Courrier International, le 1e décembre 2025
Les drones turcs avaient été très suivis au début de la guerre en Ukraine, où ils ont été utilisés par Kiev pour frapper les colonnes de blindés russes en route pour la capitale ukrainienne. Ils refont désormais parler d’eux, puisque le constructeur Baykar s’est félicité, dimanche 30 novembre, d’avoir pour la première fois abattu un avion de combat en mouvement et hors de portée visuelle à l’aide d’un drone armé, applaudit la presse turque favorable au gouvernement.
“Une première dans l’histoire de l’aviation mondiale !” clame ainsi le quotidien Milliyet. “Même les Américains ne sont pas parvenus à réaliser ce rêve, Israël sous le choc”, renchérit le média en ligne Haber7, dans un contexte de tensions entre Ankara et Tel-Aviv. “Le F-35 n’a plus aucune chance ! Le Kizil Elma est invincible”, s’emportent même des invités de la chaîne de télévision Haber Global.
Une prouesse à relativiser
Réalisée par le dernier modèle des drones turcs, le Kizil Elma [“Pomme rouge”, baptisé en référence à un mythe cher à l’extrême droite turque], à l’aide de radars et de missiles air-air de conception turque, cette prouesse technique est à relativiser. Pour ce test réussi, la cible choisie était en effet un avion F-16 d’un modèle vieillissant, et non un avion de combat furtif et aussi rapide que le F-35 américain, par exemple.
Forte de la publicité gagnée avec le conflit ukrainien et de sa propension à vendre ses nouvelles armes à des régimes jugés peu recommandables, la Turquie est devenue l’un des premiers exportateurs mondiaux de drones. Le patron de la firme Baykar, Selçuk Bayraktar, a même été propulsé au rang de contribuable le plus imposé du pays ces dernières années, souligne le média Forbes Türkiye. L’homme, qui s’est réjoui sur le réseau social X du succès du test, est également le gendre du président islamo-nationaliste, Recep Tayyip Erdogan, et l’un des candidats pressentis à sa succession.
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Pour autant, les drones turcs sont désormais absents du ciel ukrainien, remplacés au fil du conflit par des appareils moins sophistiqués, mais aussi moins chers et moins faciles à contrer, précise CNN, qui rapporte que certains des drones massivement utilisés sur le champ de bataille sont désormais reliés physiquement à leur opérateur par des câbles de fibre optique, ce qui empêche de brouiller leurs signaux
Flotte turque vieillissante
Le Kizil Elma est considéré comme un avion de combat sans pilote plus que comme un drone classique. Il est notamment destiné à être déployé sur un navire porte-drones turc, dont la conception est en cours, afin d’augmenter sa portée, indique le quotidien Cumhuriyet. Le Kizil Elma a de nombreux avantages censés éclipser certains problèmes rencontrés par les avions pilotés par des humains, comme le stress ou les limites du corps humain face à la force G lors des accélérations brutales, et s’adapte aux avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle.
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Néanmoins, contrairement à ce qu’affirme la presse progouvernementale turque, il semble davantage destiné à voler en soutien et en accompagnement des avions de chasse plutôt qu’à les remplacer. La Turquie, qui vient d’acquérir un nouveau stock de F-16 américains et d’Eurofighter anglais, est actuellement à la manœuvre pour tenter de rajeunir sa flotte aérienne vieillissante.
Mais s’il entretient d’excellents rapports avec le président américain, Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan n’est pas encore parvenu à convaincre le Congrès américain de donner son feu vert à la vente d’avions de dernière génération F-35 à son pays. Pire, il n’est pas non plus parvenu à obtenir la livraison des moteurs de General Electric censés équiper le Kaan, le modèle d’avion de combat turc de nouvelle génération en cours de développement. Interrogé par l’opposition sur les retards de développement du projet, le ministre de la Défense turc a déclaré fin novembre que des entreprises nationales travaillaient sur la confection d’un moteur local adapté au futur avion, écrit le média en ligne Gzt.
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Les embargos et les restrictions imposés par les pays européens et les États-Unis sur les ventes d’armes lors des dernières décennies ont poussé la Turquie à développer avec succès son industrie de défense, en particulier concernant les drones. Reste à voir s’il en sera de même pour les avions de combat.
