Recevant son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, le président américain a assuré qu’il ne permettrait pas à Israël d’annexer la Cisjordanie.
Recep Tayyip Erdogan est demeuré de marbre devant les caméras, aux côtés de Donald Trump, dans le bureau Ovale. En dehors de quelques propos convenus, le président turc a laissé son hôte, jeudi 25 septembre, assurer les commentaires avant leur entretien. Le dirigeant américain a parlé avec estime de son invité, dont la poigne de fer, sur le plan intérieur, suscite forcément son envie. « Quand j’étais en exil, on était toujours amis », a noté Donald Trump, au sujet de sa propre traversée du désert, après sa défaite face à Joe Biden en 2020. « Il sait mieux que quiconque ce que sont des élections truquées », a-t-il ajouté au sujet du président turc, sans que l’on saisisse en quoi il s’agissait d’un compliment.
Cette réception de Recep Tayyip Erdogan, au cours de cette riche semaine diplomatique à New York autour de l’Assemblée générale des Nations unies, est une marque de reconnaissance personnelle et géopolitique. La Turquie est considérée par l’administration américaine comme un acteur essentiel au Moyen-Orient et dans les deux guerres que Donald Trump prétend éteindre, en Ukraine et à Gaza. Mais le premier sujet était bilatéral et sécuritaire. La Turquie veut renforcer ses capacités militaires. Pour cela, elle doit entrer dans la logique transactionnelle de Donald Trump.
En 2017, la Turquie avait été écartée du programme d’acquisition des avions de chasse F-35 et visée par des sanctions américaines prévues par le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (Caatsa, « loi visant à contrer les ennemis de l’Amérique par des sanctions »), en raison de l’annonce de l’acquisition de missiles S-400 auprès de la Russie. Ces systèmes étaient considérés par les spécialistes comme incompatibles avec ceux opérés dans le cadre de l’OTAN, dont la Turquie est membre.
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Jeudi, Donald Trump a semblé se montrer ouvert à une conclusion heureuse, mais sans entrer dans les détails. « Je pense que vous réussirez à acheter les choses que vous voulez acheter », a-t-il dit. Et la levée des sanctions américaines ? « Si on a une bonne rencontre, presque immédiatement », a-t-il ajouté.
« Proche » d’un accord sur Gaza
Selon Asli Aydintasbas, experte au cercle de réflexion Brookings Institution, il n’y aurait pas d’engagement à ce stade du côté américain. Mais Washington pourrait envisager une « solution originale » et suggérer « une forme de régime d’inspection pour les S-400 qui se trouvent sur le sol turc. Je ne pense pas qu’ils s’attendent à ce que la Turquie les renvoie à la Russie, mais ils veulent avoir un contrôle sur ce qui est déployé et son utilisation éventuelle. Ce sera une décision importante pour Erdogan ».
Concernant la guerre à Gaza, Donald Trump ne s’est pas étendu. Il n’a pas été interrogé sur les propos récents de Recep Tayyip Erdogan, qualifiant le Hamas de « groupe de résistance ». Le président américain, qui a rencontré les principaux dirigeants arabes à New York, estime qu’une forme d’accord serait « proche », pour cesser la guerre. « Je ne permettrai pas à Israël d’annexer la Cisjordanie », a dit Donald Trump, dans un message clair aux capitales arabes. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est appelé à arrêter la guerre à Gaza par Washington, qui se garde pour l’instant de le mettre nommément en cause. Benyamin Nétanyahou, attendu une nouvelle fois à la Maison Blanche, lundi 29 septembre, voit d’un mauvais œil la bonne relation turco-américaine et ne veut pas qu’Ankara devienne un rival régional de l’Etat hébreu en raison de ses capacités aériennes.
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Acteur-clé en mer Noire, la Turquie est aussi perçue à Washington comme détenant une partie de la solution dans la guerre en Ukraine. Confirmant son inflexion rhétorique récente, qui ressemble à une simple tactique de négociation, Donald Trump a mis en cause Moscou pour la poursuite du conflit. « La Russie a dépensé des millions et des millions de dollars en bombes, missiles et munitions et vies humaines. Et ils n’ont quasiment pas gagné de territoire. Je pense qu’il est temps d’arrêter », a-t-il déclaré, jeudi. « [Le président Erdogan] pourrait avoir une grande influence s’il le voulait », a-t-il précisé, ajoutant que celui-ci « aime être neutre ». Mais « la meilleure chose qu’il pourrait faire est de ne pas acheter de pétrole et de gaz à la Russie ».
Dépendance à Moscou
Un peu plus tard, dans ce même bureau Ovale, lors d’une autre interaction avec la presse, Donald Trump se montrait de nouveau insistant au sujet d’Erdogan : « Je pense qu’il va arrêter cela. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il peut l’acheter auprès d’autres gens. » En revanche, selon le président, le cas de la Slovaquie et de la Hongrie, clients européens de la Russie, serait différent, car ils sont « mariés à un pipeline », sans autre possibilité d’importation.
Cette pression publique sur la Turquie a peu de chances d’aboutir, car ce pays est le troisième importateur de ces ressources naturelles russes après la Chine et l’Inde. Elle constitue néanmoins une surprise. Depuis deux ans et demi, la Turquie a acheté pour plus de 90 milliards de dollars (soit près de 77 milliards d’euros) de gaz naturel, de pétrole et de charbon à la Russie, à des prix amicaux. Une vraie dépendance. « Trump veut rappeler à Erdogan qui a le dessus et les moyens de pression ici, résume Asli Aydintasbas. Les Américains ne vont pas frapper la Turquie avec des sanctions, mais cela suffit pour rendre tout le monde très nerveux dans le pays, notamment les marchés. »
Enfin, Donald Trump a rendu hommage à l’action décisive de la Turquie dans la chute du régime d’Al-Assad en Syrie. Dessinant un alignement spectaculaire des positions des deux pays dans ce dossier, le président américain a salué cette « grande réussite » devant son hôte, reconnaissant ainsi, dans sa logique géopolitique des chasses gardées, une zone d’influence turque.
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« [M. Erdogan] a pris le contrôle de la Syrie et il ne veut pas s’en attribuer le mérite. Vous savez, tous ces gens sont ses auxiliaires », a estimé Donald Trump, en référence au nouveau pouvoir syrien, incarné par le président de transition, Ahmed Al-Charaa. Il a notamment précisé qu’il avait levé les sanctions américaines contre la Syrie à la demande de la Turquie et de l’Arabie saoudite, pour donner une chance à Damas.