Le programme économique de l’opposition turque – LES ECHOS

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En cas de défaite de Recep Tayyip Erdogan aux élections législatives et présidentielle dimanche 14 mai, la politique économique d’Ankara serait bouleversée. Par Virginie Robert et Timour Ozturk, Les Echos du 10 mai 2023.

Dans le salon d’un hôtel stambouliote donnant sur le détroit du Bosphore, Bilge Yılmaz échange avec quelques journalistes étrangers. A 55 ans, cet économiste diplômé des prestigieuses universités de Bogaziçi à Istanbul et de Princeton aux Etats-Unis est l’un des prétendants les plus sérieux au poste de ministre du Trésor en cas de victoire de l’opposition dimanche prochain. Parfaitement anglophone, Bilge Yılmaz menait depuis 20 ans une carrière universitaire outre-Atlantique avant de revenir en Turquie à l’été 2021 pour conseiller l’opposition.

Avec une forte dépréciation de la livre turque et une inflation à 44 % en rythme annuel en avril, l’économie turque est malade. « La crise de la balance des paiements qui nous guette est une question de mois si la politique monétaire d’Erdogan se poursuit », prévient Bilge Yılmaz qui poursuit : « Les secrets n’existent pas en Turquie. Nous obtenons des informations. Donc nous avons déjà une idée assez précise de la situation économique et des finances de l’Etat. Même s’il y a certainement quelques problèmes que l’on nous cache. Par exemple, il y a actuellement 6 milliards de dollars à la banque centrale dont je ne connais pas la provenance. Je suspecte une origine russe. »

« La présidentialisation du système a induit un manque de transparence de la gouvernance, qui s’est traduite dans les statistiques, comme dans les autorités de régulation, très proches du pouvoir », déplore l’économiste Deniz Unal, qui s’exprimait lors d’une conférence organisée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

Restaurer la crédibilité de la livre turque

Principale préoccupation des Turcs, l’inflation pourrait bien faire tomber le président Recep Tayyip Erdogan , au pouvoir depuis 20 ans. Les sondages le donnent au coude-à-coude avec son principal opposant, Kemal Kılıcdaroglu. Ce dernier a promis en cas d’alternance de ramener « de façon permanente l’inflation à un chiffre dans les deux ans », d’attirer 300 milliards de dollars d’investissement étranger en Turquie dans les cinq ans, et de restaurer « la crédibilité de la livre turque ».

« L’opposition va chercher à stabiliser l’inflation en remontant les taux d’intérêt. Elle voudra redonner confiance aux marchés en communiquant au mieux son programme et en mettant sur pied un cadre économique qui pourra obtenir la confiance des investisseurs », a expliqué mercredi Sinan Ulgen, un ancien diplomate aujourd’hui au think tank Carnegie Europe.

L’opposition entend scinder en deux le portefeuille du ministère des Finances pour créer un ministère du Trésor et veut immédiatement chercher un nouveau président pour la banque centrale. « La nomination d’un nouveau patron de la banque centrale sera très importante pour sa crédibilité. Le ministre du Trésor devrait trouver son autonomie et les portefeuilles de l’économie seront mieux partagés. La crise est beaucoup plus importante qu’il y a 20 ans. L’opposition va chercher à réaffirmer la vocation occidentale de la Turquie et obtenir des flux d’investissements », indique Sinan Ulgen.

Pour relever ces défis, « nous allons faire de la Turquie un Etat de droit, apporter de la stabilité, renégocier notre union douanière avec l’Union européenne », énumère Bilge Yılmaz. Mais surtout, l’opposition veut revenir à une orthodoxie budgétaire. « A court terme, ce sera impopulaire, je ne suis pas naïf. Ça va être dur avant que la situation s’améliore », reconnaît Bilge Yılmaz. Des programmes sociaux pour protéger les plus défavorisés sont toutefois prévus. L’opposition promet par exemple de rendre la cantine gratuite pour tous les élèves du pays.

Le retour d’Ali Babacan

Dans l’éventualité d’une victoire de Kemal Kılıcdaroglu, Bilge Yılaz ne serait pas le seul à décider de la politique économique du pays. Il devrait notamment composer avec un poids lourd de l’opposition : Ali Babacan. Symbole des succès économiques de la Turquie des années 2000, Ali Babacan est un ancien ministre de l’Economie de Recep Tayyip Erdogan (2002-2007, 2009-2011).

Il a vocation à devenir l’un des vice-présidents de Kemal Kılıcdaroglu. En tout, l’opposition a dévoilé les noms de 12 conseillers chargés de rétablir la situation économique du pays, Selin Sayek Böke, passée par le FMI, ou encore le spécialiste des questions énergétiques Ali Arif Aktürk. Une lourde tâche les attend en cas de victoire : « J’avais une vie très agréable aux Etats-Unis, alors que devenir ministre du Trésor à Ankara, c’est le pire job du monde », plaisante à moitié Bilge Yılmaz.

Par Virginie Robert et Timour Ozturk, Les Echos du 10 mai 2023.

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