Loin des yeux, près du cœur : une contribution à la déconstruction du champ migratoire turc et du vote à distance – HALIL YIGIT

Must read

« L’adoption en 2012, et la mise en pratique en 2014, du vote à distance, ont donné naissance à un véritable champ politique turc à l’étranger, ou plutôt à un « champ politique transnational », dans lequel émerge des nouveaux acteurs transnationaux, à savoir les partis politiques extra-territoriaux. » Halil Yigit*

En septembre 2022, le Président de la République de Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, a adressé une lettre aux citoyens vivant à l’étranger, afin d’attirer leur attention sur les élections présidentielles et législatives qui auront lieu en 2023. Cette lettre, qui a lancé les campagnes électorales officieuses en Turquie, a circulé non seulement parmi les associations d’émigrés en Europe à travers les réseaux partisans de l’AKP, mais elle a aussi été distribuée à la douane de Kapıkule, le point de passage frontalier entre la Turquie et la Bulgarie : elle était destinée aux émigrés qui avaient passé les vacances d’été dans leur pays d’origine, et se trouvaient alors sur la route du retour vers leur pays de résidence.

Le 22 janvier 2023, le Président de la République a ensuite annoncé, que les élections présidentielles et législatives auraient finalement lieu le 14 mai 2023, et non plus le 18 juin 2023. Une semaine avant cette déclaration, alors que les partis d’opposition ne désignaient toujours pas de candidat aux élections présidentielles, les cadres du Parti de la Justice et du Développement (AKP), au pouvoir depuis plus de vingt ans en Turquie, se trouvaient, eux, en campagne électorale en Allemagne, dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à Neuss, où a eu lieu un rassemblement à destination des émigrés, dans un local du Parti du Mouvement Nationaliste (MHP) – qui s’organise en Europe, à travers les associations de la « fédération turque d’Europe »[1], connue surtout en raison de son organisation de la jeunesse d’extrême droite : « les loups gris ».

Néanmoins, le discours tenu par un député de l’AKP auprès des immigrés, qui visait et menaçait les membres du mouvement kurde du PKK (Le Parti des travailleurs de Kurdistan) et du mouvement Gülen – considéré comme ennemi intérieur en Turquie, dès 2013 mais surtout après le coup d’État échoué en 2016 –, n’a pas été apprécié par les autorités allemandes. Le parquet de Düsseldorf a ouvert une enquête contre le député de l’AKP, et le ministère allemand des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de Turquie, d’une part pour mettre en garde contre les discours de haine comme celui de Neuss ; mais également pour rappeler les règles : à savoir que les hommes politiques turcs ne peuvent organiser des campagnes en Allemagne qu’avec l’autorisation du ministère allemand des Affaires étrangères. Or, ce n’est pas la première fois que les deux pays s’engagent dans une rivalité géopolitique au sujet des campagnes électorales de l’AKP sur le sol allemand, soit le premier pays d’accueil des émigrés turcs au monde. 

La Turquie se prépare donc aux élections présidentielles et législatives du 14 mai 2023, qui coïncident avec le 100ème anniversaire de la République, dans un contexte socioéconomique étouffé par des crises financières, par une hyperinflation qui touche profondément la classe moyenne et ruine les classes populaires, par les impacts dévastateurs du double séisme qui a frappé le pays. A l’approche du terme des campagnes électorales, et tandis que l’attention de l’opinion publique internationale se concentre sur les élections turques, plus de 3 millions d’électeurs vivant à l’étranger attendent la période du vote pour exprimer leurs opinions politiques via les urnes qui seront placées dans les consulats turcs. Les résultats officiels du référendum du 16 avril 2017[2] – dont la participation électorale était de 44.6% avec 1.325.682 de votants sur 2.972.676 inscrits dans les consulats à l’étranger[3] – et les élections présidentielles et législatives du 24 juin 2018 – dont le nombre de votants à l’étranger avait atteint 1.519.395 sur 3.032.206 inscrits, soit une participation électorale de 48.78 % – confirment le rôle indéniable des électeurs résidant à l’étranger dans le corps électoral national. Néanmoins, en raison de l’absence de circonscription à l’étranger, et de la répartition des sièges au Parlement turc, calculée selon le « système d’Hondt » (qui consiste à diviser successivement le nombre de voix obtenues par chaque liste de chaque circonscription), le vote des émigrés a moins de poids sur les résultats nationaux aux élections législatives.

