À la une de l’hebdo. Turquie : Erdogan, la chute ? – COURRIER INTERNATIONAL

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C’est sans doute l’une des élections les plus importantes de l’année 2023, l’une des plus observées, en tout cas, par la communauté internationale et la presse étrangère. Et c’est pourquoi nous y consacrons sans hésitation notre une cette semaine. Le 14 mai, plus de 64 millions de Turcs sont appelés aux urnes pour élire un nouveau chef de l’État ainsi qu’un nouveau Parlement. Un double scrutin qui s’apparentera en fait surtout à un référendum sur la présidence de Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans déjà. Par Claire Carrard, Courrier International du 10 mai 2023.

En vingt ans, Erdogan a marqué de son empreinte la vie politique turque, avec une nette dérive autocratique dans son exercice du pouvoir – arrestations arbitraires, droits des minorités bafoués, liberté de la presse en net recul… Le président turc a aussi su se faire une place à part sur la scène internationale. Membre de l’Otan et proche de Moscou à la fois, fâché avec l’Union européenne (les négociations sur une adhésion de son pays ont tourné court), avec laquelle il a pourtant conclu un accord majeur sur les réfugiés en 2016, Erdogan a su jouer les médiateurs dans la crise ukrainienne (en facilitant l’accord sur les céréales) tout en entretenant une relation privilégiée avec Vladimir Poutine.

C’est dire si une grande partie du monde aura les yeux rivés sur son avenir. “La présidentielle turque aura une influence considérable sur la sécurité en Europe et au Moyen-Orient, avance Politico. Le vainqueur pourra déterminer le rôle de la Turquie au sein de l’Otan, sa relation avec les États-Unis, l’Union européenne et la Russie, sa politique migratoire, le rôle d’Ankara dans la guerre en Ukraine et sa position face aux tensions en Méditerranée orientale.”

Rien de moins. Pas sûr pour autant qu’en cas de défaite d’Erdogan la politique étrangère d’Ankara change du tout au tout. Mais, assure un ancien diplomate turc à Politico, elle sera au minimum plus transparente, vis-à-vis de Bruxelles, de l’Alliance atlantique (la Turquie pourrait lever son veto à l’adhésion de la Suède à l’Otan) et concernant la Russie. Cela reste à voir.

En attendant, c’est la première fois depuis des années que le pouvoir d’Erdogan semble aussi contesté. Et l’opposition, aussi proche de l’emporter.

Est-ce pour autant le crépuscule d’un dirigeant de plus en plus décrié en Turquie, notamment après le séisme du 6 février, qui a fait des dizaines de milliers de morts ? Si les sondages donnent pour le moment un léger avantage au candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, le vote s’annonce pour le moins serré. Ce qui pourrait faire pencher la balance : les primo-votants (près de 6 millions de nouveaux électeurs), les Turcs de l’étranger (3 millions de personnes) et surtout le vote des Kurdes, soit 20 % de la population, qui se trouvent de facto en position de faiseurs de rois et qui devraient pencher par défaut pour Kiliçdaroglu, explique la chaîne de télé indépendante Medyascope.

Au cœur de l’élection, deux dossiers brûlants : la crise économique, d’abord, qui n’en finit pas, et une inflation galopante, qui aurait atteint 64 % en 2022 selon des chiffres officiels très contestés – un groupe d’économistes indépendants l’estime à 137 %. “Ça suffit, il faut qu’Erdogan parte maintenant. Certains prix ont triplé depuis l’an dernier, les gens s’enfoncent dans la pauvreté”, lance ainsi un habitant de Gaziantep, une ville conservatrice dans le sud-est du pays, cité par le quotidien turc de gauche Evrensel.

L’incurie du régime dans l’acheminement des secours après le séisme, la corruption et le peu d’empressement d’Erdogan à se rendre dans les zones sinistrées pourraient aussi lui coûter cher, espère un journaliste du journal en ligne de gauche T24 : “Le régime d’Erdogan gît désormais sous les ruines du séisme et rien ne le ramènera à la vie.”

Un diagnostic évidemment prématuré. Car l’élection est encore loin d’être jouée. Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur turc donnait le ton en dénonçant “une tentative de coup d’État politique de l’Occident […] pour éliminer la Turquie”. Près de 600 000 militaires et membres des forces de l’ordre devraient être déployés dans l’ensemble du pays le jour du vote. Pour éviter toute manipulation ou pression, des centaines de milliers d’assesseurs ont été formés par l’opposition. Cela suffira-t-il à garantir la transparence du scrutin ? C’est l’une des questions de cette élection.

Par Claire Carrard, Courrier International du 10 mai 2023.

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