La présidentielle à Chypre marquée par le coût de la vie et les tensions avec la Turquie – Marie Jégo / LE MONDE

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« Trois candidats se disputent la succession de Nicos Anastasiades, au pouvoir depuis dix ans. Le dossier de la réunification de l’île, divisée depuis 1974, et l’exploitation des champs gaziers constituent des enjeux importants des années à venir. » Marie Jégo, Le Monde du 5 février 2023.

Les Chypriotes sont appelés aux urnes, dimanche 5 février, pour le premier tour de l’élection présidentielle, au terme d’une campagne sans relief, les trois candidats en lice étant tous d’anciens collaborateurs du président conservateur sortant, Nicos Anastasiades, 76 ans, qui se retire après dix ans passés à la tête de l’île divisée. Les prétendants à la fonction suprême se sont efforcés de sortir de son orbite et de se démarquer les uns des autres, ne serait-ce que pour faire oublier le dicton populaire selon lequel ils sont tous « les fils d’Anastasiades ».

Averof Neophytou, 61 ans, qui dirige depuis 2013 le Rassemblement démocratique (DISY, droite conservatrice), se présente comme un « choix sûr ». Il a pour lui son expérience et son habileté politique. C’est sous sa houlette que le DISY, qui n’avait pas la majorité au Parlement, a pu faire passer les réformes requises par la « troïka » (Fonds monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne) pour juguler la crise financière de 2012 et de 2013. « Ceux qui prétendent instaurer le changement ne réussiront qu’à créer le chaos », a déclaré ce politicien au visage sévère lors de son dernier rassemblement, jeudi. « L’heure n’est ni aux expérimentations ni aux erreurs », a-t-il martelé, valorisant la stabilité retrouvée.

A l’inverse, Andreas Mavroyiannis, 66 ans, joue la carte du renouveau politique. Ancien négociateur en chef de M. Anastasiades dans les pourparlers avec les Chypriotes turcs pour la réunification de l’île, il est soutenu par le Parti progressiste des travailleurs (AKEL, d’obédience communiste). Universitaire, passé notamment par Paris, où il fut assistant de recherche à Panthéon-Assas, ce diplomate chevronné tente d’attirer à lui les déçus de l’administration sortante, soupçonnée de corruption. Est notamment en cause un programme controversé d’attribution, contre des investissements sur place, de passeports de l’Union européenne, dont Chypre est membre depuis 2004, à des hommes d’affaires douteux, notamment russes.

Un Etat divisé

L’octroi de ces « passeports en or » a cessé, mais sa mise au jour a entaché la réputation du gouvernement sortant. « Dans cette élection, il y a trois favoris et deux choix : la poursuite de cette gouvernance ou un changement progressiste », a rappelé M. Mavroyiannis à ses partisans, avant la clôture de la campagne, vendredi.

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Décrit comme le favori du scrutin, Nikos Christodoulides, 49 ans, se présente en tant qu’indépendant, bien qu’il soit lui aussi membre du DISY, le parti de M. Anastasiades. Autrefois porte-parole du gouvernement puis ministre des affaires étrangères, il ambitionne de séduire tous les Chypriotes, indépendamment de leurs convictions politiques. « J’ai l’expérience, les connaissances, les relations, et je veux voir mon pays libre et réunifié », a-t-il déclaré lors de son dernier meeting de campagne. Pourtant, son intransigeance vis-à-vis des Chypriotes turcs laisse peu d’espoir en faveur d’un règlement politique rapide.

Depuis 1974, Chypre est divisée entre l’Etat chypriote grec, qui exerce son autorité sur la partie sud de l’île, reconnue par la communauté internationale, tandis que la République turque de Chypre du Nord (RTCN), où vivent les Chypriotes turcs, non reconnue, est soutenue par Ankara seulement. Le processus diplomatique parrainé par les Nations unies en vue de la réunification est au point mort.

Exploitation des champs gaziers

Alors que Nicosie exige le départ des 40 000 soldats turcs basés dans le nord de l’île, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne songe qu’à y renforcer ses capacités militaires aériennes, comme on l’a vu en 2021 avec l’ouverture d’une base de drones à Geçitkale. Enfin, sa mise en avant d’une solution « à deux Etats », sa nouvelle marotte, n’a aucune chance d’être entendue par les Chypriotes grecs.

Deux questions sont prioritaires pour l’avenir de l’île, le retour aux négociations en vue de sa réunification et la poursuite de l’exploitation des champs gaziers découverts ces dernières années dans sa zone maritime. Les deux dossiers sont liés. En l’absence de règlement politique, les tensions vont perdurer avec Ankara, qui réclame sa part de la manne gazière au nom des Chypriotes turcs.

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Recep Tayyip Erdogan n’a pas hésité par le passé à envoyer des bâtiments militaires pour entraver le travail des compagnies pétrolières occidentales à pied d’œuvre au large de Chypre. Depuis, la Méditerranée orientale s’est militarisée. Un trait renforcé par la levée de l’embargo sur les ventes d’armes américaines à destination de Nicosie, décidée par Washington à l’automne 2022.

Mais, pour l’heure, les électeurs chypriotes, 561 000 personnes, se sentent davantage concernés par la perte de leur pouvoir d’achat. La flambée des prix de l’énergie, la hausse de l’inflation (10,9 % sur un an en 2022), attise le mécontentement, manifesté en janvier lors d’une grève générale. Le prix du carburant, bien plus bas dans la partie nord, incite les automobilistes chypriotes grecs à s’y rendre de plus en plus souvent pour faire le plein.

Le Monde, 5 février 2023, Marie Jégo.

Photo by Reuters.

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