Depuis l’instauration du « vote à distance »[4] en Turquie, les partis politiques[5] turcs ont désormais un agenda particulier pour les citoyens vivant à l’étranger, et ont créé un « champ politique »[6] dans l’espace migratoire. En d’autres termes, l’adoption en 2012, et la mise en pratique en 2014, du vote à distance, ont donné naissance à un véritable champ politique turc à l’étranger, ou plutôt à un « champ politique transnational », dans lequel émerge des nouveaux acteurs transnationaux, à savoir les partis politiques extraterritoriaux[7]. Dorénavant, l’espace migratoire est inclus dans le champ politique turc, et constitue en quelque sorte une nouvelle province électorale en Turquie.  

Cet article propose d’analyser les processus de participation politique et électorale dans l’espace migratoire turc en Europe, notamment en Allemagne. Il s’agit d’analyser deux processus distincts qui se développent simultanément depuis la deuxième moitié de la décennie 2010 : d’une part une circulation massive dans le champ migratoire turc qui a annoncé le quatrième âge de l’immigration turque en Europe[8] et d’autre part, l’instauration du vote à distance en Turquie, qui a engendré un processus de politisation massive dans le « champ migratoire »[9] turc, et qui a eu comme conséquence une nouvelle source de rivalité « géopolitique »[10] entre la Turquie et l’Allemagne. Il s’agit de montrer comment l’instauration du vote à distance, a transformé l’espace migratoire en un espace concurrentiel entre les partis politiques, mais également conflictuel entre mouvements sociaux transnationaux et ce, depuis les élections présidentielles du 10 août 2014. Ce faisant, nous souhaitons mettre en lumière l’affaiblissement de l’autonomie du « champ électoral »[11] turc à travers les enjeux électoraux dans l’espace migratoire, enjeux qui se transforment en instrument de domination sous les gouvernements de l’AKP.   

Une circulation migratoire massive : vers un quatrième âge de l’immigration turque et kurde en Europe ?

 À la lumière des travaux de Abdelmalek Sayad[12], nous pouvons distinguer schématiquement trois phases dans l’émigration turque en Europe : la première phase correspond à l’arrivée d’une main-d’œuvre masculine dans les années 1960, marquée par la signature d’accords bilatéraux ; une seconde phase est marquée par l’arrivée dans les années 1970 des épouses des travailleurs immigrés dans le cadre de regroupement familial ; et une troisième phase se caractérise par l’immigration forcée et politisée dans les années 1980 et 1990, notamment après le coup d’État militaire en Turquie de 1980[13]. Or, dans une perspective socio-historique, Hamit Bozarslan[14] a explicité le processus de l’immigration des Kurdes de Turquie en Europe, et les paramètres de la construction de la « diaspora kurde »[15] marquée par les vagues de réfugiés et de demandeurs d’asile politique quittant leurs territoires troublés, sous tensions militaires en Turquie, en Irak, en Iran ou en Syrie. Cette différenciation des phases, permet d’appréhender les vagues successives qui ont construit le champ migratoire jusqu’à la fin des années 1990. Dès lors, il convient de dévoiler les caractéristiques du quatrième âge de l’émigration turque en Europe, reconnaissable et identifiable à partir des dynamiques migratoires de la Turquie dans la décennie 2010.

Si dans les années 1990, les dynamiques de l’immigration de la Turquie vers les pays de l’Europe, ont été déterminées par la migration forcée, on peut souligner qu’une politique de violence systématique et extensive de l’État contre les mouvements sociaux contestataires, tels que le mouvement kurde et alévi, a joué un rôle « déclencheur » des flux migratoires. Les mémoires collectives de ces mouvements sociaux ont été marquées et traumatisées, par la violence symbolique mais aussi physique, comme la torture, l’exécution ou la « disparition forcée » – une pratique qui apparaît après le coup d’État de 1980 mais s’intensifie dans les années 1990 contre le mouvement Kurde[16]. Ainsi, durant la période 1981-2005, les demandeurs d’asile de nationalité turque, ce qui implique aussi les Kurdes ayant la nationalité de la République de Turquie, ont dépassé en Europe 650.000 personnes[17].

Les statistiques montrent que, depuis le tournant autoritaire du gouvernement de l’AKP en 2013, notamment avec la répression violente du mouvement Gezi, et la perte de la majorité absolue au Parlement lors des élections du 7 juin 2015, mais surtout avec les impacts dévastateurs du coup d’État échoué en 2016, la Turquie connaît un exode massif, marqué par des vagues migratoires néfastes à destination des grandes métropoles d’Europe[18].

