En Turquie, une paix incertaine après l’annonce de la dissolution du PKK/Killian Cogan/LIBERATION

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Libération, le 13 mai 2025

Le PKK a annoncé mettre fin à quarante ans de lutte armée contre l’Etat turc, mais de nombreuses questions demeurent toutefois quant au sort de ses combattants et sur les droits culturels et politiques revendiqués par le mouvement.

Après plusieurs mois de tractations entre le gouvernement turc et le mouvement kurde, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé ce lundi 12 mai sa dissolution, par un communiqué relayé par une agence de presse proche de l’organisation. Le groupe armé a ainsi déclaré que «[sa] lutte avait brisé la politique de déni et d’anéantissement [du peuple kurde] et amené la question kurde à un point où elle peut être résolue par une politique démocratique», affirmant de la sorte que sa «mission était terminée».

Cette déclaration intervient quelques jours après la tenue par le PKK d’un congrès, du 5 au 7 mai, dans les montagnes du Qandil, au Kurdistan irakien, qui constitue sa principale base arrière. Elle répond ainsi à l’appel formulé par le chef du mouvement Abdullah Ocalan qui, depuis l’île-prison d’Imrali où il est emprisonné depuis 1999, avait en février enjoint le PKK à se «dissoudre» et à «déposer les armes».

Il s’agissait là de l’aboutissement de pourparlers entamés en octobre 2024 après que Devlet Bahçeli, chef du parti d’extrême droite allié au président, Recep Tayyip Erdogan, avait intimé au PKK de déposer les armes en échange de la libération d’Ocalan. Dès lors, le gouvernement avait autorisé des délégations du parti pro-kurde DEM et des proches d’Ocalan à lui rendre visite sur l’île d’Imrali, rompant de la sorte avec l’isolement quasi-total qui lui avait été imposé depuis près de quatre ans.

Etudes juridiques en cours

En annonçant sa dissolution ce lundi, le PKK marque un tournant historique : il met fin à plus de quarante ans de lutte armée contre l’Etat turc. Des affrontements qui ont causé la mort de plus de 40 000 personnes et entraîné l’exode de centaines de milliers d’autres. Reste que les contours de cette dissolution demeurent incertains et soulèvent de nombreuses questions. Avant toute chose, l’organisation doit remettre ses armes à l’Etat turc, qui les recensera et les enregistra. Une fois ce désarmement achevé, la deuxième étape concernera le sort des combattants et des responsables de l’organisation.

Citant des sources officielles turques, le média Middle East Eye révélait ce lundi que des études juridiques étaient en cours afin de permettre aux membres du PKK «qui n’auraient pas participé à des attaques terroristes» d’être autorisés à retourner en Turquie et à «réintégrer la vie civile». Cela concerna-t-il l’ensemble des près de 5 000 combattants qu’abriteraient les montagnes du Kurdistan irakien ? Et quid des membres de l’organisation présents en Europe, où le PKK maintient une présence importante et opère peu ou prou comme une organisation mafieuse au sein de la diaspora ?

Selon d’autres sources citées par le média en ligne Al-Monitor, les négociations prévoient la libération d’environ 50 000 prisonniers politiques, dont de nombreuses personnes âgées et malades. Ces amnisties devraient se tenir dans le cadre d’un projet de loi soumis au ministère turc de la Justice puis au Parlement, où le Parti de la justice et du développement du président Erdogan et ses alliés ultranationalistes disposent d’une majorité.

Il est aussi question de libérer d’autres prisonniers politiques de haut rang, dont le très populaire Selahattin Demirtas, ancien député et candidat à la présidentielle kurde, emprisonné depuis 2016. Les tractations prévoiraient par ailleurs d’améliorer les conditions de détention d’Abdullah Ocalan, même si la libération de ce dernier n’est toutefois pas prévue, contrairement à ce qu’avait laissé entendre Devlet Bahçeli en octobre.

Droits culturels

Un autre pilier des négociations semble être l’avenir des Kurdes en Syrie et l’intégration des Forces démocratiques syriennes (FDS), soit la branche syrienne du PKK, à l’administration présidée par Ahmed al-Charaa. Car, bien que le commandant des FDS, Mazloum Abdi, avait initialement déclaré que la dissolution du PKK ne «concernait pas son groupe» à l’issue de l’appel d’Abdullah Ocalan en février, force est de constater que les attaques d’Ankara contre les FDS ont quasiment cessé depuis. Le pouvoir turc a aussi respecté la signature d’un accord le 10 mars entre Al-Charaa et Mazloum Abdi, qui prévoit l’intégration des combattants kurdes au commandement syrien et, plus généralement, l’autonomie des Kurdes dans le pays.

Côté turc, des interrogations demeurent également quant aux droits culturels et linguistiques revendiqués de longue date par le mouvement kurde, ainsi qu’au sort de la dizaine d’élus locaux qu’Ankara a destitués pour «appartenance à l’organisation terroriste PKK» et remplacés par des administrateurs depuis un an.

Dans son appel en février dernier, Abdullah Ocalan avait souligné la nécessité de «l’égalité de la citoyenneté» et «des droits démocratiques du peuple kurde». Reste à savoir si les concessions linguistiques et culturelles seront faites, et si ces élus locaux seront réinstitués dans leur fonction. D’autant que le pouvoir devra ménager l’opinion publique : selon un récent sondage effectué par l’agence Metropoll, plus des deux tiers de la population turque s’opposerait au processus de paix.

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