Le Nouvel Observateur, le 1e décembre 2025
Dans son « Guide pour protéger votre démocratie contre le populisme », l’historien britannique Timothy Garton Ash s’inspire de l’exemple des Pays-Bas, où l’extrême droite de Geert Wilders a perdu les élections au profit du libéral Rob Jetten.
En 2019, Ece Temelkuran, une journaliste turque contrainte à l’exil par l’érosion des libertés dans son pays, publiait un livre au titre éloquent : « Comment conduire un pays à sa perte » (Stock). Elle y analysait « les sept étapes que franchit le leader populiste qui lui permettent de passer de personnage ridicule à celui d’autocrate sérieusement terrifiant ». C’était la Turquie, cela semblait loin… En 2025, Timothy Garton Ash, historien et essayiste britannique réputé, propose son « Guide pour protéger votre démocratie contre le populisme » sur la plateforme Substack. Il s’inscrit dans la même démarche qu’Ece Temelkuran six ans plus tôt, mais dans le contexte des démocraties libérales occidentales, pas celui d’un pays comme la Turquie, à l’histoire politique instable. Il écrit : « Comment défendre nos démocraties contre ceux qui veulent les détruire ? Nous parlons beaucoup de stratégies pour tenir les forces populistes nationalistes, antilibérales, à l’écart du pouvoir, mais les violentes attaques quotidiennes de Donald Trump montrent qu’il est tout aussi important de renforcer votre démocratie pour qu’elle puisse survivre à une période de populisme au pouvoir. »
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Ce questionnement est significatif. Le retour de Trump à la Maison-Blanche, avec une détermination et une démarche idéologique sans commune mesure avec son premier passage au pouvoir entre 2017 et 2021, marque un tournant. Le président républicain tente de modifier les équilibres institutionnels aux Etats-Unis au profit d’une centralisation inédite du pouvoir ; et son administration est devenue un soutien actif des forces populistes et d’extrême droite dans le monde, de l’Amérique latine à l’Europe, comme l’avait montré, dès le début du mandat, J. D. Vance dans son discours à Munich.
Le redoutable vice-président américain avait d’ailleurs préféré rencontrer Alice Weidel, la dirigeante du parti d’extrême droite allemand AfD, plutôt que le chancelier sortant Olaf Scholz. L’AfD est aujourd’hui devant la CDU de l’actuel chancelier, Friedrich Merz, dans les sondages, tout comme le parti Reform UK, de Nigel Farage, promoteur du Brexit et ami de Steve Bannon, trumpiste de la première heure, domine les sondages britanniques, et le Rassemblement national ceux de la France.
Dans sa lettre, Timothy Garton Ash s’inspire de l’exemple des Pays-Bas, où l’extrême droite de Geert Wilders a remporté les élections et accédé au pouvoir dans une coalition, pour se révéler incapable de gouverner. Résultat, Wilders a perdu (de peu) les élections anticipées suivantes, au profit d’un jeune dirigeant libéral, Rob Jetten. L’essayiste en tire quelques leçons, sur le rôle de la représentation proportionnelle qui favorise les coalitions, la nécessité de renforcer des services publics d’information au lieu de les affaiblir systématiquement, la défense de l’indépendance de la justice et la neutralité de la fonction publique. D’Ece Temelkuran à Timothy Garton Ash, c’est le même cri d’alarme provoqué par la montée des autocrates, d’Ankara à Washington. L’Europe est devenue le maillon faible de la démocratie libérale, soumise à la pression de Donald Trump et de Vladimir Poutine, et tiraillée par des forces qui se sentent pousser des ailes et rêvent de renverser la table à leur profit. La question est donc bien celle-là : comment défendre nos démocraties contre ceux qui veulent les détruire ?
Par Pierre Haski