Dans un régime d’état d’urgence permanent[19] et dans un contexte de répression massive, qui ont marqué la deuxième moitié de la décennie 2010 en Turquie, les politiques domestiques du gouvernement de l’AKP et surtout le coup d’État échoué en 2016, ont déclenché une quatrième phase de l’émigration turque et kurde vers l’Europe. Autrement dit, le quatrième âge de l’émigration est caractérisé par les dynamiques de la migration forcée, notamment par l’immigration des « demandeurs d’asiles » et des « réfugiés » pour lesquels l’Europe est désormais un « espace d’exil »[20].

En raison des dernières modifications des lois sur le terrorisme, qui durcissent et élargissent encore davantage la qualification de « terroriste », les gouvernements de l’AKP ont assimilé des milliers d’activistes à des terroristes. Ainsi, l’étiquette de « terroriste » se banalise et d’une part, prend une forme de violence symbolique qui vise la stigmatisation, la criminalisation, la délégitimation ou la dépolitisation de l’opposition ; et d’autre part, devient une stratégie politique pour empêcher tout type d’activisme ou de militantisme de l’opposition contre le gouvernement. Dans ce contexte, les poursuites judiciaires, l’interdiction de sortie du sol turc, le refus de renouvellement du passeport deviennent des instruments de domination sur les citoyens activistes, qui subissent une forme spécifique de violence d’État et qui font l’objet d’une migration forcée. 

D’un point de vue socio-économique, la quatrième phase d’immigration est caractérisée par la migration d’un milieu urbain et par une population qui possède un capital social et économique relativement développé. Cette population migrante, ayant des réseaux d’ores et déjà construits et dispersés dans plusieurs pays à l’étranger – notamment en Europe continentale mais aussi en Grande Bretagne et aux États-Unis – est moins politisée que celle des années 1980 et 1990. Ainsi, le quatrième âge de l’immigration se distingue par le niveau d’étude, la maitrise d’une langue étrangère, la possession d’un réseau social et d’un capital économique des immigrés.

En outre, le quatrième âge est construit par des flux migratoires massifs de certains mouvements sociaux criminalisés, comme ceux du mouvement Kurde et du mouvement Gülen, mais aussi des victimes de la répression féroce du gouvernement de l’AKP comme « les universitaires pour la paix »[21]. À ces flux migratoires s’ajoute aussi, la migration socio-économique des hauts diplômés (ingénieurs, médecins, académiciens, artistes etc.) qui cherchent une opportunité professionnelle et surtout l’espoir de la dignité humaine.

Enfin, une des caractéristiques importantes du 4ème âge de l’émigration de Turquie en Europe, c’est que la Grèce apparaît comme un pays voisin et géographiquement proche, pour ceux qui doivent choisir un chemin illégal, dangereux mais rapide pour traverser la frontière par la voie maritime[22]. Dans ce contexte, malgré les tensions géopolitiques pluridimensionnelles notamment au sujet des minorités turcs en Grèce[23], des vagues migratoires illégales et des droits maritimes, ces deux pays voisins apparaissent tous les deux comme un refuge pour les émigrés. Cela a été le cas notamment lors de la crise économique de 2010 en Grèce, qui a déclenché un flux migratoire important vers Istanbul[24]. Ainsi, au moment d’une crise économique ou politique, la Turquie et la Grèce peuvent devenir un pays d’émigration tant pour les citoyens grecs que les citoyens turcs.

D’autre part, s’il faut montrer la réalité de cette quatrième vague, nous pouvons nous référer aux statistiques : selon les rapports de l’Institut Officiel de Statistique de Turquie (Türkiye İstatistik Kurumu, TÜIK), qui confirment la quatrième phase de l’émigration turque et kurde en Europe dans la période entre 2016 et 2021, le nombre de citoyens ayant quitté la Turquie a connu une hausse sans précédente : en 2018, 136.740 personnes ayant la nationalité turque ont quitté la Turquie, soit un record au niveau national.

Source : Les rapports du TUIK, Avril 2023. https://data.tuik.gov.tr  

Selon les rapports d’Eurostat[25] et d’Agence de l’Union Européenne pour l’asile (AUEA)[26], en 2016, on dénombre 11.240 citoyens turcs qui ont demandé l’asile dans les pays de l’Union Européenne (Suisse et Norvège inclus), – dont 5.387 en Allemagne et 1.010 en France –, tandis qu’en 2015, il y avait au total 5.225 demandes d’asile de nationalité turque. Ces chiffres ont augmenté comme suit :  

En 2017, 16.165 demandeurs d’asile dont 8.025 en Allemagne, 1.820 en Grèce, qui passe devant la France à partir de cette année, et 1.290 en France.

