La volte-face d’Ankara sur la Syrie, une blague de mauvais goût – Courrier International

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« Le début d’une réhabilitation d’Assad par la Turquie, sous le parrainage de Moscou, passe très mal dans les milieux de l’opposition syrienne. Dans une tribune publiée sur le site “Daraj”, cette écrivaine et journaliste y voit l’ultime coup de couteau dans le dos d’un peuple sacrifié sur l’autel d’intérêts géopolitiques et de calculs électoraux iniques » rapporte Courrier International du 22 janvier 2023.

On dirait une mauvaise blague : Recep Tayyip Erdogan compte rencontrer Bachar El-Assad pour établir la paix dans la région. Bachar El-Assad, l’un des dirigeants les plus sanguinaires, présenté comme un passage obligé pour aboutir à la paix !

Oublié les insultes échangées entre les deux hommes durant des années. Le président syrien avait qualifié son homologue turc de “voleur”, et ce dernier avait affirmé que les jours d’Assad au pouvoir étaient comptés puisqu’il se maintenait uniquement “par les chars et par l’artillerie”.

Une rencontre en décembre à Moscou

Pendant des années, la Turquie était en effet l’un des principaux pourfendeurs du régime syrien et l’un des plus fervents soutiens de la révolution syrienne. Et voilà que le président turc déclare vouloir rencontrer son homologue syrien “pour établir la paix”. Qu’est-ce qui a donc changé ?

Depuis un an déjà, les déclarations se suivaient pour préparer ce rapprochement. Cela a culminé [en décembre] avec [la rencontre entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays] organisée à Moscou par Vladimir Poutine, qui se drape ainsi en faiseur de paix. Alors même que dans le même temps, il agite partout sa machine de guerre, aussi bien en Ukraine qu’en Syrie.

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Vladimir Poutine, qui rêve de peser sur les affaires du monde, n’allait pas laisser passer cette occasion de réaffirmer son influence au Moyen-Orient.

Il s’agit d’un retournement spectaculaire de la Turquie, qui passe de soutien indéfectible aux victimes à des échanges d’amabilités avec le bourreau. Recep Tayyip Erdogan n’avait de cesse d’exprimer sa compassion pour le peuple syrien, en dénonçant la violence du régime de Damas et en accueillant des millions de réfugiés sur le sol turc.

“Entre dictateurs et assassins, on se comprend”

Le voilà qui découvre soudainement que l’approche humanitaire ne lui permet pas de gérer ses problèmes internes, encore moins de faire taire les critiques croissantes au sujet de la présence de ces réfugiés syriens et de trouver une solution à la présence du Parti des travailleurs du Kurdistan sur sa frontière.

La solution toute trouvée est donc de sous-traiter ces questions au régime syrien. Autrement dit, de se débarrasser de ses tracas en les refourguant à Bachar El-Assad.

Cette “paix historique” entre les deux hommes se fait sous le signe du nihilisme. Dans l’immédiat, cela paraîtra peut-être comme un succès, mais en réalité, cela consistera uniquement en une simple poignée de main par-dessus une table dont la nappe sera maculée du sang des Syriens.

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Ensuite, les deux comparses recevront les félicitations d’autres régimes non moins sanguinaires puisque, entre dictateurs et assassins, on se comprend.

Reste que, pour la Turquie, cette rencontre ne changera rien. Elle se retrouvera exactement au même point. Le régime syrien en revanche y gagnera un peu plus d’espace pour se remettre à flot et pour pouvoir espérer un accroissement des pressions pour la levée des sanctions internationales.

Les réfugiés, dernière carte avant la présidentielle

En réalité, c’est Recep Tayyip Erdogan qui est en mauvaise posture dans son pays à l’approche des élections. La dernière carte qu’il trouve à jouer est celle des réfugiés syriens. Mais est-ce que ce sera vraiment une carte gagnante ? Étant donné que le régime syrien n’envisage pas sérieusement le retour de ces réfugiés qui risquent de constituer un fardeau économique supplémentaire à gérer.

De plus, qui peut sérieusement vouloir rentrer dans un pays où l’on risque de franchir les portes d’une prison avant de pouvoir franchir le seuil de sa maison ?

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Aucune explication à ce rapprochement n’est convaincante, ce qui donne à penser qu’il faut simplement y voir le signe d’un pouvoir turc désemparé.

En réalité, ce sont les Émirats arabes unis [qui ont inauguré cette politique de réhabilitation du régime de Damas, dès début 2021]. On peut supposer que d’autres pays suivront le chemin de la réconciliation avec Bachar El-Assad.

Éloigner Assad du giron iranien

Reste à savoir pourquoi le régime iranien ne fait pas entendre sa voix sur cette question. Est-ce simplement parce qu’il est accaparé par ses problèmes intérieurs ? Cela pourrait expliquer pourquoi il n’a proposé aucune aide lors de la récente crise autour des carburants en Syrie.

Ou cela signifie-t-il que la Russie et la Turquie souhaitent réduire l’influence iranienne en Syrie ? Autrement dit, assiste-t-on à la reconfiguration d’un jeu tripartite entre Moscou, Ankara et Téhéran au profit d’un recentrage sur les deux acteurs essentiels, la Russie et la Turquie ?

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Beaucoup d’inconnues entourent ce rétablissement [à venir] des relations turco-syriennes, d’autant qu’on ne voit pas les gains de quelque importance que cela pourra apporter.

D’aucuns y voient une blague et préfèrent rire de ces deux présidents qui se comportent comme deux adolescents. Mais nous autres, cela ne nous fait pas rire. Car nous sommes les pions de ce jeu.

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Courrier International, 22 janvier 2023

Carmen Karim

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