvre et renforce le sentiment d’appartenance nationale.

La législation concernant les cérémonies commémoratives s’impose aussi aux pouvoirs publics locaux. Leur proximité avec la population est un moyen pour faciliter l’adhésion au conflit, pour réactiver les pensées-réflexes patriotiques et la reconnaissance de la légitimité du pouvoir central quant à ses interventions dans le Sud-Est. Ainsi, dès le lendemain de la journée commémorative des martyrs du 18 mars 2009, la préfecture de Kayseri, département souvent présenté comme le bastion des islamistes modérés15, a mis en ligne sur son site Web une série de photos mettant en scène les différentes étapes de la journée, qui procèdent d’un rituel immuable : dépôt de couronnes de fleurs (çelenk) dans le cimetière des martyrs, minute de silence (saygı duruşu), hymne national, levée des couleurs. Après le discours, le préfet, le commandant de la garnison, le commandant de la gendarmerie du district, le maire et les autres officiels ont signé le « livre des martyrs » ; ils se sont entretenus un par un avec les familles et ont présenté leurs condoléances (başsafilıfiı) et réaffirmé leur disponibilité pour épauler les familles de martyrs dans les différents problèmes qu’elles pourraient rencontrer. Après avoir déposé sur les tombes les œillets rituels, ils se sont rendus auprès d’une association d’orphelins et de veuves de guerre16. Sur le site web de la préfecture de Kayseri, un emplacement est réservé aux martyrs « donnés à la nation » par le département et à des photos des cérémonies commémoratives.

Les commémorations ne sont pas limitées aux journées commémoratives officielles : dans différents départements de la Turquie, les familles des martyrs sont invitées à d’autres occasions, notamment religieuses. Les rencontres entre les familles des martyrs et les notables locaux sont alors fortement médiatisées, ce qui permet d’en diffuser images et discours à l’ensemble des habitants du département.

Lorsque les membres des unités de commandos décèdent pendant leur service militaire, leur dépouille est renvoyée sur leur lieu de résidence, ce qui suscite une dynamique très locale qui facilite la prise de conscience, par la population, du tribut versé à la nation ; chaque ville tient le compte de ses martyrs, et chacun peut en concevoir fierté ou révolte. Mais c’est ainsi que le conflit du Sud-Est est rendu visible et qu’il s’exporte dans les départements. Les pouvoirs publics locaux interviennent alors dans la gestion des effets de la guerre sur les soldats blessés ou décédés.

Certaines municipalités contrôlées par le Parti de la justice et du développement (AKP) agissent plus concrètement en faveur des familles des martyrs. Un exemple très frappant est l’offre de parcelles de terrain en faveur de quatre-vingts familles, par décision du conseil municipal de Melikgazi (département de Kayseri) du 2 novembre 200917. Dans le même registre, le maire de Kayseri, Mehmet Özhaseki, a annoncé à la presse qu’il financerait chaque année le pèlerinage à La Mecque de l’un des membres d’une famille de martyr. Plus banalement, des décisions du conseil municipal de Kayseri datées du 14 décembre 2007 prévoient de donner le nom de certains martyrs à des rues, boulevards ou avenues, comme la rue du Martyr Murat Aksofian, et plus généralement de nommer une rue du nouveau quartier de la démocratie « rue des Martyrs18 ».

Le langage des obsèques

Dans les sociétés européennes, le culte du soldat mort est au cœur du « mythe de la guerre », c’est-à-dire, selon George L. Mosse, au cœur du processus de transformation de la réalité de la guerre en un « événement doté d’un sens sacré », qui permettrait de transcender l’« horreur du conflit et simultanément de nourrir l’utopie nationaliste19 ». Ce culte participerait également à une banalisation de la violence et de la guerre. Mosse qualifie l’ensemble de « brutalisation des sociétés européennes », entendue comme une pénétration de la guerre dans la vie politique et dans la vie quotidienne des individus au lendemain de la Première Guerre mondiale, en raison de l’acceptation de la guerre et de l’état d’esprit qui en découle. Dans notre contexte, ce culte du soldat mort permet-il aussi une banalisation de la violence et de la guerre, une brutalisation de la société ?

Cela pose le problème de la visibilité de la violence dans une société et de sa signification. Alors qu’en France la représentation de la violence dans les médias est un tabou, elle est en Turquie un phénomène courant. Par exemple, les photos dévoilant des cadavres ou des blessés baignant dans leur sang sont courantes dans les journaux populaires. Certes, on ne peut en déduire que la société turque est plus violente que la société française. Mais sur un fond de violence sociale, illustrée notamment par les assassinats ordonnés par les « tribunaux familiaux » (aile meclisi)20, la violence politique est banale. Parmi les événements fondateurs de la Turquie moderne figurent l’extermination des Arméniens et l’expulsion de masse (pudiquement qualifiée d’« échange ») de 1923. Le pays a été en situation de guerre ou d’insurrection longuement et fréquemment depuis la fin du xixe siècle. Il a subi trois coups d’État militaires en vingt ans ; le premier (1960) s’est conclu par la pendaison de trois dirigeants ; le plus récent (1980) a mis fin par une répression impitoyable à une décennie d’assassinats politiques et d’attentats ; dans le Sud-Est, cette répression a été-t-elle qu’elle n’est peut-être pas étrangère à la naissance de la rébellion kurde en 1984. Des massacres d’Alévis ont été perpétrés en 1978 et 1993. L’assassinat politique, l’exécution extrajudiciaire sont des pratiques communes. Enfin, l’usage de la torture et des mauvais traitements est systématique.

La représentation de la guerre dans les médias s’inscrit dans ce contexte. La presse ne rechigne pas à représenter les cadavres « amis », comme ceux de trois instituteurs assassinés par le PKK (selon la version officielle), dans le but de révulser le lecteur et de justifier les « opérations ». Mais la presse(c’est-à-dire probablement le service de presse de l’armée) présente encore plus volontiers les cadavres « ennemis », réifiés et traités comme des trophées parmi d’autres21 ; cela peut aller jusqu’à la représentation d’actes abjects, comme les quatre cadavres de combattants kurdes sur lesquels la population a été invitée – ou peut-être contrainte – à venir cracher22. Mais surtout, la guerre et ses péripéties annexes alimentent un important phénomène de remémoration : les anniversaires des coups d’État, des attentats politiques, des exécutions emplissent des pages entières et alimentent des rubriques ; tandis qu’à l’inverse chaque événement violent ramène au premier plan l’ombre des années 1970 ou la vague répressive de 1980-1982. Aussi, au moins jusqu’à la fin des années 1990, la gouvernance du pays a reposé en partie sur la peur de la violence qui avait atteint un tel degré qu’en 1997 la simple menace de l’emploi de la force armée avait suffi pour imposer le retrait du gouvernement en place.

