Par Audrey Garric (Belem (Brésil), envoyée spéciale) et Perrine Mouterde (Belem (Brésil), envoyée spéciale)
Le Monde, le 20 novembre 2025
Des flammes qui jaillissent de l’une des structures, des délégués affolés courant de manière désordonnée. La zone des pavillons nationaux de la 30e conférence mondiale sur le climat (COP30), à Belem (Brésil), s’est retrouvée au cœur des réseaux sociaux, jeudi 20 novembre. Un incendie s’y est déclenché, forçant l’évacuation du centre de conférences et interrompant les négociations dans la dernière ligne droite.
Quelques heures avant, deux pavillons, ces espaces où les délégations s’exposent, étaient déjà au centre des regards : ceux de la Turquie et de l’Australie. Sur le site, ils s’affichent côte à côte, dans une continuité de plantes au sol et de peintures aux murs. Un symbole du partage qu’ils vont devoir opérer pour accueillir et présider la prochaine grand-messe climatique, la COP31. Un compromis vient d’être trouvé entre les deux pays, à l’issue d’un différend qui a duré plus d’un an.
Les modalités précises de cet arrangement sont en train d’être finalisées. La décision doit être entérinée par consensus à la fin de la COP30, qui devait s’achever officiellement vendredi. Mais dans les grandes lignes, on sait déjà que l’événement se tiendra à Antalya, une station balnéaire du sud de la Turquie, en novembre 2026. La Turquie présiderait cette COP31.
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L’Australie, de son côté, présiderait le processus de négociations. Elle devrait fixer l’agenda des négociations, mener les discussions ou encore rédiger le texte des décisions finales. Quant à la pré-COP, une réunion préparatoire, elle se déroulerait sur une île du Pacifique. Le groupe d’Etats des îles du Pacifique était initialement associé à la candidature australienne pour accueillir la COP31.
Mécontentement des petites îles
« C’est un résultat qui remplit nos objectifs, a indiqué le ministre australien du climat, Chris Bowen, mercredi 19 novembre. Evidemment, ça aurait été bien que nous puissions tout obtenir, mais ce n’est pas possible. » L’accord de principe s’avère une victoire diplomatique pour la Turquie, qui cherche à peser sur la scène internationale.
Ce partage des rôles « est une innovation et s’avère peut-être complexe, mais il a le mérite d’associer deux pays du G20 à la réussite de la COP », juge Paul Watkinson, qui suit les négociations climatiques depuis près de trente ans. D’autres conférences sur le climat avaient déjà connu une séparation entre l’organisation et la présidence, mais de manière plus tranchée. L’ancien chef des délégations française et européenne se dit soulagé. « Quitter Belem sans présidence pour la COP31 aurait été un signe très négatif, avertit-il. Le processus a besoin de leadership et la préparation politique est une clé du succès. »
Les conférences climat ont lieu dans des villes différentes chaque année, selon un système de rotation entre cinq blocs régionaux, qui doivent désigner le pays hôte par consensus. L’Australie, aux côtés des îles du Pacifique, et la Turquie avaient déposé en 2022 une candidature pour accueillir le sommet et refusaient depuis lors de céder. Canberra avait également rejeté l’hypothèse d’une organisation conjointe. Selon le média Carbon Pulse, l’Allemagne a mis la pression sur l’Australie, ces derniers jours, afin qu’un compromis soit trouvé, Berlin ne souhaitant pas accueillir la grand-messe climatique en 2026. Faute d’accord, l’événement aurait eu lieu à Bonn, siège de la Convention-cadre des Nations unies pour le changement climatique.
La décision a suscité le mécontentement des nations d’Océanie, telles que la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou l’archipel de Tuvalu. « Nous sommes très déçus que la COP31 ne soit pas une COP du Pacifique, a réagi Ilana Seid, ambassadrice de Palau auprès des Nations unies. Mais nous espérons que les priorités de la région seront tout de même mises en avant et que nous pourrons organiser la pré-COP, pour que le monde puisse voir à quel point nous sommes exposés au réchauffement climatique, à la montée du niveau de la mer, aux inondations. »
Dérives autoritaires d’Erdogan
La candidature australienne avait également la préférence de nombreux pays européens et notamment de la France pour attirer l’attention sur les archipels dont la survie est menacée. Et elle assurait une participation accrue de la société civile, qui s’inquiète des dérives autoritaires du régime de Recep Tayyip Erdogan.
L’Australie essaie de jouer un rôle de bon élève de la lutte contre le changement climatique. Après neuf ans sans stratégie climatique, sous un premier ministre conservateur, elle affiche une ambition nouvelle depuis l’arrivée au pouvoir du travailliste Anthony Albanese en 2022. En septembre, Canberra s’est fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre compris entre 62 % et 70 % d’ici à 2035 par rapport à 2005, un progrès, mais qui reste insuffisant. Le pays, grand producteur et exportateur de charbon et de gaz, n’a également pas pris d’engagement de sortie des énergies fossiles.
Quant à la Turquie, ses ambitions climatiques sont jugées sévèrement par les experts. Elle s’est engagée à la neutralité carbone d’ici à 2053, mais sa feuille de route actuelle est qualifiée d’« insuffisante de façon critique » par l’ONG Climate Action Tracker. Elle a seulement ratifié l’accord de Paris sur le climat fin 2021.Elle a régulièrement bloqué les négociations climatiques – avec la particularité de n’appartenir à aucun groupe de négociation.
Même si Ankara ne sera pas en première ligne pour diriger les négociations, le pays pourrait exercer une certaine influence. La Turquie fait formellement partie des pays développés, mais est très proche, sur le plan économique, des pays en développement. Elle est à la fois arrimée au bloc occidental tout en entretenant des relations privilégiées avec des pays du monde arabe et musulman. Cette position « lui confère un avantage sans précédent pour jouer un rôle de médiateur et débloquer des négociations », écrit Umit Sahin, du Centre de politique d’Istanbul de l’université Sabanci.
Les conférences sur le climat suivantes ne donneront pas lieu à de tels conflits : l’Ethiopie a été désignée pour accueillir la COP32, en 2027, et l’Inde devrait présider la COP33, en 2028.
Audrey Garric (Belem (Brésil), envoyée spéciale) et Perrine Mouterde (Belem (Brésil), envoyée spéciale)
