L’Humanité, le 29 novembre 2024
L’offensive menée par la branche d’Al Qaïda, Hayat Tahrir al-Sham, vise plusieurs objectifs parmi lesquels aider la Turquie à prendre le contrôle des zones kurdes. Les bombardements israéliens sont également profitables aux islamistes.
Depuis quatre ans, la province d’Alep vivait dans un calme relatif malgré sa proximité avec la région d’Idleb, au nord-ouest, contrôlée par l’organisation djihadiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), la branche syrienne d’al-Qaïda anciennement connue sous le nom de Front al-Nosra. Cette dernière a lancé, mercredi, une vaste offensive contre les forces du pouvoir, faisant déjà plus de 240 morts.
Le HTS est épaulé par les islamistes armés et formés par la Turquie. Les jihadistes et leurs alliés ont coupé jeudi la route vitale reliant la capitale Damas à Alep. Le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a indiqué que « plus de 14 000 personnes, dont près de la moitié sont des enfants, ont été déplacées » en raison des violences.
Depuis plusieurs mois maintenant, la direction de HTS entendait profiter de la situation créée par Israël. Tel Aviv, en effet, n’a de cesse de bombarder des installations militaires syriennes et les zones où se trouvent des combattants du Hezbollah ainsi que celle des gardiens iraniens de la révolution. C’est donc cette alliance qui pourrait apparaître contre nature qui a incité les djihadistes à passer à l’action.
Affaiblir le pouvoir de Bachar al-Assad
Deux buts sont recherchés. Le premier est de participer à une offensive régionale visant affaiblir un peu plus le pouvoir de Bachar al-Assad. Celui-ci n’est plus dans la même situation qu’il y a dix ans et l’objectif n’est plus de le renverser mais de forcer la Syrie à abandonner son alliance avec l’Iran et avec le Hezbollah, les armes que reçoit ce dernier de Téhéran passant par la Syrie.Cela s’inscrit dans le projet régional américain d’un nouveau Moyen-Orient dans lequel l’ensemble des pays s’aligneraient sur Washington ou seraient muselés politiquement et économiquement. Pour l’Iran la punition relève de l’isolement et peut-être d’une guerre avec l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis.
On peut effectivement penser que le statu quo actuel – qui explique le calme observé depuis quatre ans – va voler en éclats. L’arrivée du nouveau locataire à la Maison-Blanche pose déjà la question du maintien des quelque 500 soldats américains déployés au nord-est de la Syrie, dans les zones pétrolifères, et contrôlées par l’Administration autonome du Nord-est syrien (AANES).
Il s’agit du Kurdistan syrien (le Rojava) et les districts de Hassaké et Deir ez Zohr. Ce départ possible des troupes américaines – évoquées par Trump lui-même – aiguise l’appétit de la Turquie. Celle-ci en intervenant militairement en territoire syrien à plusieurs reprises (en 2016-17, 2018 , 2019, 2020 et 2022) est parvenue à empêcher la continuité territoriale de l’AANES.
Installer une zone tampon en territoire syrien
Pour cela, elle a installé des troupes rebelles, dans lesquelles se trouvent d’anciens membres de l’État islamique (Daech). C’est ainsi qu’a vu le jour une Armée nationale syrienne dont le nom même vise à semer la confusion avec l’Armée arabe syrienne (AAS) qui dépend de Damas. En réalité, cette ingérence turque n’est pas nouvelle. Dès le début de la guerre en Syrie, en 2011, Ankara a formé des transfuges de l’armée syrienne sur son territoire sous la supervision du MIT (les services de renseignements), parmi lesquels a émergé l’Armée syrienne libre (ASL) en juillet 2011.
Aujourd’hui, la Turquie espère installer durablement une zone tampon en territoire syrien pour éviter toute porosité avec les combattants kurdes, regroupés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), mais les liens avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sont réels. Selon le Congrès national du Kurdistan (KNK), « une attaque majeure contre la région kurde de Tal Rifaat dans le nord-ouest de la Syrie » se prépare. Tal Rifaat abrite plusieurs centaines de milliers de réfugiés kurdes qui ont été contraints à fuir en 2018 suite à l’offensive menée contre la localité d’Afrin.
« Selon des sources locales, la Turquie a également ouvert la frontière avec le nord-ouest de la Syrie, permettant à plus de combattants djihadistes d’entrer en Syrie », affirme le KNK. Les populations kurdes d’Alep sont évidemment menacées par l’avancée des djihadistes dont on ne sait s’ils entendent prendre la ville. Et surtout si l’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, est en capacité de faire face alors que la route reliant Damas à Alep est maintenant coupée à deux endroits par le HTS.