Décès de Pierre Pinon

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L’ Observatoire de la Turquie vient d’apprendre avec émotion la disparition de Pierre Pinon. Professeur à l’ENSA Paris-Belleville

 » Il était co-responsable avec Alain Borie de l’atelier sur la Turquie. Il a également enseigné dans le cadre de la formation au diplôme d’études approfondies -DEA- Projet architectural et urbain : Théories et dispositifs et a encadré de nombreuses thèses. En master, il a participé au séminaire L’Art du projet et a dispensé un cours optionnel sur l’architecture en Turquie. Il est resté, après son départ à la retraite, chercheur associé au laboratoire Ipraus

Historien des villes, spécialiste de l’architecture des XVIIIème et XIXème siècles, Pierre Pinon était membre de la Commission nationale des monuments historiques, président-fondateur de l’Association française des historiens de l’architecture, membre du Comité français d’Histoire de l’art et de la Société française d’Histoire urbaine. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrage sur Paris. » (nécrologie de François Brouat, Directeur de l’ENSA de Paris-Belleville)

Jean-François Pérouse directeur de l’IFEA de 2012 à 2016 lui a développé le « versant turc » de l’œuvre de Pierre Pinon que nous retransmettons ICI

IN MEMORIAM PIERRE PINON (1945-2021). PIERRE PINON, L’IFEA ET LA TURQUIE

JEAN-FRANÇOIS PÉROUSE UN COMMENTAIRE

Compte tenu de la très riche et impressionnante bibliographie du regretté, reflétant les facettes très diverses de l’activité foisonnante de l’enseignant-chercheur dont certaines ont déjà été évoquées de façon circonstanciée par ses collègues (notamment par Benoît Melon, de l’École de Chaillot ou par François Brouat, directeur de l’ENSA de Paris-Belleville), nous souhaiterions ici seulement rappeler le « versant turc » de l’œuvre de Pierre Pinon. Ce faisant, le rôle de ce dernier dans le redéveloppement des études urbaines à l’IFEA et dans des collaborations scientifiques et universitaires entre la Turquie et la France devrait apparaître.

Document 3 : Pierre Pinon en compagnie de Stéphane Yerasimos lors de la visite de la maison d’Albert Gabriel à Bar-sur Au

Pierre Pinon fut en effet étroitement associé à la vie scientifique de l’IFEA, du milieu des années 1980 à la fin des années 2000. Ceux qui ont fréquenté l’Institut à ces moments se souviennent sans doute de ses retours des ateliers annuels anatoliens avec ses étudiants de Paris-Belleville, accompagnée de son épouse Agostina et de ses collègues de Mimar Sinan Üniversitesi. Bardé de son inséparable appareil photo (auquel nous devons de belles illustrations de ses articles), il ne manquait pas de rendre visite au cher Aksel Tibet, clé de voûte discrète de l’institution durant ces décennies, pour partager ses impressions de terrain et mille et une anecdotes. Dans les années 2000, sa fille Mathilde, boursière de l’IFEA entre 2001 et 2005, et historienne de l’art de Turquie, devint une collaboratrice efficace (elle a été notamment commissaire adjointe de l’exposition Albert Gabriel de 2006), étayant et confirmant davantage, voire pérennisant l’orientation turque de Pierre Pinon.

Cinq dimensions principales de cette orientation peuvent être distinguées, qui permettent de prendre la mesure de l’implication de Pierre Pinon dans le destin des études urbaines à l’IFEA

  1. Travaux sur la maison ottomane et l’habitat en Turquie
  2. Création de l’Observatoire Urbain d’Istanbul (mars-octobre 1988)
  3. Recherches sur l’occidentalisation d’Istanbul au XIXe avec Stéphane Yérasimos et Alain Borie.
  4. Recherches sur Henri Prost
  5. Recherches sur Albert Gabriel

1. RCP-CNRS Formes et organisation de l’habitat en Turquie

On peut dater de 1983, avec la création du RCP-CNRS (Recherches Coopératives sur Programme) Formes et organisation de l’habitat en Turquie1 le début de cette orientation, en tout cas à l’examen des archives de l’IFEA. Pierre Pinon – il a alors 38 ans – joue un rôle actif dans cette structure souple qu’héberge l’IFEA (représenté alors par J.-L. Bacqué-Grammont). Suite à la création du RCP, l’exposition itinérante « La Maison turque », montrée en Turquie de 1985 à 1987, confirme cet axe de recherche auquel Pierre Pinon participe activement2. La publication (avec Alain Borie) en 1985 de l’article « La maison turque3 » semble bien indiquer son entrée dans ce champ de recherche.

