« Journal inquiet d’Istanbul » d’Ersin Karabulut : autobiographie en BD d’un dessinateur de presse dans la Turquie liberticide d’Erdogan – Franceinfo

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« Dans cet album autobiographique, le dessinateur de presse et auteur de bande dessinée Ersin Karabulut raconte son parcours dans un régime liberticide » dit Laurence Houot dans Franceinfo du 20 septembre 2022.

Après Contes ordinaires d’une société résignée (Fluide glacial, 2018) une fiction dystopique inspirée par son pays, on retrouve le dessinateur de presse et de bande dessinée turc Ersin Karabulut avec une trilogie autobiographique, Journal inquiet d’Istanbul. Dans ce premier volet, publié le 19 août aux éditions Dargaud, il fait le récit de son enfance, de son adolescence et de ses premières années de jeune adulte. Une histoire intime qu’il tisse avec celle récente de son pays, en proie à des dérives liberticides.

« Un pont entre l’Orient et l’Occident »

Ersin grandit avec sa famille dans un quartier populaire d’Istambul. Enfant, on lui dépeint son pays comme « une sorte de pont jeté entre l’Orient et l’Occident », mariant traditions orientales et valeurs de l’Occident « comme la démocratie ». Ses parents sont tous les deux instituteurs et pour boucler les fins de mois difficiles, le père vend ses peintures. C’est ainsi que le dessin entre dans la vie du petit Ersin, qui décide très jeune (« depuis que j’ai su que les bandes dessinées étaient faites par des vraies gens ») d’en faire son métier. 

Ses parents espèrent qu’Ersin deviendra ingénieur. Leurs réticences se renforcent quand le dessin de presse commence à devenir un métier dangereux avec la montée de l’islamisme radical et l’arrivée au pouvoir d’Erdogan. Au fur et à mesure qu’il grandit, l’enfant voit son pays changer, la démocratie et la liberté d’expression rétrécir.

Un peu naïvement au départ, pour braver l’autorité parentale ou pour bénéficier auprès des filles de l’aura du statut de dessinateur de presse, le jeune Ersin s’accroche à son rêve, poussant avec persévérance les portes des journaux et des magazines. Il lui faudra ensuite du courage pour exercer ce métier dans un pays où dessiner le chef d’état en animal peut conduire devant un tribunal. Comme le raconte KArabulut dans son album, en 2005, le dessinateur Musa Kart a été poursuivi pour avoir dessiné Erdogan en chat empêtré dans une pelote de laine. En réaction, le journal Penguen pour lequel travaillait Karabulut a publié une Une montrant Erdogan caricaturé en toutes sortes d’animaux.

« Erdogan avait exigé 5000 livres turques de dommages et intérêts pour le dessin de chat. Et pour la couverture de Penguen, c’étaient 40 000 livres, soit 5000 pour chaque dessin ! Erreur de calcul ! En fait, il y avait un neuvième dessin caché dans le logo (le pingouin, ndlr) »Ersin Karabulut

« Journal inquiet d’Istanbul »

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La Turquie corsetée d’Erdogan

Né à Istanbul en 1981, Ersin Karabulut a démarré sa carrière de dessinateur de presse très jeune, à l’âge de seize ans, en publiant ses premiers dessins dans divers magazines en même temps qu’il suivait ses études de graphisme. Co-fondateur en 2007 du prestigieux hebdomadaire satirique Uykusuz, auteur d’une dizaine d’albums et de compilations, il s’est imposé comme chef de file de la bande dessinée turque d’aujourd’hui.

Avec le premier volet  de cette trilogie, Ersin Karabulut, quarante ans maintenant, chronique avec tendresse son enfance dans une famille modeste, son monde imaginaire peuplé de super-héros fantasmagoriques tirés de ses lectures, sa vocation naissante pour le dessin et la bande dessinée, puis le chemin escarpé qu’il a traversé pour réaliser son rêve. Emmêlé à cette histoire personnelle et intime, c’est aussi le « journal inquiet » de l’histoire récente de son pays que dresse sans concessions Ersin Karabulut, l’histoire d’un pays démocratique sombrant peu à peu dans un régime liberticide, une société où règne la méfiance, la peur et le repli.

Le trait est décalé, les personnages aux visages un brin caricaturés sont campés dans des décors aux perspectives parfaites. La narration est construite à plusieurs niveaux : le regard de l’adulte qu’il est devenu sur l’enfant qu’il était, son regard sur sa famille, son pays, et son univers fantasmagorique peuplé de personnages de bande dessinée. Le dessinateur nous immerge ainsi dans cette double histoire paradoxale, celle du parcours initiatique d’un enfant en quête de liberté dans une société qui en manque de plus en plus. Un album intransigeant, à la fois drôle et passionnant. On attend la suite avec impatience.

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Franceinfo, 20 septembre 2022, Laurence Houot

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