Le F-35 américain, un avion de chasse symbole de dépendance européenne / LE MONDE

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Le Monde, le 15 juin 2025

Article signé par : Nicolas Bourcier (Istanbul), Elsa Conesa (Berlin), Cécile Ducourtieux (Londres), Anne-Françoise Hivert(Suède), Philippe Jacqué (Bruxelles), Allan Kaval (Rome), Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles),Elise Vincent

Enquête: Concentré de technologies, l’avion furtif américain équipe treize armées européennes, et met à mal la souveraineté recherchée depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.

Les sourires étaient de rigueur, le 28 avril, à Orland, l’une des principales bases de l’armée de l’air norvégienne, située au bout d’un vaste fjord battu par les vents, sur la côte ouest du pays. Sur le tarmac, le ministre de la défense norvégien, Tore O. Sandvik, assistait à une cérémonie particulière. Les honneurs étaient destinés aux nouveaux venus dans les rangs de la Luftforsvaret, l’armée de l’air norvégienne : deux F-35, cet avion de chasse fabriqué par l’américain Lockheed Martin et considéré comme l’un des plus performants au monde.

Mais le cœur y était-il vraiment ? Initialement, la cérémonie devait célébrer l’accession du royaume nordique au titre de premier pays au monde à disposer d’une flotte complète de F-35 : 52 avions de chasse, obtenus au terme de près de dix-sept années d’attente et de quelque 8 milliards d’euros d’investissements. Mais à cause du rapprochement du président américain, Donald Trump, avec la Russie de Vladimir Poutine, les déclarations des uns et des autres sonnaient creux, en ce jour de printemps, dans un pays particulièrement exposé à l’agressivité militaire de Moscou.

« Le F-35 (…) renforce la dissuasion contre les ennemis potentiels », a bien salué le ministre de la défense norvégien. « Nous avons vu comment le F-35 peut mener des opérations en soutien de la marine, de l’armée et, surtout, de l’Alliance [atlantique] »,a également souligné le chef d’état-major des armées, Eirik Kristoffersen, alors que les F-35 norvégiens participent, depuis 2020, aux missions de police du ciel de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Mais, en réalité, en Norvège comme dans la douzaine de pays européens ayant fait le choix de se doter de cet avion au cours des dernières années, la bascule opérée par Washington en direction de Moscou est un coup de tonnerre.

Chaîne d’interdépendances

Le F-35 est un contrat dont il est compliqué de se défaire. Les milieux de la défense le qualifient parfois de « TINA »,pour « there is no alternative » (« il n’y a pas d’alternative »), en référence à l’expression attribuée à l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher (1979-1990), qui l’utilisait pour parler du capitalisme, seul système économique valable à ses yeux. Alors que les avions de chasse sont, dans toutes les armées du monde, les équipements parmi les plus onéreux et les plus structurants, le F-35 américain est conçu autour d’une vaste chaîne d’interdépendances numériques et de sous-traitances industrielles éparpillées à travers le monde.

Avec son design unique et ses armements placés dans des soutes intégrées au fuselage de l’appareil, le F-35 est, en effet, le seul avion occidental considéré comme « furtif », c’est-à-dire très difficilement détectable par les défenses antiaériennes adverses. Il a aussi la particularité de dépendre de données gérées par les Etats-Unis. Pour préparer leurs missions, les pilotes des F-35 européens doivent envoyer leurs plans de vol vers des data centers américains. La maintenance des logiciels embarqués et les commandes de pièces détachées sont également en partie automatisées à distance. Autant de secrets d’habitude jalousement gardés, y compris entre alliés, mais pas avec le système F-35.

Beaucoup voient ce « fil à la patte numérique » des F-35 comme un kill switch, une sorte de bouton d’arrêt que les Américains pourraient actionner pour clouer au sol des appareils. Lockheed Martin a toujours démenti l’existence d’un tel dispositif, de même que la plupart des experts en aéronautique militaire. Le F-35 donne toutefois aux Etats-Unis une forme de droit de regard sur les données partagées avec leurs alliés, même si ces derniers se prévalent toujours d’une liberté d’action totale. Mi-mars, le sous-secrétaire d’Etat aux forces armées britannique, Luke Pollard, assurait ainsi que « le Royaume-Uni [pouvait] utiliser le F-35 quand et où il le choisit ».

