Compte rendu par Nora Seni du roman « Portrait du poète en salaud » de Nicolas Elias, Les Argonautes, février 2025
« La quatrième de couverture du roman de Nicolas Elias annonce le sujet : « Un jeune écrivain amorce une biographie de Nâzım Hikmet, le plus célèbre des poètes turcs, chantre de l’amour et du communisme, afin d’en écorner le mythe ».
Ici le mot écorner est un euphémisme. Au jeune biographe de Hikmet Nicolas Elias fait détricoter avec ironie et une calme jubilation les fils qui ont tissé la légende de Hikmet. Il lui fait afficher une distance goguenarde avec son objet, le poète turc, minimisant l’intérêt littéraire ou existentiel qui l’aurait incité à entreprendre cette biographie…Je ne prétends pas, dit le locuteur, « à une œuvre magistrale, non, plutôt à un opuscule que je compte expédier dans l’année et qui me rapportera de quoi voir venir. »
Le biographe prévient, ce qu’il appelle son opuscule sera de modeste voilure, et qu’on ne vienne pas lui chercher noise comme s’il avait promis une œuvre d’envergure. Cependant Elias conduit son affaire de main de maître, déployant une prose virtuose, nerveuse comme on le dit d’une automobile, avec un sens de la formule dont il régale le lecteur. Hikmet n’est pas la seule cible des sarcasmes du biographe, celui-ci égratigne au passage les acteurs qui en ont fait un grand homme : « Ah, les Parisiens et leurs génies, les communistes et leurs grands hommes, l’humanisme radieux, s’ils pouvaient s’étouffer avec, tous autant qu’ils sont. De ce fantasme éculé la dernière guerre nous a enseigné le prix sans nous en faire passer le goût ».
La défaillance de Hikmet en tant que père -il abandonne son fils- révulse le locuteur plus que toute autre lâcheté. Il faut dire qu’il est lui-même en train d’être père et le manquement du poète à sa responsabilité de géniteur le condamne irrévocablement à ses yeux.
Rien ne permet de distinguer le biographe de l’auteur du roman. Le parti pris iconoclaste auquel se tient Nicolas Elias tout au long de son récit est courageux autant du point de vue littéraire que politique. Il n’en est pas moins jubilatoire par son style malicieux et grâce au brio de sa prose. »
Nora Seni