En 2018, 23.020 demandeurs d’asile dont 10.160 en Allemagne, 4.820 en Grèce et 2.050 en France.

En 2019, 26.380 demandeurs d’asile dont 10.785 en Allemagne, 3.795 en Grèce et 3.725 en France.

Source : Les rapports d’AUEA, Avril 2023. https://euaa.europa.eu  

En effet, s’il y a une baisse lors de la crise sanitaire, les chiffres reflètent les vagues migratoires massives qui ont eu lieu, et qui se poursuivent depuis le coup d’État échoué de 2016. Or, en 2022 un record a été enregistré : les citoyens turcs ont déposé un total de 55.437 demandes d’asile dans les pays de l’UE, en Suisse et en Norvège, faisant la Turquie le troisième pays demandeur d’asile en Europe, après la Syrie et l’Afghanistan, selon les données publiées par l’Agence de l’Union européenne pour l’asile. Selon les chiffres de l’Office Fédéral pour la migration et les réfugiés (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge, BAMF), au cours de la période janvier-novembre de l’année 2022, le nombre de citoyens de Turquie demandant l’asile en Allemagne a atteint 20.802 personnes[27]. En France, selon le rapport provisoire de la Direction générale des étrangers en France (DGEF)[28], le nombre de citoyens de Turquie demandant l’asile en France est 9.979 personnes.

La mutation du rapport entre l’État et le champ migratoire turc 

Du point de vue des relations entre l’État et le « champ migratoire » turc, l’année 2010 marque une mutation et une rupture radicale. En effet, nous pouvons analyser cette mutation sur plusieurs échelles : dans un premier temps, cette mutation se manifeste dans le rapport qu’entretient l’État avec et le champ migratoire, par l’apparition de l’action publique envers les émigrés, qui permet à l’État de reconfigurer l’espace migratoire à travers les nouvelles institutions publiques, chargées des affaires migratoires.

 Dès lors, l’État turc ne considère plus la migration ouvrière des années 1960 et 1970 comme provisoire, Gastarbeiter – en allemand, travailleurs-hôtes – ou Gurbetçi – en turc, travailleur émigré temporaire – mais plutôt comme des émigrés, comme des citoyens turcs vivant à l’étranger pour lesquels il faut désormais qu’une action publique particulière au sein de l’État soit mise en place. On peut noter que dans les années 1960 et 1970, ni la Turquie ni les pays d’accueils, principalement l’Allemagne et la France, n’ont tenté d’encadrer la migration ouvrière turque, qui a été largement infiltrée par les courants sociopolitiques et religieux. L’inaction des États impliqués dans la migration ouvrière, provient du fait que cette migration a été considérée comme provisoire. Cette « illusion provisoire »[29], l’absence d’action publique envers les émigrés et le vide d’une autorité légitime pour réguler la vie sociale et quotidienne, ont fourni un terrain idéal pour les mouvements sociaux transnationaux qui ont participé aux enjeux de la captation des ressources migratoires. 

Dans ce contexte, on peut noter que la conception d’une migration provisoire au sein de l’État turc, qui considérait les émigrés uniquement comme une ressource économique, a laissé place à une nouvelle conception de la migration, qui considère les émigrés désormais comme une ressource dans toutes ses dimensions, qu’elle soit économique, sociale, culturelle, politique, et, depuis 2014, électorale. Cette nouvelle conception conduit l’État turc à reconstruire un champ bureaucratique spécifique aux émigrés, et à élaborer un agenda politique pour « encadrer sa population émigrée en Europe »[30] et ce, en construisant un mécanisme de contrôle à distance à travers les dispositifs du « champ bureaucratique »[31] transnational.

Au début des années 2000, l’État turc avait inventé une série d’appellations pour les citoyens résidant à l’étranger, comme celles de « Turcs de l’extérieur »[32] et de « Turcs d’Europe »[33] qui reflètent la perception nationaliste de l’espace migratoire par l’État[34]. Selon Kastoryano, l’objectif d’Ankara est alors de « maintenir l’idée d’une citoyenneté turque, mais dans une logique de citoyenneté extraterritoriale : une manière de maintenir le lien entre citoyenneté et nation déterritorialisée »[35]. Cet enjeu de nomination nous montre que l’État considère cette population migratoire comme une catégorie distincte de sa population nationale.

En 2010, l’adoption d’une nouvelle perspective envers les émigrés a eu pour conséquence l’émergence de nouvelles institutions publiques et la reconfiguration de l’appareil bureaucratique[36]. Dans ce contexte, le « champ bureaucratique » turc a expérimenté un renouvellement, par une redistribution des tâches à accomplir et par une nouvelle division du travail, regroupant certains acteurs publics dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques vis-à-vis des émigrés.