Ce champ sera retravaillé par la suite dans le cadre des séjours d’études anatoliens organisés périodiquement, avec Alain Borie et Stéphane Yérasimos (un natif de 1942, bien prématurément disparu en 2005) dans le cadre du « Certificat d’Études Approfondies en Architecture/CEAA » de l’école de Paris-Belleville libellé « Villes orientales, Maghreb et Proche Orient, Atelier Turquie4 ». La formidable accumulation collective d’observations, de relevés et de données issue de cet atelier, alimentera plusieurs publications importantes (à six mains), dont une partie parue dans la revue de l’IFEA Anatolia Moderna. Parmi elles, citons celle sur Tokat5 et celle sur Afyon6. La formulation standard des titres de ces études traduit d’ailleurs l’enrichissement du programme de recherche, associant à l’échelle de l’habitat (souci premier) celle de la ville entière et de l’urbanisme.

2. Création de l’Observatoire Urbain d’Istanbul (mars-octobre 1988)

Document 1 : Lettre de P. Pinon à J.-L. Bacqué-Grammont concernant la création de l’Observatoire urbain d’Istanbul en 1988. Clic droit sur l’image pour l’afficher dans ses dimensions originales

Un courrier envoyé à Pierre Pinon de J.-L. Bacqué-Grammont, directeur de l’IFEA à cette période, daté du 12 avril 1988 (DOC 1) nous renseigne très précisément sur l’implication de ce dernier dans la mise en place de l’Observatoire, sur le modèle de celui du Caire (créé en 1984). Il apparaît que l’OUI (ainsi que des acquisitions importantes du futur Atelier de cartographie) doit beaucoup au RCP et qu’alors Pierre Pinon peut être considéré comme une cheville ouvrière des études urbaines renaissantes de l’IFEA (via RCP, le CEAA de Paris-La Défense et le programme « L’occidentalisation d’Istanbul au XIXe siècle »). L’autre document (DOC.2), en date du 2 mai 1988, est une lettre de Pierre Pinon adressée au directeur de l’IFEA qui rappelle les conditions dans lesquelles l’OUI a été créé, et en particulier le rôle initial déterminant du ministère de l’Équipement (un peu oublié depuis).

3. Programme L’occidentalisation d’Istanbul au XIXe siècle

Toujours de manière collective – Pierre Pinon (à l’École d’Architecture de Paris-La Défense jusqu’en 19977) y est associé à Alain Borie et Stéphane Yerasimos –, le programme L’occidentalisation d’Istanbul au XIXe siècle (( L’occidentalisation d’Istanbul au XIXe siècle, Rapport de recherche, 8 vol. , Nanterre, 1988-1997 (avec Alain Borie & et Stéphane Yérasimos) ; une première partie (datée de 1992, mais dénommée « Rapport 1991 »), de 138 pages, est disponible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02970907/document )) lancé en 1988 (avec le redéploiement du RCP) marque un début de focalisation sur Istanbul. Financée par le Bureau de la Recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère du ministère de la Culture, pour lequel Pierre Pinon contribuera à de nombreux rapports sur des sujets très divers, cette recherche au long cours (elle se poursuit jusqu’en 1998) permettra à l’IFEA, de manière collatérale, de s’enrichir de nombreux documents collectés notamment auprès de la mairie d’Istanbul par Stéphane Yérasimos. Au fil du temps, l’équipe va s’enrichir – intégrant Cana Bilsel, Franck Fries et Marlène Ghorayeb – et le champ d’étude s’élargir pour comprendre, dans une perspective comparative, plusieurs organismes urbains de l’Empire ottoman à la même période (comme Izmir, Damas et Beyrouth8). Au-delà du rapport en huit volumes remis au commanditaire, cette entreprise alimentera plusieurs publications individuelles de Pierre Pinon, par ailleurs passionné par la littérature des voyageurs français dans l’Empire ottoman9.

Document 2 : Lettre de P. Pinon au directeur de l’IFEA datant de mai 1988. Clic droit sur l’image pour l’afficher dans ses dimensions originales