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Alors que doit se tenir, du 16 au 25 juin, au Bourget (Seine-Saint-Denis), l’un des plus grands salons mondiaux d’aéronautique, et à quelques jours du sommet annuel de l’OTAN, à La Haye, du 21 au 24 juin, le F-35 est devenu, en quelques mois, le symbole de la dépendance contrariée du continent européen au grand frère américain. Il incarne les limites de l’autonomie stratégique de la défense européenne tant vantée par Emmanuel Macron, alors que le Rafale français ou le Gripen suédois ne sont pas en mesure de rivaliser techniquement avec le F-35, selon les experts.

L’amertume des pays partenaires est d’autant plus forte que Donald Trump ne cesse de brandir la menace d’un désengagement américain de l’OTAN et de la défense collective européenne. Aujourd’hui, le programme F-35 compte, en Europe, 13 pays clients ou partenaires : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Finlande, la Norvège, le Danemark, la Pologne, la Roumanie, la Grèce, la Suisse et la République tchèque. Un énorme marché pour Lockheed Martin, qui vend également ses appareils au Japon, à la Corée du Sud, à Singapour, à l’Australie, aux Emirats arabes unis et à Israël.

Mutualisation des coûts

C’est en 2001 qu’a été officiellement lancé le programme F-35 sur le Vieux Continent. Les Etats-Unis cherchaient depuis quelques années le moyen de financer le développement d’un modèle d’avion innovant qui puisse servir, à terme, à trois de leurs corps d’armée : l’US Navy, l’US Air Force et le corps expéditionnaire des marines. La facture s’annonçait colossale – le programme a déjà coûté plus de 1 500 milliards de dollars (1 300 milliards d’euros), selon un rapport de la Cour des comptes américaine, publié en 2024. Dès cette époque, les ingénieurs américains ne cachent pas que le projet sera long et le transfert de technologies limité. Mais la promesse est belle : parvenir à construire, ensemble, le premier avion de chasse furtif au monde.

Le projet intervient dans un contexte très favorable aux arguments des Etats-Unis. Depuis 1975, il existe déjà sur le Vieux Continent un « club » de pays qui utilisent des avions de chasse américains, de type F-16 : les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Finlande et le Danemark. Ils sont rejoints par la Grèce, en 1989, puis par le Portugal, en 1990. « Or, tous sont alors extrêmement satisfaits de cet appareil multirôle fabriqué par General Dynamics, qui bénéficie de mises à jour très fréquentes, bien plus que d’autres modèles d’avions en Europe à cette époque »,détaille un spécialiste des questions aérospatiales.

En outre, le programme F-16 est, comme le futur F-35, déjà basé sur un système de sous-traitance industrielle dans plusieurs de ces pays afin de limiter les coûts de production. Américains comme Européens sont alors déjà confrontés à la « loi d’Augustine », du nom d’un ancien sous-secrétaire à l’armée américain. En 1984, Norman R. Augustine avait théorisé le fait que la complexité croissante des équipements militaires allait engendrer une hausse inexorable de leur prix, bien plus rapide que l’inflation et la croissance. En extrapolant le coût unitaire des avions de combat depuis 1910, il estimait ainsi qu’« en 2054 l’ensemble du budget de la défense ne permettra[it] d’acheter qu’un seul avion ».

Face à cette explosion annoncée des coûts, des Européens ont cherché à se regrouper. Dès les années 1960, la République fédérale d’Allemagne se joint à l’Italie et au Royaume-Uni pour développer le Tornado. Au début des années 1980, Bonn, Londres, Madrid et Rome se rapprochent pour lancer l’Eurofighter Typhoon. Il est produit par EADS, le britannique BAE Systems et l’italien Leonardo. Stockholm et Paris font cavalier seul. La Suède sait qu’elle peut s’appuyer sur le savoir-faire de Saab pour développer le Gripen. Pour la France, l’enjeu demeure l’autonomie de la dissuasion nucléaire. C’est dans ce contexte qu’est lancé le Rafale de Dassault, en 1982.

