L’opposition turque accuse le pouvoir d’avoir ouvert “grand les portes à l’argent sale” – Courrier International

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« Le chef du principal parti d’opposition turc a accusé l’AKP de Recep Tayyip Erdogan et son ministre de l’Intérieur de ne rien faire contre le juteux trafic de méthamphétamines. L’occasion pour le journal d’opposition “Cumhuriyet” de rappeler les liens troubles du parti au pouvoir avec la pègre, notamment celle d’extrême droite » dit Courrier International du 4 novembre 2022.

Sous la plume d’un de ses journalistes d’investigation, Baris Terkoglu, déjà emprisonné à deux reprises pour ses activités journalistiques, le quotidien d’opposition kémaliste Cumhuriyet se penche, le 3 novembre, sur les rapports troubles entre le pouvoir politique turc et le monde de la pègre. Un débat qui ressurgit régulièrement, alimenté notamment par les révélations épisodiques du parrain en exil Sedat Peker, et ouvert cette fois par l’opposition.

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Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, Kemal Kilicdaroglu, le chef du CHP, principal parti d’opposition, a dénoncé une “épidémie de méthamphétamine”, une drogue de synthèse à bas prix, qui serait, selon lui, nourrie par le pouvoir. Il accuse notamment :

“Après avoir détruit l’économie de ce pays, ils ont dû ouvrir grand les portes à l’argent sale venu de partout ; des milliards de dollars d’argent de la drogue pour redresser la balance commerciale de la Turquie.”

Et de s’en prendre nommément au puissant ministre de l’intérieur, Suleyman Soylu, rebaptisé “Breaking Bad Suleyman” – en référence à la célèbre série télévisée. Le ministre et le président Recep Tayyip Erdogan ont promis au chef de l’opposition qu’il aurait à “répondre de ses mensonges devant les tribunaux”.

Règlements de comptes en série au sein de la pègre

De son côté, la préfecture d’Istanbul a publié un communiqué soulignant les efforts des forces de police dans la lutte contre la drogue, revendiquant 42 000 opérations ayant débouché sur 6 103 peines de prison au cours de l’année écoulée.

L’explosion de la consommation de méthamphétamine dans le pays est une réalité, estime Cumhuriyet, citant une étude récente de l’institut de médecine légale de la prestigieuse faculté de médecine Cerrahpasa. En étudiant les résidus de cette drogue de synthèse dans les eaux usées de la ville, elle en avait trouvé l’équivalent de 120 microgrammes pour 1 000 habitants, soit 15 fois plus qu’à Berlin et 6 fois plus qu’à Stockholm.

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Le quotidien souligne également que la Turquie est devenue le champ de bataille de différents clans mafieux internationaux. La semaine dernière, un parrain azéri, Elnur Gasimov, a ainsi trouvé la mort à Istanbul. En août, un de ses compatriotes, le gangster Nadir Salifov, avait également été abattu dans la ville alors qu’en septembre c’est un chef de gang serbe, Jovica Vukotic, qui tombait sous les balles.

Le Global Organized Crime Index des Nations unies classe désormais la Turquie à la 12e place sur 193 pays en matière de criminalité organisée – devant la Russie, qui est le premier pays du continent européen.

Les liens entre l’AKP et le crime organisé

Le journal rappelle les liaisons dangereuses qui ont pu unir certaines figures de l’AKP, le parti d’Erdogan, comme le député et conseiller présidentiel Burhan Kuzu, avec des figures du crime organisé à l’instar du baron de la drogue iranien Naji Sharifi Zindashti.

L’opposition se montre également critique d’un projet de remises de peine et de libérations de détenus à l’approche des élections. “Pas d’amnistie pour les barons de la pègre, tant pis pour la collection de romans-photos”, a promis le chef de l’opposition, en référence aux nombreux clichés immortalisant le ministre de l’Intérieur en compagnie de membres du crime organisé.

Durant la période de l’épidémie de Covid-19, le puissant chef de la mafia turque et militant d’extrême droite Alaettin Cakici avait ainsi bénéficié d’une libération longtemps demandée par le MHP, le parti d’extrême droite, allié indispensable du président Erdogan. Cette alliance avec les “loups gris”d’extrême droite, concomitante avec le retour de la guerre dans les zones kurdes du pays lancée après la défaite de l’AKP aux législatives de 2015, rappelle furieusement la Turquie des années 1990.

À cette époque, la lutte contre les indépendantistes kurdes et la corruption généralisée avaient enfanté un dangereux triumvirat réunissant les “loups gris”, les services secrets et le crime organisé, couvert et utilisé par les autorités politiques.

Courrier International, 4 novembre 2022

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