En Turquie, l’opposition inquiète après une nouvelle vague d’arrestations contre la mairie d’Istanbul/ COURRIER INTERNATIONAL

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Courrier International, le 2 juin 2025

En pleine fuite en avant autoritaire, le pouvoir de Recep Tayyip Erodgan pourrait tenter de prendre le contrôle administratif de la municipalité de la mégalopole, dont le maire, Ekrem Imamoglu, est emprisonné depuis mars. Au risque de déclencher une crise politique majeure.

La répression judiciaire contre le CHP (kémaliste, laïc et nationaliste), le principal parti d’opposition de Turquie, s’intensifie. Depuis l’arrestation, le 19 mars, du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu – considéré comme le principal rival du président islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan – et de plusieurs de ses proches, les coups de filet se multiplient.

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Le 31 mai, 34 interpellations ont été effectuées. Parmi les personnes arrêtées figurent notamment trois maires d’arrondissement de la mégalopole, rapporte le quotidien d’opposition de gauche Birgün. Anciens élus ou responsables des services municipaux, les interpellés sont accusés de faits de “corruption”.

Il s’agit de la cinquième vague d’arrestations – la plus importante depuis le mois de mars – dans le cadre du procès ouvert contre Ekrem Imamoglu, souligne la BBC Türkçe. Ces dernières arrestations portent à 117 le nombre de personnes interpellées dans ce cadre.

Un administrateur à la tête d’Istanbul ?

Apprenant la nouvelle lors d’un meeting, le leader du CHP, Özgür Özel, a dénoncé un “coup d’État, fomenté non pas depuis un char mais derrière la robe d’un procureur”, visant le procureur général d’Istanbul, bête noire de l’opposition et connu pour sa proximité avec le pouvoir.

Ces arrestations font craindre à l’opposition que le pouvoir ne tente in fine de nommer un administrateur à la tête de la mairie, comme il l’a fait ces derniers mois à travers le pays avec des mairies d’opposition, et ne s’empare des lieux par la force.

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Le CHP clame qu’il s’agissait du plan initialement voulu par Recep Tayyip Erdogan mais que le leader turc avait fini par faire machine arrière face à la mobilisation des manifestants en mars, mais aussi à cause de la chute libre de la monnaie nationale après la fuite des investisseurs.

Saisi par des avocats de l’opposition, un tribunal administratif d’Istanbul a jugé, jeudi 29 mai, que la nomination d’un administrateur à la tête d’un arrondissement de la ville après l’emprisonnement du maire violait le droit de vote et les principes démocratiques et était contraire à la Constitution, rapporte le média en ligne Diken.

La Cour constitutionnelle dispose désormais de cinq mois pour trancher sur le sujet. Il est toutefois à noter que certaines de ses décisions précédentes, concernant notamment la libération de figures d’opposition n’ont pas été appliquées par la justice.

Invisibiliser Ekrem Imamoglu

Les autorités turques font également en sorte d’invisibiliser le maire emprisonné Ekrem Imamoglu, en retirant, sur ordre du procureur, toutes les affiches et pancartes à son effigie des rues et des murs de la ville, rapporte le quotidien Evrensel. Une nouvelle décision vient désormais d’interdire la diffusion de vidéos ou du son de la voix de l’édile dans les transports publics (métro, bus et bateaux) de la ville.

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Ceci s’ajoute au fait que le 8 mai dernier, le réseau social X [ex-Twitter, propriété du milliardaire américain Elon Musk, qui a affiché publiquement sa proximité avec Erdogan] a accepté de supprimer l’accès depuis la Turquie au compte d’Ekrem Imamoglu, qui était pourtant sa principale plateforme d’expression depuis sa prison, sa parole y étant retranscrite par ses proches et avocats, rapporte le quotidien Milliyet.

Le président Erdogan a affirmé à de multiples reprises son soutien au procureur d’Istanbul, déclarant qu’il s’agissait de la lutte contre “une organisation criminelle basée sur la corruption et le racket qui menace la sécurité nationale, une pieuvre avec des ramifications internationales”, souligne le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak.

En visite en Turquie le 30 mai, le député européen socialiste espagnol Nacho Sánchez Amor, rapporteur permanent sur le dossier de l’intégration de la Turquie auprès du Parlement européen, s’est rendu dans les locaux de la municipalité, mais aussi dans la prison de Silivri, en banlieue d’Istanbul, où il a rencontré le maire emprisonné, rapporte le média en ligne T24.

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Le député européen a dénoncé un “procès monté de toutes pièces”, avant que de souligner que l’instrumentalisation politique de la justice représentait un obstacle majeur dans les négociations entre l’Union européenne et Ankara : “L’avenir d’une Turquie dans l’Union Européenne commence à Silivri”, a-t-il conclu.

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