Léon XIV, en visite en Turquie et au Liban, s’illustre par sa retenue et sa prudence/Sarah Belouezzane/LE MONDE

Must read

LE MONDE le 30 novembre 2025

Après trois jours en Turquie, le pape est arrivé dimanche au Liban, pour la deuxième étape de son premier voyage à l’étranger depuis son élection. Comme à Istanbul, il a observé une certaine réserve dans ses paroles, afin d’éviter les faux pas dans un pays traversé par les tensions religieuses.

L’avion bleu transportant le pape se préparait à atterrir sur le port de Beyrouth, quand deux avions de chasse se sont approchés de la carlingue pour l’escorter dans sa descente. Après trois jours en Turquie dans une atmosphère relativement indifférente, Léon XIV a été accueilli chaleureusement au Liban, dimanche 30 novembre, deuxième étape de son premier voyage en dehors de l’Italie depuis son élection, en mai. Partout, sur la route, dans les rues, sur les ponts, des panneaux le représentant saluant la foule ont été accrochés.

Après avoir rendu une visite de courtoisie au président libanais, Joseph Aoun, et s’être entretenu avec le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, et le premier ministre, Nawaf Salam, Léon XIV s’est adressé aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique. Comme en Turquie, il a donné à voir sa méthode : une forme de réserve, des mots pesés au trébuchet et des messages à lire en filigrane.

Louant les dirigeants du pays du Cèdre, qu’il a soigneusement évité de froisser, le pape les a qualifiés d’« artisans de la paix, dans des circonstances très complexes, conflictuelles et incertaines ».

Le « courage de rester »

Dans un Liban traversé de tensions religieuses permanentes et particulièrement perméables aux convulsions géopolitiques du Proche-Orient, Léon XIV a enjoint à tous ceux qui l’écoutaient de ne jamais négliger le travail de mémoire indispensable au « rapprochement entre ceux qui ont subi des torts et des injustices ». Un effort nécessaire, selon lui, à la « paix ».

Deux avions militaires libanais escortent l’avion du pape Léon XIV avant son atterrissage, à Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Deux avions militaires libanais escortent l’avion du pape Léon XIV avant son atterrissage, à Beyrouth, le 30 novembre 2025. ANDREAS SOLARO VIA REUTERS

A destination des jeunes du pays, devant lesquels il s’exprimera, lundi, à Bkerké, au nord de Beyrouth, Léon XIV a vanté ceux qui « osent rester ». « Il arrive parfois qu’il soit plus facile de fuir ou, tout simplement, plus pratique d’aller ailleurs », a-t-il regretté, ajoutant qu’il faut « vraiment du courage et de la clairvoyance pour rester ou revenir » dans un pays où les « conditions » sont « difficiles ». Un appel également adressé aux chrétiens de la région, notamment de Syrie, qui ont massivement quitté leur pays depuis 2011.

Pour que cela puisse être possible, le chef des catholiques a mis en garde les dirigeants libanais, expliquant que les situations ne s’améliorent pas uniquement grâce à « la disponibilité et au courage de certains ». La réconciliation, a-t-il insisté, « a besoin d’autorités et d’institutions qui reconnaissent que le bien commun est supérieur à celui d’une partie ». Quelques minutes plus tôt, il leur avait « demandé de ne jamais [se] séparer des gens » et de « se mettre au service de [leur] peuple ».

Le convoi escortant le pape Léon XIV à Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Le convoi escortant le pape Léon XIV à Beyrouth, le 30 novembre 2025. MOHAMMED ZAATARI/AP

Depuis le début de son voyage, comme c’est le cas depuis son élection, Léon fait passer ses messages avec subtilité, calme et retenue, sans jamais tancer ses interlocuteurs. Ses trois jours et demi passés en Turquie, qui l’ont vu rencontrer le président Recep Tayyip Erdogan, des autorités musulmanes ou les Arméniens de Turquie, ont été en permanence teintés de cette prudence, aussi bien dans les paroles que dans les gestes. Une différence avec son prédécesseur, François, qui pouvait parfois morigéner ses interlocuteurs à l’étranger.

Dans son discours prononcé à Beyrouth, dimanche, Léon n’a ainsi pas répondu au message qui lui avait été adressé la veille au soir par le Hezbollah, l’exhortant à rejeter « l’injustice et l’agression d’Israël » contre le Liban.

Inclination pour une solution à deux Etats

En Turquie, les circonstances exigeaient cette prudence autant qu’au Liban, notamment sur certains sujets sensibles, comme celui du génocide des Arméniens, en 1915. Dimanche, avant un ultime déjeuner avec le patriarche de Constantinople, Bartholomée, à l’invitation duquel il est venu en Turquie fêter le 1700e anniversaire du concile de Nicée (qui a défini le Credo, soit l’essentiel de la profession de foi partagée par les catholiques, les protestants et les orthodoxes), Léon XIV s’est justement rendu à la cathédrale arménienne. Là il a soigneusement évité d’utiliser le mot « génocide », faisant montre une fois encore de sobriété : « Cette visite m’offre l’occasion de remercier Dieu pour le courageux témoignage chrétien du peuple arménien au cours des siècles, souvent lors de circonstances tragiques », a-t-il simplement déclaré, avant d’insister sur la nécessité du dialogue entre chrétiens.

Le pape Léon XIV et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara, le 27 novembre 2025.
Le pape Léon XIV et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara, le 27 novembre 2025. MURAT KULA/PPO VIA REUTERS
Le pape Léon XIV, accompagné de responsables musulmans et du ministre turc de la culture et du tourisme, à la Mosquée bleue, à Istanbul, le 29 novembre 2025.
Le pape Léon XIV, accompagné de responsables musulmans et du ministre turc de la culture et du tourisme, à la Mosquée bleue, à Istanbul, le 29 novembre 2025. DOMENICO STINELLIS/AP

Dans l’avion qui le conduisait à Beyrouth, le pape a répondu, lors d’une conférence de presse improvisée, à deux questions de journalistes turcs sur le rôle du président Erdogan dans les conflits qui embrasent la région, en Ukraine et à Gaza. Evoquant les thèmes de son voyage, « paix et unité », Léon XIV a simplement redit son inclination pour une solution à deux Etats pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Il a aussi répété son espoir que le président Erdogan puisse aider à arrêter la guerre en Ukraine en jouant les intermédiaires entre Moscou et Kiev.

Lire aussi | En Turquie, sur les vestiges de l’ancienne Nicée, le pape appelle les chrétiens à « éviter le scandale des divisions »

Samedi, lors de sa visite à la Mosquée bleue d’Istanbul, le pape s’était déjà illustré par sa pondération. Après s’être déchaussé et avoir laissé apercevoir des chaussettes blanches – clin d’œil à son équipe préférée de base-ball, les White Sox de Chicago –, il s’est promené sous les magnifiques voûtes du monument.

Accompagné du grand mufti d’Istanbul et d’autres responsables musulmans de la ville, Léon XIV a fait le choix de ne pas s’arrêter pour se recueillir ou prier, comme il était pourtant indiqué dans le livret de description du voyage. Ce faisant, le pape des Amériques s’est distingué de ses prédécesseurs, Benoit XVI et François, qui s’étaient tous deux recueillis à la Mosquée bleue, en 2006 et en 2014. Il a montré son désir de dialogue avec les musulmans sans pour autant offenser ceux d’entre eux à qui un tel geste n’aurait pas plu, ni ceux, parmi les catholiques, qui auraient pu le lui reprocher.

Sarah Belouezzane (Beyrouth – envoyée spéciale )


More articles

Latest article