Tous ces faits, historiques ou quotidiens, illustrent un mouvement dialectique : la violence sociale et la violence politique peuvent se nourrir réciproquement et ainsi renforcer la « brutalisation », en même temps qu’elles engendrent au contraire une lassitude et une peur de la brutalité.

De plus, la prise en charge par diverses institutions étatiques du soldat mort semble aussi participer à l’acceptation de la violence par la société. Les Mehmetçik (« petits Mehmet », nom affectueux donné aux soldats) décédés ou blessés durant leur service sont pris en charge par différentes institutions, ce qui entraîne au sein de la société turque une glorification de leurs figures respectives. La prise en charge économique par l’État de la famille du martyr et du vétéran crée un lien de dépendance entre la famille et les forces armées turques, qui favorise sans doute une allégeance à ces dernières. L’article 61 de la Constitution stipule que l’État a l’obligation de protéger et d’assurer de bonnes conditions de vie à la famille du martyr – qu’il soit mort à la guerre, mort pour l’État ou mort dans l’exercice de ses fonctions – ainsi qu’aux vétérans. La loi de lutte contre le terrorisme définit les droits des vétérans et des familles de martyrs. La fondation Mehmetçik créée, dès avant le début de la guerre, le 17 mai 198223 par les forces armées turques, régit l’aide économique et sociale apportée aux familles des appelés (par exemple aide éducative, assurances sociales, soins médicaux), qu’ils soient martyrs ou vétérans. Elle distribue aux soldats et aux familles des pensions d’invalidité ou de décès, sous forme d’une allocation payée en une fois et d’une pension mensuelle ; enfin, elle gère les dons.

Le culte voué aux martyrs et aux vétérans est la contrepartie de cette prise en charge matérielle et financière, car le mort n’appartient plus à la famille, mais à la nation. Le culte doit réactiver des représentations homogènes de l’ennemi, de l’identité nationale et de la nation, toutes conformes à l’idéologie kémaliste. Sa fonction est de rendre acceptable une guerre que la population, dans un premier mouvement tout naturel, pourrait avoir tendance à considérer comme scandaleuse (parce que ses jeunes meurent au combat).

Comme les cérémonies commémoratives, les rites funéraires sont très codifiés par les forces armées turques. L’ordonnancement institutionnel de ces funérailles tend à éviter les débordements (nous verrons plus loin qu’il s’en produit tout de même) et vise à exalter la gloire et à masquer la guerre.

La description d’une cérémonie funéraire observée à Kayseri en août 2007 nous permettra de souligner qu’il s’agit d’un moment où le sentiment d’appartenance nationale est renforcé, grâce à l’émotion et à la mise en scène. Le corps du martyr est déposé sous un camélia dans les jardins de la grande mosquée. Peu à peu, une foule de personnes se rassemble autour du cercueil entouré par des soldats. Tous attendent la fin de la prière qui est diffusée par les haut-parleurs à l’extérieur de la mosquée. À la fin de la cérémonie religieuse, le corps du martyr est transporté de la mosquée au cimetière. Des personnalités locales, le maire, le préfet, le commandant de la garnison de Kayseri et les parents du défunt, se rassemblent devant le cercueil. Un cortège se met en place à la fin de la prière. Une cinquantaine de soldats marchant au pas ouvrent le cortège, puis viennent, dans l’ordre, la fanfare militaire, les soldats qui portent les couronnes de fleurs, l’affût de canon chargé du cercueil, les parents et les officiers supérieurs, et, à la fin du cortège, la foule des citoyens qui portent le drapeau turc et ceux qui défilent simplement. Les funérailles du martyr regroupent sur un même lieu des symboles religieux et militaires censés être antagonistes au sein de la société turque.

Les proches peuvent opter pour des funérailles à la caserne d’affectation du soldat, suivies d’un transfert du corps par les forces armées turques jusqu’à la mosquée de son domicile. Dans tous les cas, les martyrs ont droit à des funérailles militaires et religieuses. Le soldat est inhumé dans un cimetière réservé aux martyrs (şehitlik) qui, à Kayseri, est situé au centre-ville dans une zone militaire. Les tombes des victimes du conflit kurde, très proches du poste de garde, sont disposées selon un ordre chronologique.

Les dates de décès portées sur les tombes révèlent les périodes les plus tendues de l’histoire récente ; si les premières tombes datent de la guerre d’indépendance, les nombreuses stèles des années 1993, 1997 et 2007 signalent les époques des plus durs affrontements. Au cimetière, le rituel diffère sensiblement de celui qui concerne les citoyens ordinaires. Dans ce dernier cas, le cercueil est enveloppé dans un poêle de couleur verte, couleur de l’islam ; dans le cas d’un martyr, il est enveloppé dans le drapeau national, que le plus haut gradé présent remet ensuite à sa femme ou au plus grand de ses enfants, sinon à ses parents, à ses frères et sœurs. Un officier supérieur remet une médaille à l’un des proches du défunt.

Les funérailles du martyr rassemblent non seulement les proches endeuillés mais aussi un nombre important de badauds qui assistent à cette mise en scène où véhicules militaires et soldats en uniforme investissent la mosquée du centre-ville. La diffusion par les médias locaux et nationaux de certaines images stéréotypées, où le haut gradé en uniforme baise les mains d’une vieille paysanne voilée, vise à émouvoir la société tout entière. Des soldats distribuent à l’ensemble de la foule la photo du martyr et des épingles, et tous se l’accrochent sur le cœur. La foule, très émue et bientôt en colère, qui suit le corps du martyr de la mosquée au cimetière, vocifère des slogans contre le PKK : « Maudit soit le PKK ! », ou des slogans religieux : « Allah est le plus grand ! », ou encore : « La patrie ne se divise pas et les martyrs ne meurent pas ! », « Le plus grand soldat est notre soldat ! ». Il s’agit d’une mobilisation spontanée où nous pouvons ressentir l’hésitation des manifestants quant au slogan à crier mais aussi l’expression non contenue de leurs émotions, même si l’ordonnancement institutionnel de l’événement par les forces armées les canalise.