Le F-35, lui, sera porté par tous les leviers de la superpuissance politique et militaro-industrielle de Washington. Vingt-cinq ans après son lancement, le programme a tissé une vaste toile de dépendances particulièrement compliquées à dénouer. « Un avion de chasse n’est pas un frigidaire qu’on commande et qu’on remplace ; c’est un objet complexe, politique et géopolitique, rappelle Jean-Christophe Noël, chercheur associé à l’IFRI. On achète un objet, mais aussi un partenariat stratégique. » Et ce pour au moins cinquante ans, entre le développement, la production, puis l’exploitation des avions jusqu’à leur mise hors service.

Résolus à courber l’échine

Les débats suscités depuis janvier par le rapprochement de Washington avec Moscou en vue de mettre fin à la guerre en Ukraine sont en grande partie retombés. Le F-35 avait été considéré par beaucoup d’alliés comme un moyen de s’acheter une assurance-vie auprès des Etats-Unis. Mais, en dehors du Canada outre-Atlantique, le Portugal est le seul pays européen à avoir mis en suspens sa décision de rejoindre le programme, alors que sa flotte de F-16 arrive en fin de vie. « La position récente des Etats-Unis (…) doit nous faire réfléchir », a déclaré, mi-mars, le ministre de la défense portugais, Nuno Melo, contre l’avis de son armée de l’air.

Les premiers, en Europe, à s’être résolus à courber l’échine sont les Allemands. Alors que Friedrich Merz n’était pas encore officiellement entré en fonctions comme chancelierà la suite des élections fédérales du 23 février, le ministère de la défense allemand a fait connaître sa position, mi-mars, par la voix de son porte-parole : l’armée ne souhaite pas se désengager du projet d’acquisition de 35 F-35 pour remplacer sa vieille flotte de 85 Tornado. En 2022, dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine et du retentissant discours du chancelier Olaf Scholz sur le « changement d’époque » (Zeitenwende)prévoyant un investissement massif dans la défense avec la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros, Berlin avait, en effet, annoncé son souhait de rejoindre le programme du chasseur américain, dont il ne faisait pas partie jusque-là.

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Malgré un intense débat politique,l’ensemble de la chaîne militaire allemande a fermé la porte à toute émancipation de l’allié américain. « Personne ne peut nier que de tels contrats comportent des incertitudes, a ainsi déclaré le ministre de la défense, Boris Pistorius, dans un entretien au Spiegel, en avril. Mais l’alternative qui consisterait à se retirer maintenant entraînerait des coûts se chiffrant en milliards d’euros. Sans compter que cela romprait nos relations avec les Etats-Unis, que nous souhaitons préserver. » Le projet d’équipement est évalué à environ 10 milliards d’euros pour les aéronefs et l’adaptation des infrastructures.

La décision allemande est essentiellement liée au fait que les futurs F-35 sont les seuls avions du marché ayant obtenu le feu vert des Etats-Unis pour porter les bombes nucléaires B-61 prépositionnées en Allemagne depuis le milieu des années 1950 – des ogives nécessaires au fonctionnement du « parapluie » nucléaire américain. En prévision de la livraison des premiers appareils en 2027, la base aérienne de Büchel, en Rhénanie-Palatinat, où sont stockées les bombes nucléaires B-61, a commencé à être modernisée, avant la polémiquesuscitée par les positions de Donald Trump. De nouveaux hangars et une nouvelle piste d’atterrissage ont notamment été construits. « Les jeux étaient faits à partir du moment où les Américains ont refusé que le Typhoon, développé entre autres par les Allemands, puisse emporter les ogives nucléaires. Ils ont dit : “Nous partageons notre dissuasion, mais vous achetez nos avions” », résume un expert.

Liens organiques

L’autre pays à avoir rapidement confirmé son adhésion au programme F-35 est le Danemark. Bien que le président américain ait profondément perturbé l’ensemble des responsables politiques danois en affirmant qu’il était prêt à « acheter » le Groenland, le royaume a fait le pari d’obtenir un peu de répit en confirmant son intention de commander des avions supplémentaires à son parrain militaire. Engagé, depuis 2016, dans une commande de 27 appareils – dont 15 ont été livrés depuis 2023 – pour renouveler sa vieille flotte de 77 F-16, Copenhague a confirmé, fin mars, réfléchir à l’acquisition de huit à dix nouveaux F-35 dans le cadre de son effort global de réarmement.

