Erdogan poursuit son exercice d’équilibriste entre Kiev et Moscou – Nicolas Bourcier – LE MONDE

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« Lors de la première visite à Istanbul du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, le président turc a annoncé la venue de Vladimir Poutine sur place, en août » déclare Nicolas Bourcier dans le Monde du 8 juillet 2023

Un dîner avec un poisson en croûte de sel au menu, une heure de discussion en tête à tête avec son hôte, Recep Tayyip Erdogan, et une conférence de presse commune d’une vingtaine de minutes à peine, à minuit : la première visite à Istanbul, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est terminée, vendredi 7 juillet, tard dans la nuit avec un catalogue de bonnes intentions mais sans aucune percée sur les sujets chauds du moment.

Après une visite en Bulgarie, en République tchèque et en Slovaquie, où il a cherché à obtenir davantage d’armes occidentales et un soutien appuyé à ses ambitions de rejoindre l’OTAN, le dirigeant ukrainien a tenté d’infléchir la position du président turc, qui maintient des liens étroits à la fois avec Kiev et avec Moscou, vers plus de fermeté envers Vladimir Poutine. En vain. Les deux dirigeants ont même paru fatigués et peu souriants, y compris durant leur poignée de main devant les photographes.

A tour de rôle, Recep Tayyip Erdogan et Volodymyr Zelensky ont évoqué l’avenir de l’accord d’exportation des céréales ukrainiennes à travers un corridor en mer Noire. Le protocole, conclu en juillet 2022 avec le parrainage des Nations unies et de la Turquie, expire le 17 juillet. La Russie a menacé de ne pas autoriser sa prolongation au-delà de cette date butoir. « Nous espérons que l’accord sera prolongé », a réaffirmé M. Erdogan, qui a précisé vouloir évoquer le sujet avec M. Poutine en août. Des millions de personnes dans le monde comptent sur ce corridor sécurisé pour se nourrir, a rappelé M. Zelensky, « et ces vies ne peuvent dépendre de l’humeur du président de la Fédération de Russie ».

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Une légère crispation a marqué le visage du président ukrainien, toujours vêtu de son polo kaki, lorsque son homologue turc a annoncé la visite, « le mois prochain » en Turquie, du dirigeant russe. L’occasion pour M. Erdogan d’évoquer « en tête à tête » le sujet des échanges de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine. L’intermédiation de M. Erdogan avait permis en septembre le transfert de quelque 200 combattants, dont des soldats du régiment Azov. « Nous avons entendu M. Zelensky sur ce sujet, a insisté M. Erdogan, nous écouterons M. Poutine. » Vendredi, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, avait salué le « rôle de médiateur » de M. Erdogan dans le conflit, soulignant que le président turc a « déployé à plusieurs reprises de grands efforts pour résoudre divers problèmes ».

L’Ukraine « mérite » d’intégrer l’OTAN

Le dirigeant turc a réitéré son soutien à l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, estimant, à quelques jours du sommet de l’Alliance à Vilnius des 11 et 12 juillet, que l’Ukraine « mérite » d’en faire partie, tout en appelant les deux pays, Russie et Ukraine, à « retourner aux pourparlers de paix ».

Selon plusieurs experts, Volodymyr Zelensky devait aussi encourager son homologue turc à donner son feu vert à l’adhésion de la Suède à l’Alliance atlantique, mais ce point n’a pas été abordé devant la presse. Peu avant, M. Erdogan avait simplement précisé que la Turquie allait prendre « la meilleure décision, quelle qu’elle soit », concernant l’adhésion de Stockholm qu’Ankara bloque depuis mai 2022.

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Samedi matin, Volodymyr Zelensky devait rencontrer le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, le plus prestigieux dignitaire des Eglises orthodoxes. Ce dernier, qui avait reconnu en 2018 l’Eglise orthodoxe ukrainienne, a affirmé depuis être devenu « une cible pour Moscou ». L’attribution par le patriarcat œcuménique de Constantinople, dont le siège est à Istanbul, du statut d’Eglise « autocéphale », c’est-à-dire indépendante, à l’Eglise orthodoxe ukrainienne a mis la Russie en colère au point qu’elle veuille s’en prendre à lui, avait expliqué le patriarche au début du conflit. L’Eglise orthodoxe russe a, elle, dénoncé un « schisme » et rompu ses liens avec Constantinople. Pas de quoi freiner les ambitions du président ukrainien.

Nicolas Bourcier(Istanbul, correspondant)

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