Les cérémonies funéraires sont abondamment relayées par les médias, presse écrite, télévision puis vidéos diffusées sur Internet ; dans tous les cas il s’agit de représentations soigneusement mises en scène24. Par rapport à la guerre elle-même et à ses violences, par rapport à la politique des gouvernements, celle de l’État turc et du Conseil de sécurité nationale, les obsèques de soldats, et plus encore leurs comptes rendus dans la presse sont de bien petites choses. Il s’agit là de « phénomènes de surface » qui reflètent en réalité des tendances profondes de la vie politique et sociale. Ces phénomènes sont souvent stables, parfois plus que les phénomènes politiques proprement dits, et c’est ce qui produit cette impression de similitude entre les deux décennies sur lesquelles portent nos observations. Mais de nouveaux types de représentations pourront peut-être surgir grâce aux réseaux sociaux d’Internet.

Lorsqu’une mort est ressentie comme injuste, l’inhumation est souvent le lieu et le moment de la protestation, qui peut être d’autant plus véhémente que l’émotion, publique ce jour-là, est à son comble et qu’elle est relayée par la presse. La mort injuste révolte l’assistance, et la révolte permet de surmonter le chagrin. La « démonstration » est faite d’actes ou de paroles spontanés ou prémédités, et les médias renforcent le caractère démonstratif en composant l’événement par le choix du titre de l’article, de la photographie qui l’illustre et de sa légende, de la mise en pages, ou du commentaire télévisuel.

Les destructions de villages et la misère du Sud-Est ayant poussé la population kurde dans toutes les régions de Turquie, partout sont à craindre des incidents, des contre-manifestations, des provocations ou même des attentats. La présence policière lors des obsèques de Mehmetçik donne la mesure de cette crainte, fondée ou non. Mais, en raison de la forte présence militaire et policière, l’émotion de l’assistance ne peut se tourner que contre le PKK, et non contre l’État qui pourrait être également considéré comme responsable du décès. En juillet 1996, après un affrontement qui avait provoqué la mort de seize soldats près de Hakkari, l’émotion avait été à son comble dans toute la Turquie. Le président Demirel en personne assistait aux obsèques de quatre d’entre eux à Istanbul, et la foule, nombreuse, fut particulièrement véhémente, invectivant les journalistes « qui accordent plus d’importance aux morts de prisonniers qu’aux martyrs », et conspuant des personnalités pacifistes comme l’écrivain Yaşar Kemal ou le chanteur Zülfü Livaneli25. À Adana, lors d’une cérémonie militaire donnée en l’honneur d’un caporal tué près de Van, les proches s’insurgeaient contre les militants des droits de l’homme : « Qu’ils viennent, ces pseudo-intellectuels qui prennent la défense des terroristes ! Nous voulons les voir marcher devant le cercueil d’un martyr, avec son portrait dans leurs mains26 ! »

Il arrive que la colère se tourne aussi contre l’État. Le surgissement du thème dans l’ultranationaliste Türkiye révèle que la colère antigouvernementale ne provient pas seulement de la gauche : on peut estimer aussi que l’État n’en fait pas assez. Fin août 1996, Türkiye s’est fait l’écho de la colère d’un père qui dresse vers le ciel ses deux index (signe distinctif des islamistes) en maudissant les défenseurs des droits de l’homme mais aussi les dirigeants politiques « qui soufflent sur les braises ». L’homme n’est ni antimilitariste ni partisan de la rébellion, bien au contraire : « Laissez-moi faire et je vous rapporte moi-même leur tête ! » L’officier supérieur qui se tient aux côtés du père tente alors de le calmer d’un geste ferme ; son visage est marqué non par la compassion mais par une moue réprobatrice. Aussitôt, dit le texte, la police est intervenue pour « contraindre la foule, qui partageait son chagrin et sa colère, à se calmer27 ». Le journaliste ne précise pas les moyens employés.

Même si la censure, l’autocensure et la réserve imposée par le sujet et parle respect aux familles engendrent une certaine uniformité dans les comptes rendus des grands quotidiens, des nuances sont observables. Les journaux de droite se font bien plus volontiers l’écho des débordements nationalistes, des slogans anti-PKK. La gauche, en l’occurrence, s’en tient à la version minimale, factuelle, du compte rendu, à son aspect protocolaire ; les grands quotidiens centristes (SabahMilliyetHürriyet) remplissent leur fonction en choisissant le fait, l’attitude, la parole les plus propres à susciter l’émotion.

Soucieuse de favoriser les processus d’identification conduisant à un renforcement des solidarités, la presse aime souligner le courage du père (« il n’a pas versé une seule larme »), ou au contraire la douleur et les larmes de la mère et des femmes – chaque sexe dans son rôle. Leur chagrin est souvent dépeint par une expression convenue, difficilement traduisible, « boire le sirop du martyre » (şehadet şerbeti içmek). L’un des stéréotypes photographiques est la représentation des proches, surtout des femmes, étreignant le cercueil (et le drapeau) de tout leur corps, la bouche tordue par les cris, les pleurs et la colère. Les pères, souvent, défient le PKK en offrant à la patrie leurs autres fils : « Il me reste trois fils, je les sacrifierai aussi ! » « S’ils en veulent d’autres, je les leur envoie. J’irai moi-même s’il le faut28 ! » Les officiels sont à l’écoute de ces manifestations d’émotion et de colère, et les journalistes photographient volontiers des officiers supérieurs ou des préfets manifestant leur compassion à l’égard de ces gens simples. Ainsi, le deuil du martyr est censé réunir toutes les classes sociales en abolissant hiérarchies et différences : il n’y a plus ici que des Turcs.

