Ce nouveau venu dans le stand-up se distingue par son flegme et sa façon d’aborder les préjugés, en particulier ceux sur son apparence physique, liés à sa barbe et à sa carrure imposantes.
Sur son affiche, Umut Köker tient dans la main une barbe à papa rose bonbon, comme un clin d’œil pour atténuer sa carrure et sa barbe noire imposantes. Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?, semble nous dire ce nouveau visage de la scène du stand-up. Il a appelé son spectacle Paradoxe parce que, résume-t-il : « J’ai cette tête-là et je fais de l’humour… J’ai des doutes en termes de marketing. »
Dans le foisonnement des plateaux de comedy clubs parisiens, qu’Umut Köker fréquente depuis quelques années, nous avions, un soir de décembre 2022, au Fridge, repéré sa « gueule », son flegme singulier et sa manière d’aborder avec sagacité la question des préjugés. Désormais, cet humoriste présente son spectacle au théâtre Le Métropole, à Paris, et en tournée. Une heure et quart sans temps mort, concoctée sous le regard artistique de Waly Dia, pour déjouer les clichés et pulvériser le délit de faciès dans un subtil mélange de douceur et de détermination.
L’épisode Merwane Benlazar, dont l’allure (longue barbe, bonnet et pull ample) a créé une polémique après son passage, le 31 janvier, dans l’émission « C à vous », sur France 5, a rappelé avec acuité à quel point l’apparence physique peut être discriminante. « A ceux qui me conseillent de raser ma barbe, sachez que je suis très poilu et que la problématique n’est pas islamique mais esthétique, j’ai un menton en forme de fesse », rétorque calmement Umut Köker, très lucide sur ce qu’il dégage à cause de sa gueule.
Indéniable force comique
Lui qu’on prend pour un livreur Uber Eats dès qu’il est en scooter, lui qui peut susciter des regards inquiets dans la rue ou le métro, est né en 1992 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) de parents kurdes turcs, qui l’ont envoyé à l’école en costume. « C’était de l’éducation préventive », analyse-t-il. « On nous prend juste pour des Arabes, et notre culture a été réduite à un sandwich et des toilettes, constate-t-il sans animosité. Le conflit entre les Kurdes et la Turquie est ancien, mais n’intéresse pas les Français, c’est un conflit Lidl. »
Multipliant, avec une indéniable force comique, les anecdotes et les récits cocasses pour illustrer les réactions suscitées par son physique (sa sortie en pédalo avec ses cousins sur un lac près de Mulhouse, en Alsace, son passage dans un commissariat après qu’un pickpocket lui a volé son téléphone portable, son premier entretien d’embauche dans une tour de la Défense), Umut Köker cultive l’introspection et l’autodérision d’un Français né avec une gueule d’Arabe et diplômé d’un master d’UX design.
« J’ai grandi dans une cité de banlieue, mais j’ai un bac + 5. J’ai une double personnalité que je ne maîtrise plus », déclare-t-il, amusé. Son itinéraire et tous les clichés auxquels il a été confronté ont nourri son besoin d’écrire, de raconter ce sentiment d’être considéré comme d’ailleurs, alors qu’il est d’ici, de pousser le public à s’interroger sur la nécessité de dépasser les apparences.
Humain, drôle et attachant, ce stand-uppeur a remporté le Prix du jury et le Prix du public, lors du festival Saint-Gervais Mont-Blanc d’humour, en 2024. La même année, Waly Dia l’a programmé au Festival d’humour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Depuis, le stand-uppeur de l’excellent spectacle Une heure à tuer et chroniqueur sur Mediapart conseille Umut Köker sur la manière de rendre son vécu universel, sur le choix des mots pour évoquer des sujets « compliqués » et suit avec confiance son évolution.
« Umut est très pudique. J’essaie de l’amener vers davantage de lâcher-prise et de le pousser à cultiver sa force tranquille, explique Waly Dia. Il a une vraie singularité. C’est la première fois que j’accepte que mon nom soit sur l’affiche d’un humoriste, car il a un très fort potentiel. Son histoire avec l’humour va durer longtemps. »
Paradoxe, d’Umut Köker et de Waly Dia. Avec Umut Köker. Théâtre Le Métropole, Paris 2e. Le jeudi jusqu’au 5 juin. Egalement en tournée : le 12 mars à Troyes ; le 19 à Auray (Morbihan) ; le 2 avril à Décines-Charpieu (Rhône) ; le 9 avril à Toulouse…