Cette nouvelle commande devrait permettre de limiter la diminution drastique de la flotte danoise causée paradoxalement par le passage au F-35. Les coûts d’acquisition et d’entretien de l’appareil sont toujours très importants pour les pays utilisateurs (évalués à plus de 70 millions d’euros pièce et 33 000 euros l’heure de vol), ce qui diminue souvent le nombre d’avions des forces aériennes. « Certaines personnes essaient de donner l’impression que nous pouvons faire cavalier seul et nous débarrasser des Etats-Unis, mais, en réalité, nous ne pouvons pas, parce que nous sommes membres de l’OTAN », a justifié le ministre de la défense danois, Troels Lund Poulsen, le 26 mars, dans le quotidien économique Borsen.

En Italie, où sont également stationnées des bombes B-61, et où deux escadrons de F-35 sont en service aux côtés d’une flotte de Typhoon et de Tornado, le débat n’a en revanche pas été très vif. L’Italie est actuellement le pays européen le plus dépendant, en matière d’emplois, du programme F-35. Cameri, dans le Piémont, héberge, depuis 2013, le principal centre d’assemblage et de maintenance européen de l’avion de chasse. Géré par le groupe national d’armement Leonardo, avec le ministère de la défense italien, il réalise notamment les ailes du modèle F-35A, la version la plus produite de l’appareil. Sa production est ensuite envoyée sur des sites de Lockheed Martin, au Texas et au Japon.

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Aux yeux de Rome, l’usine de Cameri revêt une importance économique majeure, avec 1 200 employés et plus de 30 entreprises italiennes associées à la chaîne de valeur. « Le dossier F-35 est vu par Rome comme un levier de transformation pour l’industrie italienne, avec l’accès à de nouvelles technologies », souligne Jean-Pierre Darnis, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste du secteur de défense italien.

Comme le rappelle Piero Batacchi, directeur de la Rivista Italiana Difesa, principale publication du secteur en Italie, « le programme F-35 a été porté par tous les gouvernements de gauche et de droite. Il est lié à la relation bilatérale très forte avec les Etats-Unis, au-delà de l’appartenance à l’OTAN ». Le lien entre les armées de l’air italienne et américaine est organique, les pilotes italiens se formant historiquement dans les académies américaines.

Polémique des pièces détachées

L’engagement du Royaume-Uni dans le programme F-35 n’a pas non plus flanché, malgré les revirements de l’administration Trump. Depuis une première vague de commandes lancée, en 2006, par le gouvernement travailliste de Tony Blair, et des appareils livrés à partir de 2012, Londres possède actuellement près d’une quarantaine de F-35, à la fois pour le compte de la Royal Air Force et de la Royal Navy, qui les utilise sur les porte-avions. Ces F-35 complètent une flotte mixte, composée notamment d’Eurofighter Typhoon. Leur nombre est encore amené à croître, d’après la Revue stratégique de défense britannique publiée le 2 juin.

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Au-delà des liens militaires historiques entre Londres et Washington, notamment en matière de dissuasion nucléaire, le Royaume-Uni est, comme l’Italie, très dépendant des Etats-Unis sur le plan industriel avec le F-35.Des pièces essentielles de l’appareil sont fabriquées dans le pays – notamment l’arrière du fuselage, des éléments du système électronique, les sièges éjectables, des systèmes d’interception actifs, les lasers de ciblage et les câbles de largage d’armes. Plus de 100 entreprises britanniques y contribuent, à commencer par le géant BAE Systems.

La polémique la plus intense porte aujourd’hui sur la livraison de pièces détachées du F-35 à Israël. Si le gouvernement de Keir Starmer a suspendu, en septembre 2024, une trentaine de licences de composants destinés à Tel-Aviv, reconnaissant qu’ils risquaient d’être impliqués dans de possibles crimes de guerre à Gaza, il n’a rien pu faire, en revanche, sur les composants des F-35 fabriqués au Royaume-Uni. « La distribution mondiale des composants du F-35 est contrôlée par le programme dirigé par le gouvernement américain. Le gouvernement [britannique] n’a pas de visibilité sur les composants du F-35 distribués par le programme aux Etats »,a plaidé le ministère de la défense, fin 2024.