Mais, si le déroulement des obsèques, tel qu’il est rapporté plus haut, est ordonnancé et stéréotypé, la presse signale des comportements atypiques. C’est d’ailleurs le seul moyen de renouveler le « sujet ». Il peut s’agir simplement du renversement des rôles entre hommes et femmes : un père bouleversé par l’émotion qui étreint en sanglotant le cercueil du fils ; ou au contraire une épouse qui, au passage du cercueil, se raidit et fait un salut militaire à son défunt mari ; ou encore cette mère, une simple paysanne, qui se faufile entre les soldats portant le cercueil, pour prendre sa part de la charge29.

Un comportement très atypique a eu un fort retentissement en avril 1996 : pour prendre en charge le corps de son fils à l’hôpital militaire d’Adana, un père s’est fait accompagner de joueurs de davul et zurna, tambour et clarinette emblématiques des fêtes, telles que mariages, circoncisions… ou départ au service militaire ; selon la presse, il s’explique en pleurant : « Mon fils est parti à l’armée accompagné par le davul et la zurna. Il est tombé martyr pour la patrie, il n’est donc pas mort : il est juste que le davul et la zurna soient présents aux obsèques. » La licéité religieuse de son acte a même été discutée dans la presse : « C’est un comportement licite, a estimé le chroniqueur Ayhan Songar dans Türkiye, puisque le martyr n’est pas mort… et c’est de toute façon mieux que la Marche funèbre de Chopin ou la musique de Beethoven, ces ennemis de l’islam30 ! »

Paroles et comportements atypiques sont photographiés et publiés pour leur valeur émotionnelle ; les articles précisent toujours : « Il (elle) a fait pleurer l’assistance », et le journal espère à son tour faire pleurer le lecteur. C’est pourquoi l’une des images préférées des rédactions est le baiser au portrait du disparu, toujours exposé sur le cercueil pendant la cérémonie. Le dernier baiser est encore plus émouvant s’il s’agit de celui d’un enfant : « Dernier baiser à son papa », « Scène à faire pleurer », tels sont les sous-titres qui accompagnent les photos d’enfants, parfois de nourrissons ainsi instrumentalisés31. Souvent aussi, les enfants – même parfois des petites filles – sont revêtus de treillis militaires et marchent devant le cercueil, munis du portrait de leur père, provoquant des « torrents de larmes32 ». La manipulation théâtrale des enfants est quelquefois explicite : lors des obsèques d’un martyr à Antalya, la fillette du défunt, cinq ans, a été revêtue d’un treillis. Admise au même rang que les officiers supérieurs, c’est à elle qu’on a remis la médaille ; puis, au micro, elle a elle-même chanté un chant patriotique et a formulé ses condoléances à la nation (Vatan safiolsun). « Lors de cette scène, les familles et les officiers présents n’ont pas pu retenir leurs larmes33. » Cette forme d’événement atypique aurait tendance, d’ailleurs, à devenir habituelle, tant est grande son efficacité.

Les obsèques instrumentalisées

Il est normal que l’État et les organisations ultranationalistes préfèrent les manifestations bien cadrées ; elles revêtent en temps de guerre un caractère bien particulier, car le deuil peut devenir un instrument politique à double tranchant.

Dans le cas des obsèques de martyrs, les rituels et les paroles sont semblables dans toute la Turquie, mais aussi d’une décennie à l’autre. Les comportements individuels atypiques ne font que détourner légèrement les codes, et les comportements collectifs (protestation, manifestation) utilisent pleinement les codes de ces cérémonies de deuil pour un usage politique. En raison de la confusion qui règne autour du symbolisme du drapeau, des obsèques de martyrs peuvent ressembler à une manifestation, même sans intention des participants. Depuis les années 1990, l’emblème national est largement utilisé de façon polémique, comme signe politique34. Le pouvoir kémaliste a tendance à rejeter ceux qui n’acceptent pas le contenu du consensus obligatoire hors de la communauté nationale ; aussi, le drapeau brandi dans une manifestation d’opposants signifie : « Nous faisons partie de la nation, vous devez donc nous écouter. » En outre, le drapeau agit comme talisman protecteur, car on imagine mal des policiers frappant des personnes qui portent l’emblème sacré. Entre autres cas, un tel usage du drapeau était devenu systématique chez les islamistes à partir de mai 1997. Aussi, la présence d’une foule autour d’un drapeau (comme celui qui ceint le cercueil d’un martyr) a de facto une valeur d’expression politique.

La composition des photographies d’obsèques parues dans la presse facilite la confluence de deux ordres symboliques : sur les images, le cercueil est signalé par le drapeau et forme un long quadrilatère rouge qui souvent barre toute la largeur du champ photographié. L’image est plus saisissante encore lorsqu’il y a plusieurs cercueils ; la couleur rouge alors domine, elle devient couleur de deuil, mais aussi, peut-être, la couleur d’une protestation – contre le PKK ou contre la guerre ; inversement, la photo d’obsèques de martyr est si fréquente, à certaines périodes, dans la presse, que le drapeau en devient signal d’événement tragique.

Le second élément qui apparaît forcément lors de telles obsèques est le portrait du défunt. On a vu qu’il joue un rôle central dans le rituel. Or le portrait, comme le drapeau, est aussi l’objet d’une confluence symbolique. Ainsi, à propos des disparus, victimes de brutalités policières, d’enlèvements et d’exécutions extrajudiciaires : la présentation du portrait est devenue une forme de protestation en soi quand s’est institué le sit-in hebdomadaire des mères de disparus (les « mères du samedi », cumartesi anneleri), devant le lycée de Galatasaray à Istanbul, qui, en brandissant des portraits de disparus, dénoncent ces disparitions. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, dans ce cas, l’utilisation du portrait résulte d’une contamination du rituel de deuil. De1995 à 1999, ces femmes se sont installées en silence avec le portrait de leur fils jusqu’à ce que la police les déloge, souvent très brutalement. L’événement hebdomadaire était devenu un stéréotype d’image de presse, évidemment connoté à gauche. Implicitement, la manifestation était une forme d’opposition au régime militaro-policier et à la guerre ; elle était insupportable au pouvoir, quelle que soit la coalition en place.

