Négociations russo-ukrainiennes: pourquoi la Turquie est à nouveau au centre du jeu diplomatique/ Anne Andlauer/ RFI

Must read

RFI, 15 mai, 2025

C’est une première depuis plus de trois ans dans la guerre en Ukraine : des négociateurs russes et ukrainiens se retrouvent ce jeudi 15 mai à Istanbul, en Turquie, pour des pourparlers directs. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait savoir qu’il ne se rendrait à Istanbul que si Vladimir Poutine venait aussi. Mais qu’il rencontrerait dans tous les cas son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara. 

D’abord, il faut rappeler que les dernières et seules négociations directes entre l’Ukraine et la Russie s’étaient déjà tenues en Turquie, au début de la guerre, au printemps 2022. Elles avaient échoué, mais elles avaient déjà mis en lumière la position assez unique de ce pays membre de l’Otan. D’un côté, la Turquie soutient sans ambiguïté l’intégrité territoriale de l’Ukraine, elle lui fournit des armes, notamment des drones qui ont été très utiles à Kiev au début de l’invasion. De l’autre, elle ménage la Russie.

Elle est en effet le seul pays de l’Alliance atlantique qui refuse d’appliquer les sanctions contre Moscou et qui l’aide même, à certains égards, à contourner certaines sanctions. Recep Tayyip Erdogan s’entretient régulièrement avec Volodymyr Zelensky et avec Vladimir Poutine. La Turquie veut être au centre du jeu, sinon en tant que médiateur, du moins en tant que facilitateur.

La Turquie sur tous les fronts

Cette diplomatie turque très active au sujet de l’Ukraine n’est pas un cas unique. Mardi 13 mai, le président Erdogan a par exemple rejoint, par téléphone, une réunion organisée en Arabie saoudite de ses homologues américain Donald Trump, syrien Ahmed al-Charaa et du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman. 

D’ailleurs, le président Erdogan fait partie de ceux qui ont le plus fait pression, sur la scène internationale, pour la levée des sanctions contre la Syrie depuis la chute du régime de Bachar el-Assad. La Turquie s’implique dans la guerre à Gaza, notamment en discutant avec le Hamas. L’an dernier, son territoire a servi à organiser un échange historique de prisonniers entre la Russie et les États-Unis.

Pour comprendre ce positionnement, il faut d’abord regarder une carte : la Turquie est un carrefour géopolitique avec l’Europe à l’ouest, la mer Noire au nord, et le Moyen-Orient au sud. Elle est l’héritière d’un grand empire (l’Empire ottoman), elle est une puissance économique, une puissance militaire, elle est membre de l’Otan et candidate à l’Union européenne. L’idée que porte le président Erdogan mais qui n’est pas nouvelle, c’est que la Turquie est contrainte, par son histoire et sa géographie, à tenir un rôle de meneur de jeu, de « pays central », d’abord dans sa région qui est marquée par les crises, mais aussi sur la scène mondiale. Et ce d’autant plus dans le monde multipolaire qui a émergé après la Guerre froide pour étendre son influence, mais aussi pour limiter les effets négatifs pour elle des crises dans sa région.

Un réseau de diplomates turcs capables d’initiatives majeures

Au-delà de cette vision, on peut aussi souligner l’efficacité de la diplomatie turque au sens technique du terme – celle de ses diplomates – qui est très largement reconnue dans les enceintes internationales. Cette « suractivité » diplomatique turque ne se limite pas à sa région.

On a vu Ankara proposer sa médiation pour régler des crises sur le continent africain. Elle a par exemple été très active récemment, et avec succès, pour mener une médiation entre la Somalie et l’Éthiopie. Au début de l’année, le président Erdogan a proposé une médiation entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, ou encore pour aider le Soudan à régler ses différends avec les Émirats arabes unis.

Ici ou ailleurs, les propositions et les initiatives turques n’aboutissent pas toujours, mais elles signalent clairement le poids qu’a pris ce pays sur la scène internationale ces dernières années, et la place qu’il prétend occuper.

À lire aussiUkraine: sans Poutine, des pourparlers de paix vont débuter à Istanbul, les Etats-Unis «impatients»

More articles

Latest article