« La zone grise des démocratures permet à leurs dirigeants d’échapper aux mises en cause trop brutales » – Gilles Paris / LE MONDE

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D’Erdogan, tout juste réélu en Turquie, à Modi en Inde, les leaders des grands pays dit du « Sud global » tirent profit du désordre d’un monde multipolaire, explique, dans sa chronique, Gilles Paris, éditorialiste au « Monde » du 30 mai 2023.

La période est aux règles démocratiques vacillantes, aux alliances flottantes, et les deux vont souvent de pair. La réélection en Turquie du président Recep Tayyip Erdogan en a apporté la preuve, dimanche 28 mai.

En dépit d’un score serré à l’aune des précédents scrutins présidentiels, personne ne s’est risqué à dénoncer les résultats. Et pour cause : la participation électorale, même si elle a légèrement faibli au second tour de la présidentielle, ferait pâlir d’envie une bonne partie des démocraties européennes. Rien n’a vraiment perturbé le jour fatidique, et une armée d’observateurs a pu surveiller librement les opérations de vote et de décompte des voix.

Que cette élection ait été libre n’a pourtant pas apporté la preuve qu’elle avait été également équitable. Les doutes ont été instillés dès la mise à l’écart par la justice de l’adversaire le plus menaçant du président sortant, Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, comme le président sortant l’avait été lui-même. M. Imamoglu dont la première élection en 2019 à la tête de la grande métropole avait été invalidée par un conseil électoral à la main du pouvoir.

La couverture médiatique de la campagne a confirmé ces doutes avec un ratio spectaculaire au bénéfice du président sortant. Selon l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières, il a bénéficié dans les médias nationaux, contrôlés à 85 % par l’Etat, d’une exposition soixante fois plus importante que son adversaire Kemal Kiliçdaroglu. Sans parler de réseaux sociaux encadrés par une loi restrictive adoptée en octobre 2022 au nom de la lutte contre la désinformation, ou de l’usage immodéré des deniers publics par le sortant dans les derniers jours de la campagne.

En 1990, le géopolitologue Pierre Hassner avait repris à son compte le terme de démocrature pour dépeindre l’évolution d’anciennes républiques socialistes européennes en dehors de la tutelle soviétique. L’attente alors largement partagée était celle d’une dynamique internationale partant d’ordres autoritaires, voire dictatoriaux, pour muter vers des régimes plus démocratiques. La dynamique s’est perdue en route, et un reflux s’opère dans l’extension croissante d’une zone grise entre dictatures et démocraties.

Mainmises sur les rouages de l’Etat

Cette extension de systèmes démocratiques dégradés contredit la dichotomie que le président des Etats-Unis, Joe Biden, a tenté sans aucun succès d’ériger en vision stratégique. Recep Tayyip Erdogan a montré pendant la campagne la puissance de cette troisième voie.

Elle s’organise autour d’un responsable charismatique, et ses ressorts sont principalement identitaires, nationalistes et religieux. La revendication d’efficacité justifie les multiples mainmises sur les rouages de l’Etat, de l’économie et de la société. Son corollaire n’est pas moins spectaculaire : celui d’exposer le pays aux errements d’un pouvoir privé de freins et de contrepoids.

Cette zone grise est aussi insaisissable que le concept par défaut de « Sud global » utilisé pour rassembler, tant bien que mal, la multitude de pays qui se tiennent sur les marges des deux blocs que l’invasion russe de l’Ukraine a mis en évidence : l’alliance occidentale, emmenée par les Etats-Unis, et l’axe révisionniste, qui lie de plus en plus inégalement la Chine et la Russie en passe d’être rétrogradée au statut d’obligé du premier.

Démocrature ou démocratie illibérale, selon la formule pionnière de l’essayiste Fareed Zakaria, qui a déploré, dans sa chronique publiée le 19 mai par le Washington Post, la main ostentatoire du pouvoir, au premier tour de la présidentielle turque, cette palette de gris permet à ses bénéficiaires d’échapper aux catégorisations trop précises et, partant, aux mises en cause trop brutales.

La digue fuit de toutes parts

Ils peuvent en tirer profit d’autant plus librement dans le désordre d’un monde multipolaire qui estompe également les lignes. A partir d’une taille stratégique critique, ce désordre permet aux responsables d’« Etats pivots », décrits dans une note publiée en mai du German Marshall Fund, une organisation visant à promouvoir les liens transatlantiques, de profiter au maximum d’une fluidité géopolitique nouvelle. « Le non-alignement » de naguère « s’est transformé en multialignement », selon cette note.

Les conséquences sont encore difficiles à imaginer, mais cette fluidité porte déjà un coup à ce qui était devenu l’arme par défaut privilégiée de l’ordre occidental : les sanctions. Dès lors que ces Etats pivots refusent de jouer le jeu, la digue fuit de toutes parts. Seuls quatre pays étaient visés par des sanctions des Etats-Unis en 2000, un nombre multiplié par cinq en vingt ans. Cet emballement avait déjà amorcé des mécanismes de dédollarisation mis en évidence par l’universitaire américain Daniel McDowell, cité le 26 avril par la revue de géopolitique Le Grand Continent. Ils ne peuvent que s’accélérer.

Manifeste lors du sommet du G7 au Japon, la course aux grands pays du Sud global dont la bascule peut s’avérer déterminante pour les affaires du monde, à commencer par la guerre en Ukraine, ouvre à leurs responsables des perspectives inédites.

Le premier ministre indien, Narendra Modi, sera reçu en juin à Washington lors d’une sixième visite, depuis son arrivée aux affaires à New Delhi, en 2014. Un déplacement qui sera auréolée de la pompe d’une visite d’Etat. Moins de quatre semaines plus tard, il sera l’invité d’honneur du défilé militaire du 14-Juillet à Paris.

Il y a pourtant beaucoup à redire à propos de cet invité qui s’arrache à faire taire dans son pays toutes les voix discordantes, qu’il s’agisse de celles d’opposants politiques, d’intellectuels, de journalistes ou d’organisations non gouvernementales, et dont la pente autoritaire, à un an d’élections générales, s’accompagne d’un révisionnisme visant à redéfinir l’Inde en tant que nation purement hindoue. La zone grise, pourtant, l’emporte aujourd’hui sur la ligne claire.

Gilles Paris, éditorialiste au « Monde » du 30 mai 2023.

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