Turquie : des combattants du PKK brûlent leurs armes dans un geste symbolique fort pour marquer le processus de paix/ NicolasBourcier / LE MONDE

Must read

LE MONDE, le 12 juillet 2025

Une trentaine de combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan ont brûlé, vendredi, leurs armes, lors d’une cérémonie organisée dans le Nord irakien. Malgré le symbolisme puissant de ce moment, aucun engagement n’a été pris pour la suite.

Ils sont 30, 15 femmes et 15 hommes en uniforme, alignés au pied de la scène où brûlent leurs armes dans une immense vasque grise flanquée de hautes collines âprement tranchées par un soleil de feu. Un geste symbolique fort. Trente combattantes et combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) venus des montagnes avoisinantes de ce Nord irakien, vendredi 11 juillet, pour marquer d’un geste fort les premiers pas d’un processus de paix engagé avec Ankara depuis plusieurs mois pour mettre fin à quatre décennies de guerre.

La cérémonie, qui s’est déroulée à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Souleimaniyé, dans la région autonome du Kurdistan irakien, a duré vingt minutes avant que la troupe ne reparte à pied du chemin escarpé par où elle était descendue.

Censés, à l’origine, couvrir l’événement en direct, les journalistes ont été tenus à distance pour « des raisons de sécurité », avait prévenu le PKK, en début de semaine. Des représentants du gouvernement local et son président, Netchirvan Barzani, ont assisté à l’opération, mais il n’a pas été précisé qui avait été dépêché par Ankara, hormis des membres des services de renseignements, selon les médias turcs. Le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l’opposition, avait décliné l’invitation, prétextant l’absence de représentants officiels de l’Etat turc sur place.

« Mener la lutte pour la démocratie »

Dans un communiqué lu en turc et en kurde par deux dirigeants du mouvement, devant un portrait du chef de file kurde, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999 sur l’île-prison d’Imrali, au sud d’Istanbul,le PKK a annoncé que ce dépôt d’armes était effectué « de plein gré, afin de mener la lutte pour la démocratie ». L’organisation, considérée comme terroriste par la Turquie et ses alliés occidentaux, a ajouté qu’il agissait « d’un geste de bonne volonté et d’engagement pour le succès pratique » du processus de paix en cours. Elle précise toutefois à l’adresse du pouvoir turc : « Des réformes juridiques sérieuses sont sans aucun doute nécessaires pour que cette initiative historique réussisse. Il existe un besoin urgent de réglementations constitutionnelles. »

De son côté, le gouvernement d’Ankara a immédiatement salué par la voix d’Ömer Çelik, porte-parole du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002, cette « première étape du processus de destruction des armes du PKK ». Le président, Recep Tayyip Erdogan, s’est félicité de cette « étape importante vers une Turquie sans terrorisme ». Un haut responsable turc, proche du dossier et sous le couvert de l’anonymat, a qualifié, lui, « cette évolution [de] tournant irréversible ». « Nous vivons des jours d’une importance extraordinaire pour la Turquie et notre région », a, de son côté, déclaré Devlet Bahçeli, chef du Parti d’action nationaliste (MHP), pilier d’extrême droite de la coalition gouvernementale, celui-là même qui, le premier et à la surprise générale, avait pris l’initiative, en octobre 2024, de tendre la main aux députés du parti prokurde DEM et d’inviter Abdullah Öcalan à démanteler son organisation.

Lire aussi | Dissolution du PKK : comprendre les conséquences de ce tournant dans le combat des Kurdes

Tous, à Ankara, se sont ainsi félicités du geste du PKK mais aucun responsable n’a toutefois pris, pour l’heure, d’engagements précis pour la suite. Aucune proposition sur la question kurde n’est venue de l’exécutif. « Le désarmement n’est que la première page d’un nouveau chapitre, a réagi, de son côté, l’ancienne journaliste Ezgi Basaran, politologue turque spécialiste du Moyen-Orient à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni. Pour que la paix soit réelle, la Turquie doit aller au-delà de la coordination et commencer à transformer ses institutions. Cela signifie qu’elle doit accepter les acteurs kurdes comme des agents politiques légitimes et non comme des menaces pour la sécurité. »

Un message d’Abdullah Öcalan

Depuis la main tendue en octobre par Devlet Bahçeli, un cycle de consultations a été amorcé mais sans que ses objectifs soient clairement définis. Après plusieurs rencontres et négociations menées par le DEM, Abdullah Öcalan a appelé, le 27 février, le mouvement à « déposer les armes et à se dissoudre », affirmant « assumer la responsabilité historique de cet appel ».

