En Turquie, 4 millions de réfugiés, 9 milliards d’euros d’aide européenne et un bilan mitigé – Nicolas Bourcier / LE MONDE

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Un tiers des enfants de migrants ne seraient toujours pas scolarisés, pointe un rapport de la Cour des comptes européenne sur la gestion de ces fonds.

Le Monde, le 25 avril 2024, par Nicolas Bourcier

Au plus fort de la crise migratoire, en 2015, le président français François Hollande avait dit « nous avons besoin de la Turquie, elle accueille beaucoup de réfugiés ». Neuf ans plus tard, la situation n’a pas changé, sinon que le nombre de migrants arrivés sur le territoire de l’Union européenne a drastiquement baissé. L’accord négocié à l’initiative de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel entre Bruxelles et Ankara avait fixé une enveloppe de 6 milliards d’euros pour l’aide aux réfugiés syriens se trouvant en Turquie, en échange d’une promesse de ralentissement de la migration irrégulière et des « réadmissions », autrement dit des renvois, volontaires si possible, contraints si nécessaire.

L’accord, entré en vigueur le 20 mars 2016, a entraîné le versement de deux tranches, auxquelles est venue s’ajouter en 2023 une allocation supplémentaire de 3 milliards d’euros. Le signe évident de l’importance prise par le thème de l’immigration dans les campagnes électorales à travers l’UE, mais aussi une manière de souligner les défis de taille auxquels doit faire face la Turquie.

Avec une population totale de quelque 87 millions de personnes, le pays accueille, à ce jour, 4 millions de réfugiés enregistrés, dont plus de 3,2 millions d’origine syrienne et plus de 320 000 provenant d’Afghanistan, d’Irak et d’Iran. Etant donné que moins de 5 % de ces réfugiés vivent dans des camps, leur présence a eu et continue d’avoir des répercussions considérables sur les communautés locales, en particulier dans les provinces proches de la frontière syrienne et autour des principaux centres urbains.

Projets perturbés par le séisme

C’est dire si le rapport de la Cour des comptes européenne sur la gestion de ces fonds était attendu. Un premier audit a eu lieu en 2018, et rien depuis. Le document, rendu public mercredi 24 avril, dresse une longue liste d’observations et de recommandations sur quatorze projets de développement (sur quarante-sept) en fonction de leur importance et de leurs champs d’action, allant du soutien socio-économique à la santé et aux infrastructures. Il ressort de ce tableau un bilan mitigé.

Si l’aide représente un plus pour les réfugiés et les communautés d’accueil turques, notent les membres de la Cour, « son impact est encore incertain ». Les projets financés accusent de nombreux retards et leur pérennité n’est pas assurée. « Dans un contexte politique difficile, l’aide européenne a fourni un soutien adéquat aux réfugiés et aux communautés d’accueil, affirme Bettina Jakobsen, membre de la Cour et responsable de l’audit. Mais l’utilisation des ressources pourrait être optimisée et leur impact, accru. De plus, il est difficile de savoir ce qu’il adviendra des projets en Turquie lorsque l’aide de l’UE aura pris fin. »

La première tranche de financement avait permis de soutenir des projets dans les domaines prioritaires de l’aide humanitaire, de l’éducation, des infrastructures municipales et d’initiatives économiques qui devaient initialement arriver à leur terme en 2021. Toutefois, ce délai a été reporté à juin 2025. Compte tenu du caractère prolongé de la crise syrienne, explique le document, les projets relevant de la deuxième tranche ont été de plus en plus axés sur la création de moyens de subsistance. Des projets dont la mise en œuvre, comme de nombreux autres, ont été fortement perturbés par le tremblement de terre du 6 février 2023.

Manque de données sur l’éducation

D’autres éléments sont également venus perturber la donne. « La mise en œuvre de l’aide s’est déroulée dans un contexte de détérioration, depuis 2016, des relations bilatérales entre l’UE et la Turquie, poursuit le document. L’UE a imposé des sanctions et des restrictions à la Turquie en raison du recul du pays en ce qui concerne l’état de droit et les droits fondamentaux. » Et puis, il y a eu la dévaluation de la monnaie nationale, la pandémie de Covid-19 et la crise économique.

Les rédacteurs de l’audit regrettent également que, « malgré les demandes répétées, le ministère de l’éducation nationale n’ait pas fourni de données sur le nombre d’élèves réfugiés et sur leur taux de réussite », empêchant toute évaluation des conséquences des programmes mis en place dans le cadre de l’accord. Un manquement d’autant plus dommageable que plus d’un tiers des enfants de réfugiés n’a toujours pas accès à l’école.

Aucune donnée n’était également disponible sur le nombre de permis de travail que le gouvernement turc avait accordés aux Syriens depuis 2021, ni sur le nombre de Syriens qui avaient lancé leur propre activité depuis l’octroi des premiers financements. Dans ses recommandations, la Cour indique qu’il faudrait prévoir « dans les rapports finaux une section consacrée aux enseignements tirés qui comprenne des recommandations visant à améliorer la durabilité des projets ». Et ceci d’ici à 2027.

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