Le Monde, le 21 septembre 2025
Le chef d’Etat turc se rendra en visite officielle à Washington jeudi 25 septembre. Il devrait discuter avec son homologue américain d’importants contrats d’aviation civil et militaire.
Recep Tayyip Erdogan peut jubiler. Après quatre années de tentatives infructueuses auprès du président Joe Biden, le chef d’Etat turc a décroché une visite officielle à Washington sous les ors de la Maison Blanche, programmée le jeudi 25 septembre. L’annonce a été faite par Donald Trump sur son réseau Truth Social, vendredi soir.
Dans son message, le président américain a précisé que les deux hommes discuteront en particulier d’importants contrats d’aviation civile et militaire. « Le président Erdogan et moi avons toujours entretenu d’excellentes relations. Je me réjouis de le revoir », souligne-t-il. L’adresse publiée sur son compte X, quelques heures plus tard, à son « estimé homologue et ami », par le chef d’Etat turc précise que les sujets abordés seront nombreux : « Je crois que notre rencontre contribuera à mettre fin aux guerres et aux conflits dans notre région dans le cadre de notre vision commune de la paix mondiale. » Rien de moins.
Rien d’étonnant, non plus. La visite est pour Recep Tayyip Erdogan un moyen de réaffirmer aux yeux de son électorat son rôle de premier plan sur la scène internationale, à un moment où la Turquie sombre de plus en plus dans une crise économique et une frénésie de répression contre l’opposition. En 2022, lors de sa tournée au Proche-Orient, Joe Biden avait évité de s’arrêter en Turquie. Son secrétaire d’Etat Antony Blinken, lors de sa dernière venue dans la région en 2024, n’avait pas non plus fait escale à Ankara.
Lire aussi notre éditorial | La Turquie d’Erdogan bascule dans l’autocratie
L’annonce de la visite intervient après plusieurs jours de rumeurs dans les médias sur une rencontre « secrète » entre le fils aîné du président américain, Donald Trump Jr. et Recep Tayyip Erdogan dans le palais de Dolmabahçe, à Istanbul, mi-septembre. Mentionnée dans l’agenda présidentiel comme une rencontre avec « un homme d’affaires », cette visite aurait permis d’obtenir l’invitation tant convoitée à la Maison Blanche.
Relation tumultueuse mais fonctionnelle
L’affaire a pris une tournure politique plus musclée avec l’intervention, lors d’un meeting à Istanbul mercredi soir, du principal leader de l’opposition, Özgür Özel, qui a exigé une clarification sur d’éventuels accords commerciaux : « Alors que la Palestine [saigne], ils cherchent à faire des affaires avec le fils de Trump et des lobbyistes », a-t-il déclaré, affirmant que Recep Tayyip Erdogan a promis d’acheter 300 avions aux Etats-Unis en échange d’une rencontre avec Donald Trump.
Des sources proches du président Erdogan ont confirmé à la chaîne allemande Deutsche Welle qu’une rencontre avait bien eu lieu, mais qu’il s’agissait plutôt d’une visite de courtoisie. Sans vraiment convaincre. Au même moment, le New York Times révélaitque la fille de Trump, Tiffany, et son mari, Michael Boulos, avaient passé l’été à naviguer en Méditerranée à bord d’un yacht de luxe, le Phoenix 2, appartenant au milliardaire turc Ercüment Bayegan et à sa femme turco-serbe, Ruya, qui possèdent d’importants intérêts dans le pétrole libyen.
Lire aussi | En Libye, la Turquie exerce une influence croissante
Le quotidien américain rappelait que le beau-père de Tiffany, Massad Boulos, conseiller principal de Trump pour l’Afrique, avait rencontré au cours de cette même période des responsables du secteur de l’énergie et des dirigeants libyens à Tripoli. Fin août, ce fut au tour du chef des services secrets turcs, Ibrahim Kalin, d’effectuer à Benghazi une visite historique, où il a rencontré le maréchal Haftar. Après avoir soutenu pendant six ans l’Ouest, Ankara a décidé de changer de pied en dressant des passerelles avec l’Est, où est produite la majeure partie du pétrole. Les appétits conjugués d’énergie et de souveraineté autorisent toute sorte de contorsions.
Dans les faits, la dernière visite officielle du président turc à la Maison Blanche remonte au 13 novembre 2019, à l’époque du premier mandat de Donald Trump. Selon des sources proches des deux administrations, les deux dirigeants ont entretenu une relation tumultueuse mais fonctionnelle entre 2016 et 2020. « Malgré des moments de tension, Trump et Erdogan se respectaient et se faisaient confiance, sachant qu’ils pouvaient se parler en cas de crise, a déclaré, sous couvert d’anonymat, un ancien conseiller du président turc au site d’informations Al-Monitor. J’irais même jusqu’à dire qu’ils aimaient se lancer des défis. »
« Un accord majeur sur les F-16 »
Cependant, cette relation privilégiée n’a pas été sans accrocs. L’achat par Ankara de systèmes de défense aérienne russes S-400 a incité les Etats-Unis à exclure, en 2019, la Turquie du programme d’avions de combat F-35 et à imposer des sanctions à son industrie de défense. Les incursions militaires d’Ankara dans le nord de la Syrie visant les Unités de protection du peuple (YPG) – une force kurde, alliée des Etats-Unis dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) mais considérée par la Turquie comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – ont encore compliqué les relations.
Lire aussi | Après un an de tensions, les Etats-Unis approuvent la vente de chasseurs F-16 à la Turquie
Le 9 octobre 2019, le jour où Ankara avait lancé ses troupes à l’assaut des Kurdes dans le Nord syrien, Donald Trump avait adressé une lettre à Recep Tayyip Erdogan dans laquelle il l’exhortait à ne pas « jouer au dur » ni à « faire l’imbécile » : « Vous ne souhaitez pas être responsable du massacre de milliers de personnes, et je ne veux pas être responsable de la destruction de l’économie turque – ce que je ferais (si nécessaire) », avait ajouté le président américain, suscitant l’ire des dirigeants turcs.
Dans son message vendredi sur Truth Social, Donald Trump s’est montré nettement plus avenant. « Nous travaillons sur de nombreux accords commerciaux et militaires avec le président, notamment l’achat à grande échelle d’avions Boeing, un accord majeur sur les F-16 et la poursuite des négociations sur les F-35, qui devraient aboutir à une conclusion positive », a-t-il assuré. D’après l’agence Bloomberg, Boeing Co. et Lockheed Martin Corp. espèrent remporter des commandes de livraison à la Turquie portant sur 250 avions commerciaux et des chasseurs F-16 supplémentaires.
Lire aussi Le F-35 américain, un avion de chasse symbole de dépendance européenne
Lors d’une courte conférence de presse dimanche matin, en présence de son ministre des affaires étrangères, Hakan Fidan, le président turc a tourné en ridicule une question du journaliste de l’agence de presse officielle Anadolu. Celui-ci lui demandait s’il avait conclu un « accord à propos de Gaza » avec le fils Trump, comme l’a suggéré l’opposant Özgür Özel.