4. Les recherches sur Albert Gabriel

Les recherches sur Albert Gabriel constituent un autre axe très fécond, qui semble avoir passionné Pierre Pinon, associé à sa fille Mathilde et adossé institutionnellement à l’INHA, institution auprès de laquelle il a été délégué en 2010. La visite de la maison de Gabriel à Bar-sur-Aube en septembre 2003, en compagnie, entre autres, de son épouse Agostina, de Stéphane Yérasimos et de Belkıs Yerasimos (DOC 3) occasionne des découvertes extraordinaires (qu’il s’agisse des aquarelles, des cartes, des documents manuscrits et tapuscrits, des livres et autres objets) et semble constituer un moment clé de cet intérêt pour Gabriel. Pierre Pinon s’efforcera par la suite de sanctuariser ces ressources et de procéder aux premiers inventaires, tout en commençant à les valoriser par des publications. Le premier couronnement sera la belle exposition « Albert Gabriel (1883-1972) Mimar, Arkeolog, Ressam, Gezgin /Architecte, archéologue, artiste et voyageur » réalisée en Turquie (en collaboration avec Yapı Kredi), dont le catalogue demeure une référence10. L’exposition laisse entrevoir toute la richesse et la diversité des ressources de la maison de Bar-sur-Aube et inaugure plusieurs conférences et publications sur l’architecte-historien-archéologue fondateur de l’IFEA11.

5. Recherches sur Henri Prost

Enfin, la collaboration avec Cana Bilsel initiée dans le cadre du programme « Occidentalisation d’Istanbul… » s’est poursuivie à travers le dernier axe, celui des recherches sur l’architecte-urbaniste d’Istanbul Henri Prost. Cristallisées autour des ressources de l’Institut Français d’Architecture, versées à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine après la mise en place de cette institution en 2004 (abritant aussi l’École de Chaillot où enseignait Pierre Pinon). Cet axe fut magnifiquement concrétisé par l’exposition From the Imperial Capital to the Republican Modern City : Henri Prost’s Planning of Istanbul (1936-1951) qui s’est tenue en 2010 au Centre de Recherches sur Istanbul (IAE) lié au musée de Péra, à quelques encablures de l’IFEA. Le volumineux catalogue12 a révélé au public turc la richesse des ressources disponibles en France, très complémentaires de celles disponibles à l’Atatürk Kitaplığı d’ailleurs. D’autres publications sont liées à cet axe, qui pour certaines ont précédé l’exposition13 et pour d’autres lui ont fait suite.

Au total, le « versant turc » de l’œuvre de Pierre Pinon, nourri par des collaborations nombreuses dont l’IFEA a été souvent le pivot, témoigne des centres d’intérêt très nombreux d’un érudit aux larges horizons s’étendant entre Paris, Rome et la Nouvelle Rome. Il a correspondu avec un renouveau des études urbaines à l’IFEA, dans l’esprit du père fondateur si cher à notre collègue disparu.

Autres publications « turques » (liste non exhaustive)

Istanbul (avec A. Borie, S. Yerasimos et A. Yücel), suppl. au Bulletin d’Informations Architecturales, n° 114, IFA, Paris, 1987.

« La maison ottomane : une centralité inachevée ? », dans Les Cahiers de la Recherche Architecturale, n° 20/21 (avec A. Borie), 1988, pp. 62-71.

« Le Corbusier et la maison turque », dans catalogue de l’exposition Le Corbusier, le passé à réaction poétique, CNMHS, Paris, 1988, pp. 165-173.

« Maisons ottomanes à Bursa (Turquie) » (avec A. Borie), actes du colloque Habitat traditionnel dans les pays musulmans, Aix-en-Provence (1984), IFAO, Le Caire, 1991, vol. 3, pp. 647-663.

« Essai de définition morphologique de la ville ottomane des XVIIIe-XIXe siècles », dans La culture urbaine des Balkans, 3. La ville des Balkans depuis la fin du Moyen Age jusqu’au début du XXe siècle. Académie Serbe des Sciences et des Arts, Institut des Études Balkaniques, Beograd [1989], Paris-Belgrade, 1991, pp. 147-155.

« Relevés après incendie et plans d’assurances : les précurseurs du cadastre stambouliote » (avec S. Yerasimos), dans Environmental Design, 1996, n° 1-2, « Urban Morphogenesis. Maps and Cadastral Plans », pp. 112-129.

« L’occidentalisation de la maison ottomane : le rôle des minoritaires et des étrangers », dans European houses in the Islamic CountryEnvironmental Design, XVth-XVIth year, n. 1-2, 1994-1995, Como, 1998, pp. 38-49.

« Trasformazioni urbane tra il XVIII e il XIX secolo », Rassegna, 72 (Istanbul, Costantinopoli, Bisanzio), 1998, p. 52-61.

« Les villes du Pont vues par le Père de Jerphanion. Tokat, Amasya, Sivas », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Age, tome 110, n° 2. 1998. pp. 859-865.

Istanbul, « Portrait de ville », Archiscopie (avec A. Borie), Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris, 2010, 80 p.

« Henri Prost, Albert Gabriel, Istanbul Archeological Park and the Hippodrome », dans Hippodrome / Atmeydanı, A Stage for Istanbul’History, Pera Müzesi, Istanbul, 2010, pp. 152-167.

