Guerre Israël-Hamas : la violence de l’affrontement laisse peu de place à la négociation sur les otages / LE MONDE

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Au moins 150 personnes ont été kidnappés : soldats, enfants, femmes et personnes âgées, Israéliens, binationaux ainsi qu’étrangers. Mais l’intransigeance du mouvement islamiste et le refus du gouvernement Nétanyahou d’en faire une monnaie d’échange laissent peu de place, pour l’heure, aux tentatives de médiations.

Le 14 Octobre 2023, Le Monde / Par Hélène Sallon(Beyrouth, correspondante), Ghazal Golshiri(Doha, envoyée spéciale), Madjid Zerrouky et Nicolas Bourcier(Istanbul, correspondant)

« Tout comme l’organisation Etat islamique a été écrasée, le Hamas sera écrasé », a promis, jeudi 12 octobre, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, laissant présager une offensive terrestre dans la bande de Gaza. La détermination d’Israël à faire payer le prix fort au mouvement islamiste palestinien pour la mort des 1 200 Israéliens tués dans l’attaque du 7 octobre laisse peu de place à la négociation sur le sort des otages détenus dans l’enclave. Le gouvernement Nétanyahou refuse de céder au chantage du Hamas, qui réclame la fin des bombardements israéliens en préalable à l’ouverture de tractations et menace, dans le cas contraire, d’exécuter les otages, un à un.

Le nombre d’otages aux mains du Hamas donne une dimension inédite à cette guerre. Des soldats ont été capturés, ainsi que des enfants, des femmes et des personnes âgées. Parmi eux se trouvent des Israéliens, mais aussi des binationaux et des étrangers, conférant au dossier une dimension internationale. Sept jours après leur capture, il n’existe encore que des estimations : ils seraient au moins 150. Les autorités israéliennes ont notifié à 97 familles que leurs proches avaient été capturés, mais des dizaines de personnes sont encore portées disparues, et des corps sont en cours d’identification.

Le Hamas se refuse à communiquer un nombre. « Nous ne les avons pas comptés. Ils sont aux mains de différents groupes. La majorité des factions de la résistance palestinienne ont pris des prisonniers de guerre parmi les soldats et les colons [terme qu’emploie le Hamas pour désigner les Israéliens, y compris ceux vivant sur le territoire israélien]. Le chef du Jihad islamique a annoncé que son mouvement a pris trente prisonniers. Les civils aussi ont pris des prisonniers », a commenté au Monde Moussa Abou Marzouk, le représentant des affaires étrangères du Hamas, à Doha. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a ouvert un canal de discussions avec le mouvement pour obtenir des informations sur leur sort.

« C’est très très dur »

« On a un engagement soutenu et continu avec le Hamas, qui se passe souvent face à face. Aujourd’hui, on espère pouvoir avoir une issue positive, mais c’est très très dur », reconnaît Fabrizio Carboni, le directeur régional du CICR pour la région Proche et Moyen-Orient. Le CICR réclame de pouvoir effectuer des visites humanitaires et de permettre aux otages de communiquer avec leurs familles. « Il y a des personnes qui ne devraient pas être détenues et qui doivent être relâchées », ajoute M. Carboni, insistant sur le fait que le Hamas a « l’obligation unilatérale » de mettre fin à cette situation, contraire au droit international humanitaire.

Le Hamas a planifié cette prise d’otages à grande échelle pour s’assurer une monnaie d’échange afin de libérer les 5 100 Palestiniens, dont 36 femmes et 170 enfants, détenus dans les prisons israéliennes. Par le passé, Israël s’est montré prêt à payer un prix élevé pour la libération de ses otages. En 2011, le soldat franco-israélien Gilad Shalit avait été libéré, après cinq ans de captivité, contre mille prisonniers palestiniens, dont le chef actuel du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar. Un autre échange de prisonniers était en négociation pour récupérer les corps de deux soldats israéliens tués à Gaza pendant la guerre de 2014, ainsi que ceux de deux civils en vie détenus depuis des années.

Lors d’un rassemblement « New York se tient aux côtés d’Israël », à New York, le 10 octobre 2023.
Lors d’un rassemblement « New York se tient aux côtés d’Israël », à New York, le 10 octobre 2023. SPENCER PLATT / AFP

« Il est encore trop tôt pour parler des otages. Nous sommes sous les bombardements », coupe court Moussa Abou Marzouk. Les Israéliens soumettent l’enclave palestinienne à un pilonnage d’une violence inédite, un déluge de feu qui a déjà fait 1 537 victimes civiles depuis samedi. Le Hamas affirme que quatre des otages qu’il détenait sont morts dans des frappes israéliennes. Sa branche militaire a menacé d’exécuter un otage chaque fois que l’armée israélienne bombarderait des cibles civiles à Gaza sans avertissement, et d’en diffuser la preuve vidéo ou audio.