Pour contrer cette initiative bien relayée par les médias, les milieux d’extrême droite ont organisé au cours de l’été 1996 une manifestation hebdomadaire de « mères du vendredi » (cuma anneleri), au cimetière de la porte d’Edirne (Istanbul) où se trouve un grand carré de martyrs. Selon la presse nationaliste, la protestation des mères de soldats tués n’était pas tournée contre la guerre mais, explicitement, contre les « mères du samedi » et les intellectuels censés encourager les « terroristes ». Gürbüz Azak, rédacteur de Türkiye, écrivait à l’adresse des mères de soldats : « Vous êtes aussi héroïques que vos fils ! Vous n’êtes pas comme ces mères du samedi qui vont à Beyofilu aux heures les plus fréquentées pour poser devant les photographes35 ! »

Au cours de l’hiver 1998-1999, les deux objets de révérence, drapeau et portrait, fortement chargés d’affect personnel et collectif, ont été utilisés en icônes sacrées dans les manifestations contre le PKK. En effet, en novembre 1998, Abdullah Öcalan, traqué par les services turcs, a été accueilli par l’Italie qui a refusé de l’extrader en Turquie, provoquant la fureur des autorités et des nationalistes turcs. Puis, en février 1999, Öcalan a été finalement enlevé au Kenya par un commando turc et livré à la justice turque.

En novembre, on a vu se multiplier les manifestations anti-italiennes. Les organisateurs des manifestations mettaient en avant les mères de soldats tués, abondamment photographiées par la presse, avec les portraits des fils, sur fond de drapeau. Puis, de février à mai 1999, lors de la capture d’Öcalan puis de sa comparution devant la Cour de sûreté de l’État, le même type de mobilisation recommençait, exigeant la peine capitale pour le prisonnier ; tel un signe de ralliement anti-PKK, le drapeau était accompagné d’autres symboles de la nation, comme l’hymne national ou un discours d’Atatürk.

Utilisé par le cérémonial des obsèques et par la presse pour porter l’émotion à son comble, l’enfant faisait également son apparition dans l’attirail symbolique des manifestations : ainsi Milliyet publiait en une l’image de deux jeunes femmes policières, en service lors de la manifestation de Mudanya ; l’une avait pris dans ses bras « le plus jeune des manifestants », un enfant de dix-huit mois, fils de martyr, que l’autre embrassait délicatement36. Pour fabriquer de tels événements, leurs organisateurs et la presse ont procédé à l’extraction de deux objets du rituel de deuil national : le portrait et le drapeau, auquel s’ajoutait parfois l’enfant victime, pour les transplanter en un rituel de protestation et de vengeance. Ainsi l’élément national reste-t-il indissociable de l’élément personnel : le martyr est fondu dans la nation, mais sa dimension individuelle, absente, est préservée par la présence du portrait ; c’est la source de l’émotion, elle-même ressort de l’efficacité politique.

Il semble alors que le processus observé aille bien dans le sens d’un renforcement du mode de pensée sécuritaire. Pour les mouvements d’extrême droite, les manifestations de mères de martyrs sont une occasion de diffuser leur propre sémiologie et leur vision du conflit. Ils bénéficient de deux circonstances favorables. En premier lieu, ils ne rencontrent pratiquement pas d’obstacles, car ils ne prônent pas autre chose que les valeurs de l’État, et l’État ne peut désavouer ceux qui prennent au mot son propre discours ; même lorsqu’ils recourent à la violence, ces activistes restent presque toujours impunis, la police et les autorités sont bienveillantes, et les opposants de gauche savent ce qu’ils risqueraient à les contrarier. Ensuite, la guerre contre la rébellion kurde est un élément du consensus obligatoire ; c’est une « cause nationale » (millî dava) qu’il est ipso facto très difficile de remettre en question sans encourir l’accusation de traîtrise, puisque les manifestations d’opposition à la guerre tombent sous le chef d’accusation de « propagande séparatiste ».

Par leur présence et leur activité lors des obsèques, et par ces manifestations en forme de pseudo-obsèques, en encourageant le désir de vengeance et la poursuite de la guerre, les mouvements d’extrême droite participent à la diffusion de la pensée sécuritaire.

Enfin, il faut mentionner un autre type d’instrumentalisation des obsèques de martyrs. Au plus fort de la guerre dans le Sud-Est, en 1996-1997, se déroulait sur la scène politique un affrontement impitoyable entre le parti islamiste d’alors, le Refah, et les laïcistes kémalistes. À l’issue d’un processus apparenté à un coup d’État militaire, le gouvernement de Necmettin Erbakan avait dû démissionner en juin 1997. Mais espérant détourner une partie des musulmans fervents du vote Refah, l’état-major turc a jugé bon de prouver que l’armée n’était pas contre la religion, comme l’en accusaient les islamistes. C’est pourquoi on vit souvent, sur les clichés pris lors des obsèques de martyrs, des officiers généraux, voire l’état-major tout entier, priant près du cercueil, en une attitude ostensiblement pieuse et musulmane, en contradiction formelle avec le principe de laïcité dont l’armée se disait la gardienne37.

L’habitude a été prise en 1997. Le cérémonial habituel s’en trouve, pour un temps au moins, très modifié dans son esprit : alors que, dans le protocole proprement dit, la ferveur religieuse du général s’ajoute aux rituels proprement militaires et républicains (minute de silence, salut, envoi des couleurs, hymne national, marche funèbre), sur les images de presse, elle les remplace. En fait, les obsèques de certains martyrs fonctionnent comme une tribune où l’armée se met en scène et d’où elle envoie elle-même des signes politiques à la société, transmis par la presse. Celle-ci nous a offert de magnifiques images de la fameuse « synthèse turco-islamique », et il est remarquable qu’ici le langage photographique précède et même remplace le discours textuel.

Si les obsèques de martyrs sont l’occasion pour l’État, l’armée et tout ce qui relève du pouvoir en place de faire passer un message politique codé, la nouveauté du début du xxisiècle est que les citoyens peuvent eux-mêmes produire des images et les diffuser à l’infini par Internet. Reste à savoir si ces nouveaux procédés rendent l’individu capable de renouveler les stéréotypes, les codes du « langage des obsèques », et s’ils peuvent retourner le moyen d’information dans un autre but.