  1. RCP 08-736 sera rebaptisé à la fin de l’année 1988, le programme de recherche s’ouvrant à d’autres échelles et objets d’analyse que le seul habitat. []
  2. « Résidences de France dans l’Empire ottoman : notes sur l’architecture domestique », In: Daniel Panzac (dir.), Les villes dans l’Empire ottoman : activités et sociétés, Éditions du CNRS, 1991, t. I, p. 59-70. []
  3. « La maison turque », supplément au n° 94 du Bulletin d’Informations Architecturales, Paris, 1985 []
  4. Voir « Atelier Turquie : les maisons de Niğde », dans Architecture & Patrimoine, La lettre du D.S.A., « Villes orientales », n° 3, ENSA Paris-Belleville, Paris, 2009, pp. 60-65 ; et « Atelier Turquie : les maisons de Tire », dans Architecture & Patrimoine, La lettre du D.S.A. « Villes orientales », n° 4, ENSA Paris-Belleville, Paris, 2010, pp. 42-42. []
  5. « Tokat : essai sur l’architecture domestique et la forme urbaine », In : Anatolia moderna – Yeni anadolu, Tome 1, 1991. pp. 239-273 DOI : https://doi.org/10.3406/anatm.1991.861 (avec Yerasimos Stéphane et Borie Alain). []
  6. « Essais sur l’architecture domestique et la forme urbaine des villes anatoliennes, II. Afyon ». In : Anatolia moderna – Yeni anadolu, Tome 6, 1996. pp. 191-253 DOI : https://doi.org/10.3406/anatm.1996.944 (avec Yerasimos Stéphane et Borie Alain). []
  7. Après cette date, l’école de la Défense ferme ; et les trois « compères » se retrouvent à l’École de Paris-Belleville. []
  8. « L’occidentalisation d’Istanbul et des grandes villes de l’Empire ottoman aux XIXe et XXe siècles : Izmir, Beyrouth, Damas », 1994 ; voir : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03102014/document []
  9. Citons : « Topographie des lotissements et transformations urbaines d’Istanbul dans la seconde moitié du XIXe siècle », dans Histoire économique et sociale de l’Empire ottoman et de la Turquie (1326-1960), actes du sixième congrès international, Aix-en-Provence [1992], vol. VIII, Louvain-Paris, coll. Turcica, 1995, p. 687-703 ; ou : « Métamorphose d’une ville », dans Critique, « Byzance-Istanbul », t. XLVIII, n° 543-544, 1992, p. 712-720 ; voir aussi : « Les paradoxes de l’occidentalisation de l’architecture à Istanbul à la fin du XIXe siècle », in : Romantisme, 2006/1, n° 131, Armand Colin, p. 51-59. Sur les voyageurs occidentaux, voir entre autres : « Les voyages en Orient de Jacques Foucherot, architecte et ingénieur », dans Recherches sur le monde ottoman, XVe-XIXe siècle (J.-L. Bacqué-Grammont, P.-S. Filliozat et M. Zink, éd.), Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 2014, pp. 187-205. []
  10. Albert Gabriel (1883-1972) Mimar, Arkeolog, Ressam, Gezgin /Architecte, archéologue, artiste et voyageur, Yapı Kredi yay., İstanbul, 2006, 439 p. []
  11. « Albert Gabriel (1883-1972), archéologue », dans Un architecte français à Délos, au temps de la grande fouille, 1908-1911, École Française d’Athènes-Ville de Mykonos (diffusion De Boccard), Athènes-Mykonos, 2008, pp. 6-8 ; « Lettres de Hippolyte Marlot à Gabriel de Mortillet (1867-1870) », dans Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de Semur-en-Auxois, t. CXVI, 2008, pp. 66-78 ; « Albert Gabriel et les Turcs », in : Işıksel G. & Szurek E. (dir.), Turcs et Français. Une histoire culturelle, 1860-1960, Presses Universitaires de Rennes, collection « Histoire », p. 239-248. []
  12. From the Imperial Capital to the Republican Modern City : Henri Prost’s Planning of Istanbul (1936-1951), İstanbul Araştırmaları Enstitüsü, Istanbul, 2010, 380 p. []
  13. Comme le remarquable article (publié par l’IFEA) qui semble faire le lien entre Gabriel et Prost : « Le projet de parc archéologique d’Istanbul de Henri Prost et sa tentative de mise en œuvre par Albert Gabriel. In : Anatolia Antiqua, Tome 16, 2008. pp. 181-205. https://www.persee.fr/docAsPDF/anata_1018-1946_2008_num_16_1_1259.pdf []

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