COURRIER INTERNATIONAL, le 8 octobre 2025
Les Kurdes de Turquie attendaient beaucoup de la libération symbolique de Selahattin Demirtas, prisonnier politique emprisonné depuis neuf ans, mais elle n’a pas eu lieu. Et les tensions croissantes entre le pouvoir à Damas et les Kurdes qui tiennent le nord-est de la Syrie réduisent encore les chances d’un dialogue.
Fin février 2025, Abdullah Öcalan, le leader de la guérilla kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui combat les autorités turques depuis 1984, avait appelé à la dissolution de l’organisation et à des accords de paix avec le pouvoir d’Ankara. Cette déclaration avait été saluée par le parti prokurde de Turquie, le DEM, et avait obtenu l’accord des cadres de la guérilla, réfugiés dans leur bastion des montagnes du nord de l’Irak, d’où l’armée turque est impuissante à les déloger.
Une commission spéciale pour la paix avait été créée à l’Assemblée nationale turque, rassemblant des représentants des différents partis du pays. Mais aucune avancée n’est à noter depuis plusieurs mois. Les signes de détente attendus de la part du pouvoir d’Ankara ne se manifestent pas.
Pour preuve, la Turquie a renoncé à libérer, le 7 octobre, le charismatique ancien leader du DEM, l’avocat spécialiste des droits de l’homme Selahattin Demirtas, rapporte le média en ligne Bianet.
En détention depuis 2016, il avait été condamné à quarante-deux ans de prison pour avoir, en 2014, appelé à des manifestations qui avaient dégénéré en affrontements à travers le pays contre l’inaction de la Turquie. Celle-ci empêchait les volontaires kurdes de traverser la frontière pour combattre les djihadistes de l’État islamique assiégeant la ville kurde syrienne de Kobane.

Sa détention a valu à la Turquie d’être condamnée à deux reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en 2020 et, plus récemment, en juillet 2025. Sa libération était espérée le 7 octobre, la Turquie ayant jusqu’à cette date pour faire appliquer la dernière décision de la CEDH exigeant son affranchissement.
Mais Ankara a finalement décidé de faire appel et de le maintenir en détention. Les dirigeants du DEM ont déploré une décision qui “abîme la justice et la paix”, rapporte le média. “La libération de l’otage Selahattin Demirtas aurait renforcé l’espoir et la confiance des Kurdes dans le processus de paix, mais la libération d’un acteur politique aussi important aurait aussi été un risque pour le pouvoir”, analyse le quotidien de gauche Evrensel.
D’un autre côté, Devlet Bahçeli, le leader de l’extrême droite turque, allié indispensable du président, l’islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan, a de nouveau manifesté son soutien au processus de paix, rapporte le média en ligne T24.
Le dirigeant du parti fasciste turc du MHP a ainsi déclaré qu’il était favorable à ce que les représentants de la commission se rendent, fin octobre ou début novembre, sur l’île-prison d’Imrali, en mer de Marmara, pour rencontrer en personne Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK emprisonné depuis 1999. Une décision plutôt spectaculaire, le MHP ayant réclamé pendant vingt ans l’exécution du fondateur de la guérilla kurde.
“Nous avons fait notre part”
Ces tiraillements interviennent alors que la direction du PKK, par la voix d’un de ses dirigeants, Mustafa Karasu, s’est dite début octobre impatiente d’un geste de la part du gouvernement turc. “Nous avons fait notre part du marché, renoncé aux armes, nous attendons désormais que le pouvoir fasse un pas dans notre direction, en commençant par lever le régime d’isolement auquel est soumis Abdullah Öcalan”, avait-il déclaré, rapporte le média prokurde Nupel.tv.
Les précaires négociations de paix pourraient être définitivement sabordées en raison des tensions en Syrie voisine, où les affrontements se sont multipliés entre le gouvernement islamiste soutenu par Ankara et les forces kurdes proches du PKK, qui tiennent le nord-est du pays.
Lundi 6 octobre, des combats ont ainsi eu lieu dans des quartiers kurdes de la ville d’Alep, avant l’annonce d’un cessez-le-feu négocié sous patronage américain. Ce sujet sera abordé le 8 octobre par le ministre des Affaires étrangères turc et son homologue syrien à Ankara, rapporte le quotidien nationaliste Türkiye.
“Nous les frapperons ensemble”, proclame à sa une le journal, qui brandit la menace d’une intervention militaire conjointe de la Syrie et de la Turquie contre les Kurdes syriens dans les prochains mois, si ces derniers refusent de se désarmer et de se soumettre à l’autorité de Damas.
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