L’appropriation d’un nouveau moyen technique d’information par les particuliers ne produit pas forcément une vague de création. Au contraire, le système médiatique et son langage peuvent très bien contaminer le système privé de production d’images. Dans un premier temps au moins, tout photographe, cinéaste, vidéaste amateur a tendance à reproduire les stéréotypes courants, ce qui lui donne l’impression de « faire professionnel ». C’est le cas de l’immense majorité des photos de famille, diapositives, films super-8 et maintenant vidéos numériques ; la recherche d’originalité est peut-être même plus difficile qu’il y a cinquante ans. Une brève exploration dans le monde de Facebook et de YouTube le confirme.

L’analyse de certains groupes consacrés aux martyrs sur le réseau social Facebook nous montre comment le conflit du Sud-Est s’exporte désormais partout, dans le monde, où existe une communauté turque. Facebook est un outil qui permet aux membres de ces groupes de diffuser leurs opinions sur les martyrs. En décembre 2009, on pouvait dénombrer sur ce site 169 groupes consacrés aux martyrs. Les noms qu’ils se donnent reprennent souvent l’un des slogans proférés lors des obsèques, ce qui dévoile de prime abord leur conformisme : « Les martyrs ne meurent pas », « Les martyrs ne meurent pas, la patrie ne se divise pas », ou encore « Nos martyrs seront vengés ». Si certains groupes laissent sourdre une certaine lassitude du conflit, d’autres sont plus martiaux. Sont diffusées des images de loups gris (symbole des ultranationalistes), des photos de personnes portant des tatouages de loups, des drapeaux turcs, et des images mettant en scène les obsèques des martyrs38.

Des vidéos commémoratives personnalisées sont également mises en ligne sur Dailymotion ou YouTube. En décembre 2009, la recherche sur YouTube du terme « soldat martyr » révélait l’existence de 6 270 vidéos disponibles sur la Toile. Il s’agit généralement de prises de vues mettant en scène le « martyr » avant sa mort, pendant son service militaire, et d’images de ses obsèques avec en fond sonore de la musique mélancolique ou des poésies, comme la chanson de Murat Evgin dont le titre est Martyr :

Le destin était écrit. On m’a mis le henné. Nous avons donné nos vies, nous avions une dette envers la patrie. Je n’ai pas pu te dire adieu, maman, c’est la seule chose qui me brûle de l’intérieur. Il se chante une chanson derrière chaque martyr. Toi aussi, maman, chante une chanson après mon départ, ne pleure pas, je m’en vais.

Par sa durée, le conflit du Sud-Est chevauche deux ou trois âges des techniques de communication : au début (1984) régnait encore en Turquie la presse écrite ; la télévision est très vite venue la supplanter dans tous les foyers ; puis l’ordinateur, Internet et le téléphone portable sont venus donner à l’individu l’illusion qu’il peut maîtriser l’information. Or, le rituel des obsèques de martyrs est resté plus ou moins identique à lui-même depuis le début du conflit. Nous avons là un cas peu commun de stabilité d’un événement récurrent, dont la représentation se fait au contraire par des médias qui évoluent rapidement ; il faudra un peu de recul et une recherche plus approfondie pour juger de l’influence de la nature des médias sur les représentations. La censure sur Internet étant plus difficile, on voit apparaître aussi des représentations non conformes à la vision de l’État et de l’armée, qui pourront traduire des courants pacifistes voire antimilitaristes, et pourront peut-être affaiblir l’illusion de consensus, sans craindre la répression39. De tels sites traduisent sous une forme nouvelle des mouvements d’opinion nés au cours de la décennie précédente, qui se focalisaient autour de manifestations (la journée mondiale de la paix, le 1er septembre), de mouvements (comme la « délégation pacifique Musa Anter » – Musa Anter Barış Heyeti) et d’une multitude d’études, rapports et articles plaidant pour une solution pacifique à la question kurde. Dans ce cadre, la représentation des obsèques de martyrs pourrait bien être« retournée » dans une autre direction politique.

Conclusion : deuil et « mythe de guerre »

Dans toute cérémonie publique d’obsèques, la collectivité s’empare du mort. Même si, dans les comptes rendus et sur les photographies de la presse écrite, la douleur de la famille et le ressenti personnel sont mis en scène, le mort appartient à l’État, qui a décidé du cérémonial et refonde en réalité la personnalité intime du disparu. Les martyrs en deviennent presque interchangeables : ils sont forcément turcs et musulmans sunnites. Point de laïcité ici, l’État turc ne semble pas avoir envisagé de cérémonie propre aux agnostiques, athées, alevis et encore moins non musulmans.

Si la religion peut consoler, la nation le prétend également : le martyr est vivant au paradis, mais il est aussi maillon d’une chaîne qui le relie aux prédécesseurs ; face à l’histoire de la nation, la mort de l’individu n’est rien, et l’on ne peut s’empêcher de songer au terrible ordre du jour attribué à Mustafa Kemal avant le « grand assaut » de 1922 : « Soldats ! Je ne vous ordonne pas d’être victorieux, je vous ordonne de mourir ! »

Tout cela, évidemment, participe à la construction d’un « mythe de guerre » en Turquie. La sacralisation de la guerre alimente les discours de l’extrême droite qui se radicalise de plus en plus en ne dissociant plus la population kurde des guérilleros du PKK, en exaltant la supériorité de la race turque et en dénonçant de supposées menées étrangères visant à diviser la Turquie40. Un des rôles tacitement assignés aux organisations d’extrême droite est de détourner la colère des proches de martyrs contre le PKK et les Kurdes. C’est pourquoi les propos déshumanisant les guérilleros du PKK et parfois la population kurde tout entière sont fréquents dans nos entretiens.

Toutefois, même si nous repérons des similitudes entre le processus décrit par George L. Mosse et notre terrain turc, il n’en demeure pas moins des différences. Dans le contexte turc, la dimension de guerre civile, le fait que les ennemis soient considérés comme des « ennemis de l’intérieur » interviennent dans la production de ce « mythe de guerre » et dans la production d’une syntaxe d’hégémonie scellée par le sacré et par le sentiment d’appartenance nationale. Effectivement, tous les éléments que nous avons analysés œuvrent vers un même objectif qui est celui de réaffirmer les allégeances nationales et l’identité collective nationale.

