« Un dessin de presse controversé conduit à l’arrestation de son auteur et d’un rédacteur en chef ainsi qu’à des affrontements à Istanbul » / LE MONDE

Must read

Le Monde le 1e juillet 2025

Le responsable du magazine « Leman » nie que l’image incriminée représente le prophète Mahomet. Des dizaines de manifestants en colère ont voulu s’en prendre à des employés de la revue satirique, provoquant des échauffourées avec la police.

La publication d’un dessin de presse, représentant pour les autorités turques le prophète Mahomet, a conduit à l’arrestation de son auteur et à des échauffourées à Istanbul entre la police et une foule en colère cherchant à attaquer des employés du magazine mis en cause.

Le bureau du procureur général d’Istanbul a annoncé, lundi 30 juin, avoir « lancé une enquête sur la publication d’un dessin dans le numéro du 26 juin 2025 du magazine Leman qui dénigre ouvertement les valeurs religieuses, et des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre des personnes impliquées ».

Le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya, a quant à lui annoncé que la police avait arrêté le dessinateur, en publiant, sur X, des images de cette arrestation qui s’est déroulée dans une cage d’escalier. Le rédacteur en chef du magazine et un graphiste ont également été interpellés, a-t-il précisé.

« La personne nommée D. P. qui a fait ce dessin ignoble a été attrapée et placée en détention, a-t-il écrit. Ces individus sans vergogne devront répondre de leurs actes devant la justice. »

Lire aussi | Religion : « A l’ère des médias de masse, les scandales de blasphème génèrent une véritable machine identitaire, alimentant un supposé choc des civilisations »

La police a perquisitionné les locaux de Leman, sur l’avenue Istiklal, à Istanbul, et des mandats d’arrêt ont été émis contre plusieurs autres responsables de la publication, a écrit, sur X, le conseiller à la présidence, Fahrettin Altun.

« Cela n’a rien à voir avec le prophète Mahomet »

En soirée, des manifestants en colère ont attaqué un bar souvent fréquenté par les employés de la revue, dans le centre d’Istanbul. Les accrochages avec la police ont rapidement dégénéré en affrontements impliquant entre 250 et 300 personnes, selon un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP). La police a tiré des balles en caoutchouc et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule en colère

Une copie de l’image en noir et blanc publiée sur les réseaux sociaux montre deux personnages dans le ciel, au-dessus d’une ville sous les bombardements. « Salam aleykoum, je suis Mohammed », dit l’un en serrant la main de l’autre qui répond : « Aleykoum salam, je suis Musa [Moïse]. » Le rédacteur en chef du magazine, Tuncay Akgun, a assuré à l’AFP que l’image avait été mal interprétée.

« Ce dessin n’est en aucun cas une caricature du prophète Mahomet [Mohammed en arabe]. Dans cette œuvre, c’est le nom d’un musulman qui a été tué lors des bombardements d’Israël, il a été appelé Mohammed, c’est une fiction. Plus de 200 millions de personnes dans le monde islamique s’appellent Mohammed », a-t-il déclaré. « Cela n’a rien à voir avec le prophète Mahomet. Nous ne prendrions jamais un tel risque », a-t-il ajouté.

Lire aussi | Le prophète Mahomet a-t-il inventé l’islam politique ?

Sur X, Leman a estimé qu’il avait été sciemment mal interprété. « Le dessinateur a voulu montrer la droiture du peuple musulman opprimé en représentant un musulman tué par Israël, il n’a jamais eu l’intention de rabaisser les valeurs religieuses », a-t-il déclaré.

« Nous n’acceptons pas l’opprobre qui nous est imposé parce qu’il n’y a pas de représentation de notre prophète. Il faut être très malveillant pour interpréter la caricature de cette manière, poursuit-il. Nous présentons nos excuses à nos lecteurs bien intentionnés qui, selon nous, ont été victimes de provocations. »

Un bastion satirique de l’opposition

« Le manque de respect envers nos croyances n’est jamais acceptable, a écrit, de son côté, sur X, le ministre de la justice, Yilmaz Tunc. La caricature ou toute autre forme de représentation visuelle de notre prophète porte non seulement atteinte à nos valeurs religieuses, mais aussi à la paix sociale. »

Le gouverneur d’Istanbul, Davut Gül, a également dénoncé « cette mentalité qui cherche à provoquer la société en s’attaquant à nos valeurs sacrées ». « Nous ne resterons pas silencieux face à tout acte ignoble visant la foi de notre nation », a-t-il averti.

Lire aussi | Dominique Avon, historien : « Les savants musulmans ont fait du prophète de l’islam une personnalité intouchable »

Selon Tuncay Akgun, l’offensive judiciaire contre le magazine, bastion satirique de l’opposition lancé en 1991, est « incroyablement choquante, mais pas très surprenante ». « C’est un acte d’annihilation », a-t-il dénoncé.

Le rédacteur en chef du magazine satirique « Leman », Tuncay Akgun, à Istanbul, en septembre 2018. OSMAN ORSAL/REUTERS

Créé en 1991, Leman est, de longue date, la cible des conservateurs, en particulier à la suite de son soutien à l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en France après l’attentat djihadiste dans ses bureaux parisiens en 2015, qui a fait 12 morts. L’attaque a eu lieu après la décision de Charlie Hebdo de publier à plusieurs reprises des caricatures du prophète Mahomet.

Lire aussi le récit | Attentats de « Charlie Hebdo » et de l’Hyper Cacher : trois jours de sang, de terreur et de larmes

Le Monde avec AFP

More articles

Latest article