“On The Sultan Service ” Lu par Timoune Muhidine

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Timour Mouhidine, professeur à l’INALCO (Institut National des Langues Orientales) a lu pour l’Observatoire de la Turquie Contemporainel’ouvrage du célèbre écrivain turc Halit Ziya Uşaklıgil, Saray ve Ötesi, traduit et publié en anglais sous le titre de On the Sultan’s Service“.

            “Publié en janvier 2020 par Indiana University Press, cet ouvrage est la version anglaise de Saray ce Ötesi (Le Palais et autres sujets) publié en trois volumes entre 1940 et 1942 par Halit Ziya Uşaklıgil, augmenté d’une présentation de Douglas Scott Brookes. Moins connu que l’ample volume de mémoires du romancier turc (Kırk Yıl/ Quarante années paru en 1936), ce texte tire son intérêt du regard interne que propose celui qui fut secrétaire du sultan Reşat, entre 1909 et 1912. Nommé par le Comité Union et progrès pour assurer la continuité de l’état après la déposition et l’éloignement d’Abdülhamit II, il décrit en détail ses fonctions et la vie d’un secrétaire principal du Mabeyn. Evoquant les conventions et obligations souvent ennuyeuses de la vie impériale, Halit Ziya produit un témoignage unique et souvent très personnel du protocole des centres de décision d’un grand empire où les fonctionnaires ont quand même une vie à eux : le soir, son collègue Tevfik Bey quitte ses fonctions et choisit d’aller se distraire dans un cinéma de Tepebaşı où il entraîne aussi l’auteur qui évoque pour nous les films de Charlie Chaplin et Harold Lloyd (nous sommes avant 1914), mais aussi les pièces et acteurs de boulevard dont les Ottomans raffolaient.

            Ce qui domine ces chroniques, c’est la vie quotidienne dans les palais de Yıldız et de Dolmabahçe, les affaires du Harem, l’entretien des parcs, les goûts et tocades des sultans, princes héritiers y-compris, les questions militaires et diplomatiques, les tensions entre les membres de la  famille impériale et les partisans du Comité Union et Progrès, les visites de souverains étrangers, la place occupée par les journalistes et hommes de lettres que Halit Ziya connaît depuis trente ans et qui viennent quémander des faveurs de tout ordre au Palais. Certains évènements prennent l’apparence d’un conte oriental ; par exemple, une princesse indienne en visite (qui se loge au Pera Palas) demande audience au sultan : aucun interprète n’étant disponible à cette occasion, les deux interlocuteurs discuteront en persan, tant bien que mal… La seule langue étrangère vraiment dominée par les sultans et les fonctionnaires du Palais reste le français. On trouve aussi dans cet ouvrage un des rares témoignages directs – et celui-ci est assez désenchanté – sur l’écrivain Pierre Loti, coqueluche de certains milieux francophiles de Constantinople mais considéré avec admiration et suspicion par les auteurs turcs contemporains. Il faudrait encore mentionner le récit des déplacements du Sultan Reşat, sa tournée de trois semaines à travers la Roumélie, la visite à Salonique (où était détenu Abdülhamit II), une autre visite sur la tombe de Sultan Murat dans la province de Kosovo… L’ensemble est fourmillant de détails, d’anecdotes sur la période précédant les Guerres balkaniques, signal de la fin d’un monde. La grande et la petite histoire s’y côtoient et l’on sort de cette lecture plus informé sur l’humanité des êtres qui s’agitaient derrière les murs des palais.

Pour présenter brièvement l’auteur de cette étude : enseignant de turc ottoman à l’Université de Californie, Douglas Scott Brookes a déjà publié plusieurs livres dont trois concernent le domaine turc : outre cette traduction de Halit Ziya, il a tout d’abord donné The Concubine, the Princess and the Teacher en 2008 puis Harem Ghosts en 2016. On regrettera simplement que cette parution américaine n’ait pas été précédée d’un traduction d’un des grands romans de l’auteur, son oeuvre de mémorialiste restant inférieure en termes de création.

Timour Muhidine est Professeur à l’INALCO. Il est l’auteur des ouvrages Istanbul Rive-Gauche (CNRS Editions, 2019) , Têtes rouges et bouches noires et autres textes (avec F. Georgeon, A. Gokalp, CNRS Editions, 2011) et de nombreux articles parus dans des revues telles que Confluences poétiquesSiècle 21, Omnibus et d’autres.

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