Sur le plan discursif au moins, s’exprime une sympathie de la population envers les forces armées turques ; la pérennisation du conflit a renforcé un sentiment d’insécurité au sein de la population qui, en retour, considère légitimes les opérations de lutte contre le « terrorisme ». Comme l’affirme Ahmet Insel, c’est un moyen de gouvernement : « En appelant en permanence aux périls qui menacent l’unité et l’intégrité de la République par les ennemis intérieurs, les forces prétoriennes tentent régulièrement de reproduire les conditions d’un régime de sécurité nationale dans lequel l’exceptionnalité de la situation autorise la prolongation de l’exceptionnalité de certains pouvoirs tutélaires41. » La clé de voûte du système est le culte de Mustafa Kemal, puisque la guerre, par le jeu des commémorations et des invocations du passé, est présentée comme la suite du combat national de 1919-192242. L’institution militaire retire de tout ce processus une légitimité sociale et politique. Pourtant, les perceptions de la guerre par les individus sont loin d’être homogènes, même s’il n’est pas facile d’exprimer publiquement ce qui va à l’encontre du « consensus obligatoire » requis par l’État. Car, même s’il se dégage un consensus sur la glorification des martyrs et des vétérans, cela n’engendre pas une acceptation générale de la guerre et de la violence par la société, ainsi qu’en témoignent des expressions d’opposition à la guerre, même dans des milieux très modérés. Ainsi, dès 1996, le commentateur Şahin Alpay s’insurgeait dans le quotidien populaire Sabah : « Nous avons une dette sacrée vis-à-vis des martyrs. Mais les jeunes qui sont dans la montagne avec le PKK déplorent certainement plus de 10 000 morts. Ces jeunes ont été trompés, mais ne sont-ils pas également nos jeunes ? Et parmi nos martyrs, n’y a-t-il pas de Kurdes ? […] Nous sommes tous victimes des idéologies43 ! »

NOTES

1 Nous remercions Claire Mauss-Copeaux pour ses commentaires et ses relectures de cet article.

2 La révolte dite de Cheikh Said, dans la région de Dersim (aujourd’hui Tunceli), a duré de 1925 à 1930 et fut matée avec une violence telle qu’elle explique en partie la relative paix sociale dans cette région jusque vers 1970 ; cf. H. Bozarslan, La question kurde. États et minorités au Moyen-Orient, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.

3 Travail fondé sur des observations de terrain et l’analyse de la presse turque de 1995 à 1999 (E.C.) et de 2005 à 2007 (S.K.). Cf. S. Kaya, « Le retour des conscrits, vecteur de construction d’un régime de sécurité nationale ? », colloque international organisé par Nathalie Duclos et David Garibay : « Les anciens combattants dans les transitions de la guerre à la paix », les 10-11 avril 2008 à Lyon II et ENS LSH (actes du colloque à paraître).

4 Cf. S. Kaya, « Le retour des conscrits, vecteur de construction d’un régime de sécurité nationale en Turquie ? », N. Duclos (éd.), L’adieu aux armes ? Parcours d’anciens combattants, Paris, Karthala, 2010, p. 83-110 ; É. Copeaux, « Le consensus obligatoire », dans I. Rigoni (éd.), Turquie. Les mille visages. Politique, religion, femmes, immigration, Paris, Syllepse, 2000, p. 89-104.

5 Ces expressions sont avancées par Gilles Dorronsoro et Ahmet Insel.

6 La loi de lutte contre le terrorisme n° 3713 du 12 avril 1991 (Terörizmle Mücadele Kanunu), Journal officiel du même jour. Cette loi est consultable sur le site officiel du ministère de l’Intérieur consacré aux martyrs et aux vétérans de guerre : http://www.sehitlervegaziler.gov.tr. Mais la notion déborde le cadre de cette guerre. Sont également « martyrs » les militaires et même les fonctionnaires mourant dans l’exercice de leurs fonctions, même accidentellement.

7 Pour éviter la lourdeur typographique, nous utiliserons le terme martyr sans guillemets, ce qui ne traduit pas, de notre part, une adhésion à une croyance ou une idéologie.

8 Selon les données du ministère de la Défense, le nombre de tués entre 1984 et 2008 se montait à 4 828 civils et 7 946 membres des forces de sécurité (« martyrs ») se répartissant en 5 821 soldats de l’armée turque, 1 350 protecteurs de villages et 775 membres des « équipes spéciales » (Tempo [14 octobre 2008]). Mais selon des estimations diffusées par la Fondation turque des études économiques et sociales (TEDEV) et l’université de Van en 1997, le conflit aurait entraîné la mort de 20 000 civils dès cette date (Zaman [18 juin 1997]).

9 É. Copeaux, Espaces et temps de la nation turque. Analyse d’une historiographie nationaliste 1931-1993, Paris, CNRS, 1997.

10 Les fêtes nationales sont celles des 23 avril [1921], 19 mai [1919], 30 août [1922], 29 octobre [1923] et 10 novembre [décès d’Atatürk, 1938]. Le 10 novembre, à neuf heures cinq, tout citoyen se trouvant dans l’espace public est tenu de s’immobiliser en silence tandis que les sirènes hurlent. C’est un cérémonial très impressionnant.

11 Parmi ces strates temporelles, il n’est pas question des soldats ayant participé à la répression des révoltes kurdes des années 1930, qui fut longue et terrible, et fort peu des combattants de la guerre de Corée (1950-1953) ou du débarquement turc à Chypre (1974). Il s’agit donc d’un phénomène sélectif obéissant à des critères complexes.

12 Loi n° 4768 du 27 juin 2002, publiée au Journal officiel du 3 juillet 2002.

13 Discours du 19 septembre 2008, disponible sur le site des forces armées turques : http://www.tsk.mil.tr/3_BASIN_YAYIN_FAALIYETLERI/3_9_Mesajlar/konular/gaziler_gunu_18092008.html

14 Site officiel du gouvernement turc consacré aux martyrs et aux vétérans : http://www.sehitlervegaziler.gov.tr.

15 Dans le cadre de la préparation d’une thèse en science politique sur les effets socialisateurs de la conscription en Turquie, nous avons réalisé une enquête de terrain dans le département de Kayseri. Le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi) a obtenu 70 % des voix lors des élections municipales du 28 mars 2004 et 65,73 % des voix lors de l’élection présidentielle du 28 août 2007. Le Parti du mouvement national (Milliyetçi Hareket Partisi) arrive en deuxième position en obtenant 17 % lors des élections municipales de 2004 et 16 % des voix à l’élection présidentielle de 2007. URL : http://www.yerelsecim.com. Au niveau local, les cadres politiques du Parti se disent conservateurs sur la question des mœurs et libéraux sur plan économique. Les résultats du Parti du mouvement national à Kayseri nous montrent qu’une partie des Kayseriotes adhèrent aux idées d’extrême droite qui prônent une certaine conception de la nation turque aux niveaux ethnique, linguistique et religieux.

