En Turquie, Fatih Altayli, célèbre journaliste et présentateur télé, condamné à plus de quatre ans de prison/Nicolas Bourcier/LE MONDE

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Le Monde, le 27 novembre 2025

L’affaire marque une nouvelle étape dans l’agonie de la liberté de la presse en Turquie, où 85 % des médias nationaux sont entre les mains du pouvoir.

Fatih Altayli est une des figures les plus importantes et influentes du journalisme turc. Comme de nombreux autres confrères, il a été obligé de quitter plusieurs fois son poste ces dernières années, après les reprises successives des groupes de presse auxquels il collaborait par des dirigeants liés au pouvoir. Plus de 85 % des médias nationaux sont aujourd’hui entre leurs mains.

Comme beaucoup d’autres animateurs de télévision et commentateurs, Fatih Altayli a continué depuis son salon à donner libre cours à sa parole sur une chaîne YouTube qu’il a lui même créée. Celle-ci comptait près de 1,7 million d’abonnés le jour de son arrestation, fin juin. Après cinq mois de détention, il vient d’être condamné par le tribunal correctionnel d’Istanbul, mercredi 26 novembre, à quatre ans et deux mois de prison ferme pour « menaces contre le président ».

Ses avocats ont déclaré qu’ils allaient faire appel. A l’énoncé du verdict, Erol Önderoglu, de Reporter sans frontières (RSF), a déploré un verdict « qui ne constitue pas seulement une sanction injustifiable et impitoyable infligée à ce journaliste de renom, mais vise aussi à intimider l’opinion publique critique ». Il ajoute : « Cette peine, la plus lourde prononcée ces dernières années, qui repose sur des propos sortis de leur contexte, doit être annulée. »

Dans sa première déclaration devant le juge, il explique : « Lors de l’émission, j’ai indiqué que le peuple turc a toujours aimé la participation active à l’administration de l’Etat par le biais du vote depuis les réformes du Tanzimat [sous l’ère ottomane].(…) Je n’ai absolument aucune intention menaçante. J’ai exercé mon droit de critiquer le président Erdogan, que je connais personnellement. »

Lors de la première audience, qui s’est tenue dans une salle comble du tribunal de Silivri, le 3 octobre, il a insisté : « Tout au long de mes quarante années et plus de vie professionnelle, tout au long de ma vie, je n’ai jamais menacé une seule personne qui n’était ni plus faible ni plus forte que moi. » Soulignant qu’il était depuis pris pour cible sur les réseaux sociaux, il a ajouté : « Quinze à vingt secondes ont été coupées d’un propos plutôt bien intentionné. J’ai été lynché sur les réseaux et jeté dans une cellule à Silivri. (…) Je ne suis pas un journaliste dit “de l’opposition”, je défends seulement la liberté de rêver, la liberté de rêver différemment. »

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Jusqu’en octobre, sa chaîne YouTube est restée ouverte. Les émissions de Fatih Altayli se résumaient à un fauteuil vide et des lettres lues en voix off, qu’il avait rédigées depuis sa cellule. Elles ont été parmi les émissions les plus regardées quotidiennement en Turquie. Un tribunal pénal a ordonné l’interdiction d’accès à sa chaîne. Pour l’heure, YouTube n’a pas donné suite à cette exigence.

Nicolas Bourcier (Istanbul, correspondant)

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