Séisme en Turquie : “Erdogan empêche les ONG de faire leur travail” – Mégane Chiecchi / GEO.FR

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Parti en Turquie le 13 février, après le premier séisme dans le sud du pays, Laurent Vincent-Bardin, membre de l’ONG “SOS Attitude”, dénonce l’attitude du gouvernement turc qui bloque l’acheminement d’aide humanitaire sur place. Le reportage de Mégane Chiecchi dans Geo.fr du 22 février 2023.

Alertés la veille du premier séisme de magnitude 7,8, des membres de l’ONG SOS Attitude prennent leurs billets pour la Turquie le dimanche 5 février. Le lendemain, ils sont au cœur du chaos. Leur mission : évaluer la situation afin d’organiser un convoi humanitaire plus conséquent. C’était sans compter l’intervention du gouvernement turc qui refuse aux associations la prise en charge des victimes. Avec un camion de 40 tonnes rempli de 50 000 euros de dons bloqué dans le port de Mersin, à l’ouest du pays, ils ont décidé de rentrer en France, faute de pouvoir apporter un soutien aux populations sur place.

GEO.fr : Dans quelles conditions êtes-vous partis en Turquie ?

Laurent Vincent-Bardin, membre de l’ONG SOS Attitude : La veille du séisme, on a reçu une alerte avec une graduation. Le président de l’association, John Diksa, ainsi qu’un pompier humanitaire solidaire, Frédéric Vigreux, ont pris des billets d’avion pour Gaziantep et Istanbul le lendemain. Je les ai ensuite rejoints. Pour entrer facilement en Turquie nous avons pris nos vols à nos noms, sans mentionner que nous venions en tant qu’ONG. C’était essentiel pour pouvoir se déplacer dans le pays en naviguant sous les radars des autorités. La philosophie de notre petite association (20 membres), c’est de se rendre rapidement sur le théâtre des catastrophes pour faire une évaluation du terrain avec du matériel.

Qui vous a accueilli une fois sur place ?

Nous avons activé nos réseaux : un de nos interprètes nous a accueillis dans sa famille, il nous a ensuite servis de guide. Nous avons commencé par visiter les villes d’Elbistan et Pazarcik, au niveau de l’épicentre du séisme. On a constaté que 95 % des habitations étaient détruites dans les villages alentour, donc a distribué des tentes, des sacs de couchage et des couvertures.

« On m’a rapporté que certaines personnes sauvées des décombres étaient mortes de froid, faute d’abris. »

Dans quel état avez-vous trouvé la population civile ?

Ce qu’il faut imaginer c’est qu’il fait 0 degré le jour et – 25 dans la nuit. On m’a rapporté que certaines personnes sauvées des décombres étaient mortes de froid, faute d’abris. Les gens dorment dehors, parce qu’ils ont peur des répliques et des fissures. Quand la maison tient encore, ils n’osent même pas y retourner. Ils veulent bien planter un algeco, mais hors de question de se réinstaller. La ville de Pazarcik, qui compte plusieurs centaines d’immeubles, est fantôme.

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Quelle a été votre première action humanitaire ?

L’urgence est absolue car on va entrer dans une saison où il pleut quasi continuellement. On a donc commencé par livrer des algeco aux familles qui essayent de récupérer ce qui peut encore s’utiliser dans les décombres : bâches, bois, poêle. C’est la règle de la débrouillardise en attendant de penser à une reconstruction qui prendra quatre à cinq ans au bas mot. Je suis maître d’œuvre, je m’y connais dans le bâtiment : quand je vois les assemblages de parpaing, de pierres et de fer dans les ruines, ça ne pouvait évidemment pas tenir.

« Si vous commencez à déblayer, vous pouvez être poursuivi par les autorités turques. »

Comment avez-vous travaillé avec les autorités turques ?

Dans la région où j’étais, les maisons avaient déjà été passées à l’étude. C’est-à-dire que le gouvernement est venu, a scanné les bâtiments et a considéré qu’il n’y a plus rien à chercher. C’est comme si on bouclait l’accès aux décombres. Un QR code est posé devant, il indique que le lieu est « réputé sans victime à secourir » donc si vous commencez à déblayer, vous pouvez être poursuivi.

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Pourquoi dites-vous que le gouvernement turc empêche les ONG d’apporter de l’aide humanitaire ?

C’est un choix politique. Mercredi 15 février, Erdogan a décidé de prendre le contrôle de l’aide humanitaire, rendant impossible la poursuite de nos actions. Toutes les ONG non répertoriées par le gouvernement turc sont donc persona non grata. Même Médecins Sans Frontières, pourtant reconnue mondialement, n’a pas d’agrément. Sur place, des centres de distribution, pourtant très bien gérés par les Kurdes, ont aussi été fermés par la gendarmerie. Par ailleurs, rappelons que l’ONU a versé un milliard d’euros au gouvernement turc… Et pourtant nous avons rencontré des équipes de l’UNDAC (United Nations Disaster Assessment and Coordination) qui n’ont aucune autorisation de se déployer.

« On ne peut pas laisser ces 50 000 euros aux mains d’un gouvernement dont on sait qu’il va probablement revendre la marchandise. »

Pourquoi avez-vous décidé de rentrer en France le 18 février ?

Il est impossible de travailler ou de faire rentrer du matériel dans le pays. Nous sommes en pourparlers pour tenter de récupérer un camion de 40 tonnes, rempli de dons, bloqué dans le port de Mersin, à l’ouest de la Turquie. Et on ne peut pas laisser ces 50 000 euros aux mains d’un gouvernement dont on sait qu’il va probablement revendre la marchandise.

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Parti en Turquie le 13 février, après le premier séisme dans le sud du pays, Laurent Vincent-Bardin, membre de l’ONG “SOS Attitude”, dénonce l’attitude du gouvernement turc qui bloque l’acheminement d’aide humanitaire sur place.

Geo.fr, le 22 février 2023, par Mégane Chiecchi.

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