16 Türkiye Harp Malulü Gaziler Şehit Dul ve Yetimler Dernefii. Cf. www.kayseri.gov.tr.

17 http://www.haberler.com/melikgazi-belediyesi-sehit-ailelerine-arsa-verecek-haberi// (consulté le 28 décembre 2009).

18 Décision n° 605 et n° 607 (http:/www.kayseri-bld.gov.tr/kurumsal/karar/14.12.2007.htm).

19 G. L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999, p. 11 et 123. Selon G. L. Mosse, « la mémoire de guerre s’était approprié la religion et la nature, ces forces traditionnellement consolatrices. Elle fut aussi travaillée par la banalisation, phénomène qui se chargea de rabaisser l’échelle de la terreur à un niveau ordinaire et acceptable […]. La banalisation permettait de s’accommoder de la guerre, sans l’exalter ni la glorifier, en l’intégrant à un monde familier qui repoussait les terreurs incontrôlables » (id., p. 145).

20 A. Unsal, Tuer pour survivre. La vendetta, Paris, L’Harmattan, 1990, 192 p.

21 Türkiye (quotidien d’extrême droite)2 octobre 1996 et 3 septembre 1998 ; Sabah (centriste modéré)11 avril 1996 ; Radikal (gauche), 29 avril 1999.

22 Türkiye (15 mars 1998).

23 Date qui correspond à l’adoption d’une Constitution inspirée par les militaires suite au coup d’État du 12 septembre 1980. Site de la fondation : http://www.mehmetcik.org.tr..

24 D. Sperber, D. Wilson, La pertinence. Communication et cognition, Paris, Éditions de Minuit, 1989 ; R. Barthes, « Le message photographique », Communications, 1 (1961), p. 127-138.

25 Zaman, 30 juillet 1996. L’été 1996 avait été marqué par une grève de la faim des prisonniers politiques, qui avait duré soixante-neuf jours et fait douze victimes.

26 Türkiye (5 août 1996).

27 Ibid.

28 Sabah (11 avril 1996) ; Türkiye (7 août 1996).

29 Türkiye (18 août 1998) ; Yeni Yüzyıl (23 août 1998).

30 Yeni Yüzyıl (14 avril 1996) ; Türkiye (16 avril 1996).

31 Sabah (26 août 1996) ; Türkiye (1er mars 1997).

32 Milliyet (28 décembre 1998 et 2 février 1999) ; Star (29 avril 1999).

33 Sabah (29 juin 1996).

34 É. Copeaux, C. Mauss-Copeaux, « Le drapeau turc, emblème de la nation ou signe politique ? », CEMOTI, 26 (1998), p. 271-291.

35 Türkiye (27 et 29 juillet 1996).

36 Milliyet (1er mars 1999).

37 Cf. Milliyet (7 juin 1997) ; Sabah (10 juin 1998) ; Sabah (5 mai 1998).

38 Şehitler ölmez, Facebook, le 28 décembre 2009.

39 Notamment http://www.savaskarsitlari.org (« Les opposants à la guerre »).

40 Ces arguments reviennent dans des nombreux entretiens avec les appelés.

41 A. Insel, « “Cet État n’est pas sans propriétaires !” Forces prétoriennes et autoritarisme en Turquie », O. Dabène, V. Geisser, G. Massardier (éd.), Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au xxsiècle, Paris, La Découverte, 2008, p. 147.

42 É. Copeaux, « La transcendance d’Atatürk », C. Mayeur-Jaouen (éd.), Saints et héros du Moyen-Orient contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 121-138.

43 Ş. Alpay, « Şehitlerimiz », Sabah (31 août 1996).

TABLE DES ILLUSTRATIONS

LégendeMilliyet, 2 février 1999. « Les enfants de martyrs ont offert un tableau touchant. » Cérémonie de remise de médailles à des proches de « martyrs » par le préfet d’Izmir.
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LégendeTürkiye, 2 octobre 1996. Instituteurs assassinés dans un village du Sud-Est, le jour de la rentrée des classes. L’acte est imputé à la rébellion kurde. Les corps étaient protégés des regards par une couverture, visible à gauche, qui a été enlevée par le photographe. Les villageois sont rassemblés autour, curieux et résignés : les victimes, originaires de l’Ouest, ne sont pas des leurs (cliché Anadolu Ajansi).
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LégendeYeni Yüzyıl, 14 avril 1996. Le père d’un soldat tué est venu prendre le corps de son fils à la morgue et fait accompagner les obsèques par des joueurs de davul (tambour) et zurna (clarinette), instruments traditionnels des fêtes (mariages, circoncisions… et départ à l’armée). « Mon fils est parti à l’armée accompagné par le davul et la zurna. Il est tombé martyr pour la patrie, il n’est donc pas mort : il est juste que le davul et la zurna soient présents aux obsèques » (cliché Temel Eren).
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LégendeMilliyet, 28 décembre 1998. « Les larmes ont coulé lors de la remise des médailles » à 210 membres de familles de « martyrs » au centre culturel Atatürk (Istanbul) ; un enfant de victime est habillé en tenue de commando (cliché Aysegül Aydogan).
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LégendeSabah, 11 avril 1996. Un « terroriste » abattu lors d’une opération de l’armée dans le Sud-Est du pays.
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LégendeCérémonie funéraire de martyr, Kayseri, 6 août 2007 (cliché Sümbül Kaya).
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LégendeCérémonie funéraire de martyr, Kayseri, 6 août 2007 (cliché Sümbül Kaya).
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LégendeCérémonie funéraire de martyr, Kayseri, 6 août 2007 (cliché Sümbül Kaya).
URLhttp://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/847/img-8.jpg
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