Turquie : les féministes alertent contre une hausse du nombre de morts « suspectes » / RTBF

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En ce 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites aux femmes, les organisations féministes de Turquie organisent des rassemblements, notamment à Istanbul. Dans ce pays qui marque un recul dans la protection contre les violences ces dernières années, les ONG réclament des mesures concrètes pour empêcher les féminicides.

Le 25 novembre 2023, RTBF.

Dans les entrefilets de la presse quotidienne turque, on ne la connaît que par son âge (32 ans) et ses initiales, H. K. Le 17 novembre, cette habitante de Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie, a appelé sa famille à l’aide. Une heure plus tard, on retrouvait son corps sans vie sur le pavé, au pied d’un immeuble. Cause du décès : chute. Le parquet a demandé une autopsie avant l’enterrement. Si l’enquête n’aboutit pas, H. K. rejoindra la longue liste des femmes dont la mort est considérée comme « suspecte ».

Ce 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites aux femmes, c’est pour H. K. et toutes les autres que les associations féministes défileront à Istanbul et dans le reste du pays. L’an dernier, la plateforme « Nous stopperons les féminicides » a dénombré 334 meurtres de femmes avérés et 245 morts suspectes (classées par les autorités comme « accidentelles », « naturelles » ou « suicides », mais que les ONG soupçonnent d’être des meurtres déguisés). Cette année, entre janvier et fin octobre, la plateforme a déjà compté 253 féminicides, pour 194 morts suspectes. Cela représente, cette année comme la précédente, trois femmes qui meurent tous les deux jours. Dans plus de 7 cas sur 10, elles sont tuées par leur mari, leur compagnon, ou l’homme qu’elles ont quitté.

Les meurtriers pensent qu’ils pourront cacher leur crime et ils sont sûrs d’échapper aux sanctions

Plus mobilisées que jamais, les féministes turques alertent notamment sur la hausse du nombre de décès par défenestration, comme H. K. à Diyarbakir. « Les meurtriers pensent qu’ils pourront cacher leur crime et ils sont sûrs d’échapper aux sanctions« , fustige Fidan Ataselim, secrétaire générale de la plateforme « Nous stopperons les féminicides », qui dénonce des enquêtes bâclées et accuse les autorités – pouvoir politique, police et justice – d’entretenir ce sentiment d’impunité. « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour éclaircir ces décès. Nous collectons des preuves, nous mettons en évidence des contradictions grâce à des faits concrets et nous interpellons l’opinion publique« , explique Fidan Ataselim dans le quotidien d’opposition BirGün.

Au gouvernement qui assure que les statistiques baissent et que la Turquie est exemplaire dans la lutte contre les violences, les ONG rappellent que le pays s’est retiré en 2021 de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes (convention d’Istanbul). Pour assurer sa réélection à la présidentielle de mai dernier, Recep Tayyip Erdogan a par ailleurs élargi son alliance à deux petits partis islamistes, le Parti de la cause libre (Hüda-Par) et le Yeniden Refah, qui réclament l’abolition de la loi turque de prévention des violences faites aux femmes (loi 6284) votée en 2012, applaudie à l’époque par les ONG féministes.

C’est terrifiant. Mais paradoxalement, ça fait tomber les murs de peur. Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire que la mort ?

Ces dernières dénoncent enfin toutes les manifestations interdites ces dernières années (dont celles du 25 novembre) et les procédures judiciaires engagées contre la plateforme « Nous stopperons les féminicides » pour « activités contraires au droit et à la morale ». En septembre, un tribunal d’Istanbul a finalement abandonné les poursuites, une victoire pour les féministes. Ces épreuves n’ont fait que renforcer leur détermination, assure Fidan Ataselim. « Ce qui fait le succès de notre mobilisation, c’est que nous ne luttons pas seulement pour l’égalité des droits, nous luttons pour notre vie« , explique la militante à la RTBF, citant une fois de plus les chiffres des féminicides. « C’est terrifiant. Mais paradoxalement, ça fait tomber les murs de peur. Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire que la mort ? »

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