Les habitants de Samandag, localité durement touchée par le séisme de février 2023 (53 537 morts), se plaignent de ce qu’ils considèrent comme des discriminations de l’État central turc. La population de cette région du sud de la Turquie est en grande partie arabe et de confession alaouite ou chrétienne.
À l’extrême sud de la Turquie, la ville de Samandag et sa région, 124 000 habitants, ont été parmi les plus durement touchées par le séisme meurtrier du 6 février 2023, qui fit 53 537 victimes selon les chiffres officiels. Au cours des mois qui ont suivi, le président islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan, alors en pleine campagne pour sa réélection, avait promis que les habitations détruites seraient reconstruites « dans l’année »
.À l’été 2025 pourtant, aucune maison n’est encore sortie de terre dans la ville, déplore son maire, Emrah Karaçay, seul élu en Turquie du TIP, le parti de gauche radicale. L’État n’a rien construit pour le moment, nous, avec notre budget limité et de l’aide internationale (1) nous essayons de bâtir des locaux communs pour promouvoir l’emploi, la culture et l’éducation mais nous ne pouvons rien faire pour le logement
déplore-t-il.
Ahmet, lui, a dressé sa tente au bord de la route. Accablé par la chaleur, le cinquantenaire et sa famille y ont élu domicile depuis que leur immeuble s’est effondré. Je n’ai pas les moyens de reconstruire et les aides de l’État sont insuffisantes pour me permettre de le faire, je n’ai pas non plus la possibilité de continuer mon travail de menuisier car je n’ai plus d’atelier où travailler, le loyer des rares locaux disponibles est hors de prix
se plaint-il.
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Des terres agricoles réquisitionnées
Chez Ahmet comme chez tous les habitants interrogés plane le même soupçon : Dans les autres villes il y a des chantiers à perte de vue, mais ici l’État ne nous aime pas car nous sommes des opposants et que nous défendons notre culture
résume Ahmet. La majorité des habitants de la ville appartiennent à la minorité arabophone et alaouite de Turquie, une religion hétérodoxe dérivée notamment de l’islam chiite et aussi présente dans la Syrie voisine.
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Sur les collines du quartier de Magaracik, qui surplombent la mer Méditerranée, s’étend un imposant chantier noyé dans la poussière. L’État y a lancé des travaux visant à loger des milliers de personnes, en réquisitionnant les terres des habitants. Avant, ici, c’étaient des champs d’oliviers et de mandarines, j’ai toujours vécu de l’agriculture, mais le prix qu’on m’a donné ne me permet pas de racheter d’autres terres… Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?
se désespère Ali, trentenaire.
Comme lui, les autres propriétaires condamnent la méthode employée : aucune concertation ni réunion publique avec les habitants, prévenus par seulement SMS. Les pelleteuses ont débarqué au petit matin, escortées par des dizaines de gendarmes. Nous sommes toujours considérés par l’État comme des sous-citoyens, car nous sommes des minoritaires, arabes alaouites, chrétiens ou arméniens
se désole Ferit Hannun, chrétien arabophone et représentant local du TIP. L’État aurait pu choisir de construire sur des terrains publics, mais au lieu de cela il vient prendre la terre de gens qui ont déjà tout perdu
s’indigne-t-il. Les habitants ont entamé une procédure judiciaire qui aurait dû geler l’avancée des travaux. Mais le 5 août au matin, gendarmes et pelleteuses étaient de retour sur les lieux.
1. La population de Samandag a notamment été aidée par les lecteurs d’Ouest-France, via un don de l’association Ouest-France Solidarité de 13000€ à la paroisse grecque orthodoxe d’Antioche pour fournir 5000 repas par jour aux sinistrés du séisme. L’appel aux dons lancé alors par Ouest-France Solidarité avait permis de collecter 471 994€ d’aide reversés aux populations affectées de Turquie et de Syrie via une douzaine d’organisations humanitaires et caritatives.