Instiller la terreur

Le mouvement veut instiller la terreur parmi les familles d’otages afin qu’elles accentuent leurs pressions sur les autorités israéliennes. Opposé à toute négociation, M. Nétanyahou a seulement promis qu’Israël « réglerait ses comptes avec quiconque ferait du mal » aux otages. Son ministre de l’énergie, Israël Katz, agite la menace d’une punition collective contre les deux millions de Gazaouis, en maintenant le siège de l’enclave. « Aucun interrupteur électrique ne sera allumé, aucun robinet d’eau ne sera ouvert et aucun camion de carburant n’entrera tant que les Israéliens enlevés ne seront pas rentrés chez eux », a-t-il promis, jeudi.

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« Israël veut finir le boulot : faire tomber le gouvernement du Hamas par les bombardements puis une offensive terrestre. Les familles des otages sont mobilisées, mais le public israélien semble prêt à les sacrifier », observe Gershon Baskin, un militant pour la paix israélien, qui a aidé dans les négociations pour Gilad Shalit. Avec 1 200 Israéliens tués par le Hamas, Israël n’est aucunement disposé à offrir au mouvement palestinien une quelconque récompense.

« Aujourd’hui, du fait du massacre de tant de gens, on ne voit plus le Hamas comme une organisation avec qui il est possible de négocier. C’est une organisation barbare. On ne négocie ni avec l’Etat islamique ni avec le Hamas », estime un ancien conseiller à la sécurité nationale de M. Nétanyahou, Yaakov Amidror. La seule exception à ses yeux concerne les femmes, les enfants et les personnes âgées. « Si nous avons une offre juste, nous pourrions la prendre en considération », ajoute ce « faucon », lié à la droite religieuse.

Le Qatar, qui accueille plusieurs hauts responsables politiques du Hamas en exil, joue un rôle de premier plan dans la médiation des otages, en coordination étroite avec les Américains. Le Hamas a évoqué, dès samedi, avec les Qataris, une proposition d’échanger 36 otages – des femmes, des enfants, et des personnes âgées – contre le même nombre de Palestiniens emprisonnés en Israël. « Personne ne sait pas exactement quel est le nombre d’otages, mais si l’on en croit les médias selon lesquels ils voulaient 36 prisonniers palestiniens, le nombre de femmes et d’enfants qu’ils ont est probablement similaire », explique une source qui préfère rester anonyme.

Fin de non-recevoir

« Le Hamas continue à parler aux Qataris. Ce qui est positif. L’essentiel pour le moment est de les convaincre de libérer les femmes et les enfants », assure la même source. « Le bureau du Hamas au Qatar et l’aide financière à Gaza, coordonnée avec les Israéliens, placent les Qataris dans une bonne position pour mener des négociations et parler à la fois avec le Hamas et les Israéliens. Ils ont connu du succès dans le passé grâce à cette combinaison. Il est peu probable que les Israéliens acceptent une quelconque médiation à ce stade », poursuit cette source informée des discussions.

Des canaux ont aussi été ouverts par l’Egypte, qui s’est affirmée comme un médiateur privilégié entre le mouvement islamiste palestinien et l’Etat hébreu depuis 2017 et la prise de distance du Hamas avec les Frères musulmans. Selon des sources sécuritaires anonymes égyptiennes citées par le média saoudien Al-Sharq, Le Caire mène une négociation entre les deux parties pour obtenir des libérations. Les efforts égyptiens se concentrent pour le moment sur les cas civils et non militaires. Le Caire serait dans l’attente de recevoir les conditions du Hamas pour la libération des prisonniers, selon la même source.

Proche du Qatar et des mouvements palestiniens, la Turquie a confirmé, mercredi, avoir engagé elle aussi des négociations avec le Hamas en vue de tenter une médiation dans la libération des otages. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, multiplie les contacts avec les dirigeants de la région qui tentent de concerter leurs efforts en vue d’une désescalade. Avec, pour le moment, une fin de non-recevoir des belligérants. Washington soutient leurs initiatives. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, est attendu vendredi en Arabie saoudite, en Egypte et aux Emirats arabes unis, après s’être rendu à Jérusalem, où il était accompagné de Steve Gillen, l’envoyé spécial adjoint du président pour les affaires d’otages, à Amman et à Doha, jeudi.

« Qu’est-ce qui peut bien empêcher une offensive terrestre si le Hamas ne fait pas preuve d’humanité ? », s’interroge Gershon Baskin. Une équipe d’experts techniques américains, spécialisés dans la libération d’otages, a été missionnée en Israël par le président des Etats-Unis, Joe Biden, pour assister les forces spéciales israéliennes dans la localisation des personnes détenues, certainement dispersées dans le réseau de tunnels, dans des maisons et des abris de l’enclave de 360 kilomètres carrés. « Il sera impossible pour le Hamas de garder ces otages sous terre sans qu’il y ait des fuites. Des commandos seront envoyés pour les libérer : certaines opérations réussiront, d’autres non », prédit Gershon Baskin.

Par Hélène Sallon(Beyrouth, correspondante), Ghazal Golshiri(Doha, envoyée spéciale), Madjid Zerrouky et Nicolas Bourcier(Istanbul, correspondant).

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