Dimanche, le Parti des Travailleurs du Kurdistan a appelé Ankara à prendre « sans délai » les mesures juridiques nécessaires pour sauver le processus de paix lancé il y a un an.
Une page est peut-être, de nouveau, en train de se tourner en Turquie. Après avoir déclaré un cessez-le-feu le 1er mars, consenti à sa propre dissolution en mai, brûlé une trentaine de fusils, en juillet, pour marquer une première phase de désarmement, après quatre décennies de guerre, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé, dimanche 26 octobre, qu’il retirait ses unités de Turquie et les déplaçait vers le nord de l’Irak. Un geste symbolique mis en scène par une cérémonie à la frontière irakienne : plusieurs dizaines de journalistes ont pu assister à l’arrivée, à pied, de 25 femmes et hommes en armes qui venaient de quitter le territoire turc.
Dans son communiqué lu sur place, le PKK a appelé Ankara à prendre « sans délai » les mesures juridiques nécessaires pour sauver le processus de paix lancé il y a un an avec la main tendue de Devlet Bahçeli, chef du Parti d’action nationaliste (MHP), pilier d’extrême droite de la coalition gouvernementale du président turc, Recep Tayyip Erdogan, aux députés du parti prokurde DEM. Exigeant à plusieurs reprises d’accélérer les négociations et la mise en place de lois garantissant « les libertés et l’intégration démocratique » des membres du PKK dans la société turque, le texte souligne que « le processus traverse une phase extrêmement importante et critique ». Il précise: « Nous procédons au retrait de toutes nos forces en Turquie, qui présentent un risque de conflit à l’intérieur des frontières turques et sont vulnérables à d’éventuelles provocations. »
Aucun chiffre concernant ces troupes n’a été avancé par le PKK. Selon plusieurs sources, le nombre d’unités en armes sur le sol turc est aujourd’hui limité. Celui-ci s’est constamment réduit depuis l’échec de l’insurrection déclenchée dans une dizaine de villes du Sud-Est turc, à l’été 2015, qui s’est soldée par des destructions massives et le passage de régions entières sous occupation militaire. Il se limiterait à quelques hommes, une centaine, guère plus, soit quatre ou cinq cellules dormantes. Suffisamment toutefois pour maintenir une certaine pression. Le gros des troupes étant, lui, juste de l’autre côté de la frontière.
Répression sans cesse accrue
Si cette dernière action spectaculaire du PKK a surpris par son timing, l’annonce d’un nouveau geste d’apaisement alimentait les rumeurs depuis plusieurs semaines, tant les négociations avec le gouvernement semblaient parvenues au point mort. La commission parlementaire créée en août, chargée de préparer un cadre légal au processus de paix et de lancer les travaux qui devront décider du sort d’Abdullah Öcalan, le chef historique du PKK emprisonné depuis 1999 sur l’île d’Imrali (au large d’Istanbul), a certes multiplié rencontres et consultations, mais sans donner l’impression d’avancer.
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Aucune proposition sur la question kurde ni gage d’ouverture concrète n’est venue de l’exécutif. A Ankara, on parle d’une loi « temporaire » ou « transitoire », mais sans réelle ouverture démocratique. Au contraire, la répression sans cesse accrue à laquelle le pouvoir recourt ces derniers mois pour museler l’opposition laisse présager peu de changements.
Le parti présidentiel, par la voix de son porte-parole, Ömer Çelik, a salué l’annonce du PKK, y voyant des « résultats concrets » des efforts visant à mettre fin à un conflit ayant fait plus de 40 000 morts, majoritairement kurdes. Le vice-président, Cevdet Yilmaz, a affirmé qu’il s’agissait d’« un pas important dans la bonne direction », soulignant que l’objectif principal restait l’« élimination de tous les éléments de l’organisation terroriste ». Le ministre de la justice, Yilmaz Tunç, a déclaré dans un communiqué que « les conclusions de la commission créer[aient] une feuille de route solide pour le renforcement de l’unité nationale [turque] ». Et d’ajouter, sur un ton plus lyrique : « Grâce à la coordination et à l’harmonie parfaites de nos institutions étatiques, à la détermination de notre chère nation et au fondement de la justice que constitue l’Etat de droit, nous sommes plus proches que jamais de notre idéal d’une Turquie sans terrorisme. »
Selon les médias turcs, une délégation du DEM doit rencontrer, pour la troisième fois, le président Erdogan, le 30 octobre. Elle se rendra ensuite sur l’île d’Imrali pour s’entretenir également de nouveau avec M. Öcalan. Les 51 membres de la commission parlementaire doivent se réunir jeudi.
A Bagdad, les réactions officielles étaient moins enthousiastes. La commission des relations étrangères a averti, dimanche, que le déplacement des combattants du PKK de Turquie vers l’Irak constituait une menace pour la sécurité nationale et risquait d’entraîner le pays dans des conflits régionaux.
