Cinéma de Turquie et Nouvelle Vague. Le film ANIDEN (« Soudain ») – Nora SENI / MEDIAPART

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Film de la réalisatrice turque Melissa Önel, présenté au 21è festival du Cinéma de Turquie à Paris. On y décèle l’influence -tardive- de la Nouvelle Vague et du cinéma français des années 60.

Mediapart, le 10 mai 2024, par Nora Seni

De retour à Istanbul, une femme d’une quarantaine d’années renonce à repartir pour l’Allemagne où elle et son mari sont installés depuis des années. Elle erre dans la ville, s’introduit dans un appartement désert, des housses recouvrent les meubles quelque peu entassés, elle s’assoit, elle est chez elle, elle n’est pas chez elle, elle écoute les sons qui s’échappent de l’appartement voisin, sa mère est en conversation avec sa sœur, elle se félicite du départ de sa fille en Allemagne, elle au moins échappe aux difficultés de la vie en Turquie dit-elle. La démarche de la femme est légèrement claudicante. On saura plus tard qu’il s’agit d’une blessure qui lui a coûté sa carrière de patineuse. Le film la suit dans une tentative de disparition aux siens, à sa vie maritale, à sa mère, à sa sœur. Elle s’installe et travaille dans un hôtel vétuste dans une arrière-rue de Beyoglu, l’ancien quartier déchu de Péra qui fut européen. Elle est quasi muette, sa quête est vague mais tenace. Elle semble issue d’un désir d’observer sa vie à bonne distance. On ne sait rien de son histoire, pas grand-chose non plus de ses émotions mais on la suit dans la quête de ses sens. Elle a perdu l’odorat, mais elle a aiguisé son regard qui reste très sensible, notamment au vide de cet appartement recouvert de housses, lieu mis entre parenthèse et qui attend le retour d’improbables habitants. Un coup de fil lui rappelle périodiquement un rendez-vous médical qu’elle semble décidée à ignorer. Un filet de sang qui s’échappe d’une narine introduit un suspense, est-elle atteinte d’une maladie mortelle ? La même question que se pose l’héroïne de Cléo de cinq à sept, le merveilleux film d’Agnès Varda.

On l’a compris, présenté au 21e festival du Cinéma de Turquie à Paris (28 mars- 7 avril 2024) ce film qui pour titre « Aniden » (Soudain) est tout à fait imprégnée de la Nouvelle Vague, de  l’esprit et de l’esthétique du cinéma français des années soixante. La longueur des plans, l’introduction du sens de la durée, l’attention à la texture intime des choses signent l’influence de ce courant. Les dialogues sont simples. L’héroïne est quelqu’un d’ordinaire en quête d’indépendance et de rupture, plutôt indifférente à sa famille et aux règles sociales. Comme dans Cléo de cinq à sept on ne saura rien de l’issue de sa maladie suggérée, mais on repartira satisfait et rempli de l’avoir accompagnée dans une déambulation essentielle à sa vie, à travers rues stambouliotes et salons abandonnées.

Aniden

Turquie, 2022 – 115 min – VO en turc STFR

Réalisatrice : Melissa Önel

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