Un an après la chute d’Assad, la Syrie est devenue le théâtre d’une lutte d’influence entre Ankara et Tel-Aviv. Allié de longue date des rebelles syriens, la Turquie cherche à s’ériger en acteur clé sur l’échiquier syrien, tandis qu’Israël tente de se poser en défenseur des minorités.
Courrier International, le 8 décembre 2025
La Turquie a annoncé le 19 novembre la nomination à Damas d’un ambassadeur syrien pour la première fois depuis treize ans. Un geste qui illustre sa proximité avec le nouveau pouvoir islamiste ayant renversé le dictateur Bachar El-Assad il y a près d’un an, rapporte le quotidien turc Milliyet.
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Le même jour, souligne le journal, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, visitait des positions de l’armée israélienne dans une zone occupée du sud de la Syrie, où il s’est entretenu avec les militaires des risques posés par les ambitions turques en Syrie.
Le lendemain, le survol de l’espace aérien syrien par l’aviation israélienne n’est pas passé inaperçu dans la presse turque : “Quinze avions israéliens ont survolé la zone près de la frontière” turque, rapporte entre autres le quotidien Sözcü, notamment au-dessus de la ville syrienne d’Azaz, conquise militairement par la Turquie en 2012 et administrée par la suite par des groupes syriens alliés d’Ankara.
Soutien d’Israël aux Kurdes et aux Druzes
Alors qu’Ankara cherche à renforcer ses liens politiques, militaires et économiques avec le nouveau pouvoir islamo-nationaliste en Syrie et à s’ériger en acteur clé sur l’échiquier syrien, Israël tente aussi d’avancer ses pions et de s’ingérer dans la recomposition du paysage interne.
L’objectif, pour l’État hébreu, est de préserver ses acquis dans le Golan (occupé en 1967 et annexé unilatéralement en 1981) et d’empêcher la formation d’un front hostile à sa frontière, qui serait instrumentalisé par Ankara.
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Depuis la chute d’Assad, plusieurs incursions de Tsahal, l’armée israélienne, ont ainsi eu lieu dans le Sud syrien – dont la dernière, le 28 novembre dans le village de Beit Jinn, a fait plus de 13 morts – et des avant-postes ont été installés, y compris dans la zone démilitarisée, supposée être surveillée par les Casques bleus de l’ONU (en vertu d’un accord datant de 1974).
Au-delà de l’utilisation de la force militaire, l’État hébreu cherche également à gagner la sympathie des minorités, notamment druzes et kurdes. En juillet, lors d’affrontements intercommunautaires dans la province de Soueïda (dans le Sud, majoritairement druze), Israël a ainsi mené des frappes contre le QG du commandement militaire syrien et aux abords du palais présidentiel, à Damas, pour “sauver nos frères druzes”, selon les dires de Benyamin Nétanyahou.
“Israël ne veut pas d’une Syrie unifiée, mais d’un système fédéral avec les Druzes dans le Sud, dans une sorte de zone tampon avec Israël, et les Kurdes dans le Nord entre la Turquie et la Syrie”, analyse le quotidien Cumhuriyet.
Trump, prochain arbitre ?
Ankara craint par-dessus tout qu’Israël n’apporte un soutien diplomatique et peut-être même militaire aux forces arabo-kurdes des FDS (Forces démocratiques syriennes) qui tiennent une partie de l’est et du nord-est du pays. Ces forces, proches de la guérilla kurde de Turquie, le PKK, tentent de négocier leur intégration à la nouvelle administration syrienne en échange d’une certaine autonomie.
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Sur ce dossier, Ankara espère le soutien de Donald Trump : “Les États-Unis n’ont pas l’habitude de malmener Israël, mais avec Trump les choses changent en Syrie et dans la région et elles vont plutôt dans le sens des intérêts de la Turquie”, se réjouit le quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak.
Mais Israël joue aussi sa proximité avec le locataire de la Maison-Blanche. Pour ce dernier, l’objectif à moyen terme reste, toutefois, l’élargissement des accords de normalisation avec Israël au Moyen-Orient (dits “d’Abraham”), en commençant par la Syrie. “Israël est encore en train de jauger divers scénarios”, écrivait déjà l’été dernier Zvi Barel dans Ha’Aretz : “Traité de paix et restitution partielle ou totale du Golan […] ou ‘force de police’ imposant de facto sa domination sur l’ensemble du pays.
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