À une semaine de la présidentielle, Erdogan défend son bilan et attaque violemment l’opposition – Nicolas Bourcier – LE MONDE

Must read

En meeting dimanche sur le tarmac de l’ancien aéroport Atatürk, à Istanbul, le président turc a délivré une parole guerrière et fait huer ses rivaux par la foule. Par Nicolas Bourcier dans Le Monde du 8 mai 2023.

A une semaine d’un scrutin crucial pour le pays, le 14 mai, le contraste est saisissant. Non pas tant sur le nombre de personnes – plusieurs centaines de milliers – venues assister ce week-end à Istanbul aux deux grands rassemblements des deux principaux candidats à la présidentielle turque, le président sortant Recep Tayyip Erdogan et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, mais sur le fond des discours et leurs contenus.

Autant la coalition d’opposition a fait montre d’une diversité de tons et laissé, samedi 6 mai, ses six leaders exprimer à tour de rôle une palette de points de vue sur l’état de la nation avec des recettes et propositions variées, autant l’homme encore fort d’Ankara a monopolisé seul le micro pendant plus d’une heure et demie, le lendemain, sur le tarmac du vieil aéroport Atatürk, et délivré une parole plus guerrière que politique, parfois confuse et alourdie par quelques formules faciles. Un Erdogan à la logorrhée flamboyante des grandes circonstances mais incapable, semble-t-il, d’y faire naître un discours rassembleur.

« Dimanche 14 mai, nous allons envoyer à la retraite qui vous savez », a lancé d’entrée le président turc, en annonçant la présence de « 1,7 million de personnes, ici, aujourd’hui ». La foule, toutes générations confondues, est venue en famille, avec des enfants en bas âge, ou par groupes de jeunes. L’immense majorité des filles et des femmes sont vêtues au minimum du foulard, parfois du voile intégral noir. Beaucoup d’hommes portent la barbe et le turban des confréries religieuses, ou tarikat. Sur les immenses parkings, pas moins de dix mille bus avaient été affrétés au départ des trente-neuf municipalités de la ville, selon l’AKP, le Parti de la justice et du développement, la formation créée en 2001 par Recep Tayyip Erdogan.

Le candidat à sa succession a ensuite fait huer l’opposition par la foule. « Kiliçdaroglu traîne avec des terroristes, on ne le laissera pas diviser le pays », a-t-il clamé, faisant allusion au soutien qu’a reçu son adversaire du HDP, le Parti démocratique des peuples (gauche et prokurde), que le président accuse d’être lié aux combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Le bus de campagne du maire d’Istanbul caillassé

« En vingt et un ans, nous avons procuré des emplois et permis à 21 millions de personnes de vivre de leur travail. Nous avons construit 10,5 millions de nouvelles maisons et donné un toit à des familles », a-t-il poursuivi, avant d’étriller le bilan de ses opposants : « Eux n’ont même pas planté un arbre ni posé une seule pierre. Nous, on a remodelé ce pays. » Et d’ajouter : « Quand vous avez élu votre serviteur [à la mairie d’Istanbul en 1994], il n’y avait pas d’eau dans les quartiers et il y avait des montagnes d’ordures. Nous avons mis partout des équipements sportifs et rattaché 1,25 million de maisons au gaz naturel. C’est nous qui l’avons fait, allez leur expliquer tout cela ! » Applaudissements nourris.

Fustigeant les médias internationaux, dont la couverture de la Turquie est régulièrement critiquée par le pouvoir, le président Erdogan ajoute alors : « Aux journalistes européens et étrangers qui sont là, allez leur montrer ce que nous avons fait, allez leur montrer, ce 14 mai, par votre vote. » Puis, après un premier clip projeté sur les écrans géants, énumérant à grande vitesse les réalisations de son gouvernement tant dans le domaine de l’armement que dans le bâtiment, les travaux publics et le social, il lâche, un rien menaçant envers l’opposition : « Je ne laisserai pas la place à des ivrognes » avant d’assurer qu’après vingt ans de pouvoir, lui et son gouvernement ont « multiplié par trois le revenu national ». Le président ne fera toutefois aucune mention de l’envolée vertigineuse des prix (l’inflation dépasse les 50 %), premier sujet de préoccupation, de loin, des ménages turcs. A peine évoquera-t-il la « crise mondiale qui touche tous les pays ».

D’un ton presque fataliste, il admet : « La marche est encore longue… Bien sûr que nous avons fait des erreurs, mais cela est dans l’ordre des choses. » Avant de quitter la scène, il évoque brièvement le tremblement de terre du 6 février dans les régions de Maras et Hatay, la lutte contre le terrorisme et la drogue.

Il est plus de 18 heures. Une bonne partie du public a quitté les lieux dans le calme depuis près d’une demi-heure. Un peu plus tard dans la soirée, on apprendra que le bus de campagne du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, un des soutiens les plus actifs de Kemal Kiliçdaroglu, a été caillassé dans la ville d’Erzurum, dans l’est de la Turquie, une place forte du parti présidentiel. Une douzaine de personnes auraient été blessées. La réaction du candidat de l’opposition sur Twitter n’a pas tardé : « Apporter le changement au pays a un prix, nous sommes tous prêts à le payer. »

Par Nicolas Bourcier dans Le Monde du 8 mai 2023.

More articles

Latest article