Il a réitéré son message, mercredi, dans une longue vidéo en turc : « Les progrès réalisés nécessitent de nouvelles mesures concrètes. Je crois au pouvoir de la politique et de la paix sociale, et non des armes. Je vous appelle à mettre en œuvre ce principe. Il est essentiel de faire preuve de prudence et de sensibilité dans ces démarches, sans tomber dans la logique stérile du “vous d’abord” ou du “moi d’abord”. Je sais que ces mesures ne seront pas vaines. Je constate leur sincérité et j’y crois. » Des propos qui semblent directement s’adresser à sa base, où subsiste une très forte défiance envers un Etat turc qui ne semble pas pressé de donner des gages.

Lire aussi le portrait | Abdullah Öcalan, fondateur du PKK devenu icône de l’identité kurde

Joint avant la cérémonie de Souleimaniyé, un proche du PKK a, sous le couvert de l’anonymat, expliqué qu’« Erdogan avait besoin d’une image forte à montrer au public turc, avant de prendre éventuellement les mesures plus concrètes permettant de poursuivre le processus ». Et, de fait, quelques signes sont venus indiquer qu’un virage était, peut-être, en train d’être amorcé.

Afin de clarifier les détails du processus de Souleimaniyé, Ibrahim Kalin, chef du renseignement turc et ancien conseiller diplomatique de Recep Tayyip Erdogan, a d’abord rencontré des responsables kurdes irakiens à Erbil, au début du mois. Il s’est ensuite rendu à Bagdad, mercredi, où il a rencontré le premier ministre, Mohamed Shia Al-Soudani.

Sur la table des négociations, les modalités logistiques du dépôt des armes prévu, qui servira de modèle pour les remises à venir. Selon plusieurs sources, 5 000 cadres et combattants du PKK seraient encore installés dans les montagnes du Kurdistan irakien, qui s’étendent de l’Iran, à l’est, jusqu’à la Syrie, à l’ouest.

Lundi, à Ankara, le chef du renseignement s’était également joint à une réunion organisée par le président Erdogan et une délégation du DEM, signe supplémentaire que le processus se poursuivait. Rien n’a filtré, mais la question de la formation d’une commission parlementaire chargée de superviser les réformes à venir et les modifications de la Constitution turque que les Kurdes réclament en échange de la dissolution du PKK devait être posée.

Lire aussi | Turquie : après la dissolution du PKK, de nombreux aspects de la question kurde restent à régler

Dans un communiqué publié à l’issue de la réunion, le DEM a déclaré que « la volonté de faire avancer le processus persiste des deux côtés ». Peu avant, le 5 juillet, M. Erdogan s’était dit persuadé qu’« avec la mise en œuvre de la décision de l’organisation terroriste de renoncer à ses armes le processus [allait] prendre de l’ampleur », sans plus d’explications.

L’une des principales raisons pour lesquelles M. Erdogan s’est tourné ces derniers mois vers les Kurdes, après une décennie de répression, « serait liée à son désir de rester au pouvoir », rappelle la journaliste Amberin Zaman dans Al-Monitor. Le président souhaite modifier la Constitution, pour briguer un troisième mandat, ce que l’actuelle législation ne lui permet pas. Le soutien du DEM au Parlement, encore loin d’être acquis, pourrait ouvrir la voie à un référendum, qui ne peut être organisé que si les deux tiers des députés votent en sa faveur.

Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant)

More articles

Latest article