En Turquie, le principal parti d’opposition lutte pour sa survie politique/Céline Pierre-Magnani/LE MONDE

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Le Monde, le 7 septembre 2025

Le Parti républicain du peuple (CHP) convoque un congrès extraordinaire pour le 21 septembre dans l’espoir de sauver sa direction d’une opération judiciaire.

La tension est à son comble dans les couloirs du quartier général du parti républicain du peuple (CHP, premier parti d’opposition), à Ankara. Vendredi 5 septembre, quelque mille délégués du parti ont déposé une demande auprès des autorités électorales pour organiser un nouveau congrès extraordinaire. Prévu le 21 septembre, ce nouveau rendez-vous permettra de reconduire la direction actuelle, et notamment son chef, Özgür Özel, à la tête de la formation politique.

Plus tôt dans la semaine, mardi 2 septembre, le président de région du parti et son équipe à Istanbul avaient été révoqués par décision de justice pour cause d’« irrégularités » supposées dans les élections internes au parti, tenues en octobre 2023. L’équipe élue a ainsi été remplacée par une nouvelle équipe, nommée par le tribunal administratif, avec à sa tête une ancienne figure dissidente du parti, Gürsel Tekin.

Cette décision de justice a été accueillie avec beaucoup de gravité au sein du parti du CHP, ainsi que dans les cercles de l’opposition. Tous craignent que cet épisode ne soit qu’une répétition générale de ce qui pourrait se produire le 15 septembre. Le parti devra comparaître devant la justice pour des accusations similaires d’« irrégularités » dans le vote qui s’est tenu en novembre 2023 lors du congrès ordinaire qui a fait élire Özgür Özel. Si le scénario se répète, il pourrait aboutir à la décapitation pure et simple de la direction élue.

Dernière étape vers la « fin du multipartisme »

La nomination d’un kayyum (administrateur d’Etat) à la place d’une personnalité politique élue n’est pas une première dans l’histoire récente du pays. Des dizaines de mairies à majorité kurde avaient vu s’installer des préfets et des sous-préfets dans le fauteuil des élus depuis 2016, toujours dans le cadre de poursuites judiciaires.

Mais l’application de cette pratique à un parti politique est inédite et apporte une preuve de plus – s’il en fallait – de la détermination du pouvoir à éliminer toute alternative politique. Certains constitutionnalistes ont qualifié la décision de justice de dernière étape vers la « fin du multipartisme ». Çaglar Çaglayan, l’avocat du CHP, parle quant à lui de période de « déconstitutionalisation » (processus au cours duquel la Constitution est en vigueur mais ne s’applique pas à certains segments de la société, essentiellement les cercles d’opposition).

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Selon lui, « il y a deux dimensions : une juridique et une politique. D’un côté, nous nous en remettons au droit et nous faisons toutes les démarches juridiques possibles pour faire appel de ces décisions. Quant à la dimension politique, le CHP s’en remet au peuple. C’est le premier parti dans les urnes, et c’est de là qu’il tire sa confiance en lui », développe-t-il. Depuis l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, le 19 mars, le CHP organise des rassemblements hebdomadaires très suivis dans toutes les grandes villes du pays.

Marathon judiciaire éprouvant

La défaite du Parti de la justice et du développement (AKP, islamoconservateur, au pouvoir) aux élections municipales de mars 2024 a été vécue comme une humiliation par le président Recep Tayyip Erdogan et son parti. Le CHP, son principal concurrent, avait réussi à reprendre le contrôle de grandes mairies et était arrivé en tête du scrutin en nombre de voix. Depuis, le parti, ainsi que ses principales figures politiques – comme le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu – font l’objet d’une vaste offensive judiciaire. Depuis février 2024, le parti est poursuivi dans treize dossiers distincts, et les nombreuses audiences prévues au mois de septembre augurent d’un véritable marathon judiciaire éprouvant pour le CHP.

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A défaut de réconquérir le coeur des électeurs pour remonter dans les enquêtes d’opinion, le pouvoir s’emploie à saper l’opposition par tous les moyens. Le mois dernier, le chef du CHP avait accusé l’AKP de menacer certains élus du CHP d’emprisonnement et de les faire chanter afin qu’ils rejoignent les rangs de la coalition présidentielle. Les habitants de la ville méditerranéenne d’Aydin (1,1 million d’habitants) ont ainsi assisté au transfert de leur maire élue, Özlem Çerçioglu, à l’AKP lors du 24e anniversaire de la création du parti, le 14 août. La principale intéressée, encartée au CHP depuis plus de vingt ans, a fermement nié l’interprétation d’Özgür Özel, sans pour autant donner d’explications développées sur ce soudain revirement idéologique.

Tour de passe passe administratif, la tenue d’un nouveau congrès extraordinaire le 21 septembre permettra au parti de gagner du temps, mais tout indique que le pouvoir ne s’arrêtera pas là. Les divisions internes au CHP sont également habilement instrumentalisées. Si Özgür Özel et son équipe venaient effectivement à être démis de leur fonction et remplacés, Kemal Kiliçdaroglu, ancien chef du parti et perdant de l’élection présidentielle de 2023, serait pressenti pour le remplacer.

Céline Pierre-Magnani

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