Les Pays-Bas et la Belgique, pays hôtes de bombes B-61 américaines, n’ont guère eu d’autre choix que de rester fidèles au F-35. Et les affres de la dépendance aux Etats-Unis se sont fait durement sentir, ces derniers mois. Comme Amsterdam, Bruxelles a accepté de céder l’intégralité de sa flotte de F-16 à l’Ukraine, mais des retards dans les livraisons des F-35 à la Belgique ont repoussé celles des F-16 aux forces de Kiev. Aux Pays-Bas, des associations ont obtenu auprès d’un tribunal néerlandais, en février 2024, la suspension des exportations à Israël des pièces détachées du F-35. Le royaume héberge en effet, sur la base aérienne de Woensdrecht (Sud-Ouest), l’un des trois principaux centres au monde de redistribution de composants de l’appareil.

Exclusion de la Turquie

Le pays le plus emblématique de la dépendance contrariée aux Etats-Unis demeure la Turquie. Pilier oriental de l’OTAN, cette dernière possède l’un des plus grands parcs de F-16 au monde, soit environ 245 appareils. Des avions qu’elle produit, sous licence, depuis les années 1980, par le biais de la société Turkish Aerospace Industries. Malgré ce système, Ankara dépend de Washington pour les mises à niveau électroniques, notamment des radars et des pièces détachées critiques. Or, l’acquisition, en 2019, d’un système de défense antiaérienne et antimissile russe S-400, capable théoriquement d’abattre des avions de l’OTAN, a suscité les foudres de Washington. Depuis, les Etats-Unis ont suspendu la participation turque au programme de fabrication des F-35, bloquant la modernisation de son aviation.

Pourtant associée de longue date au programme, la Turquie s’est ainsi vu refuser les 100 appareils qu’elle avait prévu d’acquérir – Washington redoutant le transfert d’informations sensibles à Moscou, qui lui permettrait notamment de contourner la furtivité de son avion de combat. Avant son exclusion du programme, Ankara produisait plus de 900 pièces différentes pour le F-35, dont des composants critiques : des éléments de train d’atterrissage, de la cellule centrale et du cockpit. A partir de 2020, ces pièces ont toutes été progressivement assignées à d’autres fournisseurs.

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Depuis, Ankara tente de compenser avec le développement de son propre chasseur, le Kaan, dont un prototype a volé pour la première fois en février 2024. La Turquie tente aussi d’acquérir des Eurofighter Typhoon. Mais il lui faut pour cela l’approbation des quatre pays membres du consortium qui fabrique l’appareil : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. Or, Berlin bloque pour l’instant le projet, préoccupé par la dérive autoritaire du régime turc. Le coup est rude pour le président Recep Tayyip Erdogan, soucieux d’affirmer sa capacité de projection régionale dans le nord de la Syrie et de l’Irak, et de ne pas apparaître moins bien armé que la Grèce – qui doit recevoir ses premiers F-35 à partir de 2028 –, son adversaire en Méditerranée en raison du contentieux historique autour de Chypre.

Face à cet empilement de contraintes, nombre d’acteurs de la défense regardent avec un regain d’intérêt les deux principaux projets de développement d’avions de chasse de sixième génération, lancés en Europe dans un souci d’autonomie stratégique : le système de combat aérien du futur, porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne ; et le Global Combat Air Programme, soutenu par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon. Ces deux projets, sources de nombreuses tensions entre industriels, ne sont toutefois qu’en phase d’étude et ne donneront pas naissance à un avion opérationnel avant 2040.

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Face aux évolutions du contexte international, le leader français de l’aéronautique, Dassault, s’est aussi remis officiellement, depuis l’automne 2024, dans la course à la furtivité, avec un « drone de combat furtif » pouvant accompagner la dernière version du Rafale à partir de 2033. Le projet avait été abandonné il y a quelques années faute de moyens, mais la furtivité apparaît désormais comme indispensable pour percer des défenses aériennes ennemies, notamment à l’aune des capacités d’une armée russe disposant aujourd’hui des systèmes antiaériens et antimissiles parmi les plus perfectionnés au monde.

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