Parmi ces institutions, un certain nombre d’acteurs étatiques ont un rôle direct dans les champs sociaux de l’espace migratoire turc en Europe, et méritent une attention particulière : parmi ces acteurs, la DITIB (Diyanet İşleri Türk İslam Birliği : Affaires Religieuses Union Turco-islamique)[37] conduit ses activités dans le champ religieux ; la YTB (Présidence des Turcs à l’étranger et les communautés apparentées), dans le champ social et culturel ; le DTIK (Dünya Türk İş Konseyi : Conseil des affaires du monde Turc) dans le champ économique ; la branche internationale du Ministère de l’Éducation conduit ses activités en France dans le cadre des programmes d’ELCO (Enseignement de Langue et Culture d’Origine), l’Institut de Yunus Emre et la Fondation d’Éducation de Turquie (Türkiye Maarif Vakfı) dans le champ culturel et scolaire ; la TIKA (L’agence internationale de la coordination et de la coopération turque)dans le champ culturel de l’espace transnational. Elles assurent avant tout le maintien d’un lien physique avec les citoyens vivant à l’étranger.

La constellation d’acteurs, caractérisant le milieu partisan de l’AKP et les dispositifs bureaucratiques de l’État, est particulièrement développée dans l’espace migratoire en Europe. Dans ce contexte, les dispositifs étatiques sont désormais au service d’un mécanisme de « contrôle à distance » et d’une stratégie de « politique d’encadrement » se caractérisant par une dialectique d’assistance sociale, culturelle et économique et de surveillance politique. À ce mécanisme de contrôle et d’encadrement à distance, s’ajoute la mobilisation partisane des réseaux politiques transnationaux, notamment durant les campagnes, ce qui conduit le champ migratoire à un processus de politisation turbulent. 

L’émergence d’une série d’actions publiques nouvelles sur une courte période, la création d’une bureaucratie transnationale et d’institutions étatiques dans le champ migratoire, illustrent la détermination d’un État qui élabore et poursuit un agenda politique migratoire et « transnational ». Ce faisant, l’État crée des institutions spécifiques ayant des responsabilités vis-à-vis des citoyens résidant à l’étranger, et tente de monopoliser les ressources matérielles et symboliques du champ migratoire en rentrant en compétition avec les autres acteurs non-étatiques précédents. En ce sens, l’analyse du rapport entre l’État et le champ migratoire à travers l’apparition d’une bureaucratie transnationale, chargée des affaires migratoires, et les dynamiques de l’action publique envers les émigrés, confirment le fait que les gouvernements de l’AKP, loin de s’être caractérisés par un retrait de l’État, ont au contraire pénétré certains domaines de l’action publique qui n’avaient pas, ou peu, été investis par les institutions[38].

L’instauration tardive du « vote à distance » en Turquie et la politisation du champ migratoire turc en Europe

Les élections présidentielles du 10 août 2014 tiennent une place particulière dans l’histoire de la Turquie contemporaine, principalement pour deux raisons. D’une part, parce que pour la première fois dans l’histoire de la Turquie, le président de la République est élu au suffrage universel. D’autre part, et cela ajoute une dimension proprement « géopolitique » : parce que pour la première fois, les citoyens vivant à l’étranger sont appelés aux scrutins mis à disposition dans les consulats des différents pays européens d’accueil des émigrés turcs. Jusque-là, les électeurs résidant à l’étranger ne pouvaient voter que dans les douanes aux frontières, en rentrant ou en sortant du pays. En d’autres termes, il s’agit de la première expérience du « vote à distance » des citoyens turcs vivant à l’étranger. D’un point de vue politique, les élections présidentielles de 2014 ont ainsi radicalement changé les rapports de pouvoir non seulement à l’échelle nationale en Turquie, mais aussi à l’échelle internationale.

L’adoption en 2012 et la mise en pratique en 2014 du « vote à distance » ont eu pour conséquence une série de rivalitésau croisement de « l’espace public » des pays de l’Union Européenne et de « l’espace transnational turc »[39] où se forment et se développent des « réseaux politiques transnationaux »[40] et des « mouvements sociaux transnationaux »[41] . Les pays de l’Union Européenne, qui ont été impactés par la mise en place du vote à distance, considèrent les activités partisanes des partis politiques turcs comme une menace à leur souveraineté, tandis que les partis politiques turcs considèrent leurs actions transnationales comme une démarche démocratique légitime qui visent à mobiliser leurs électeurs vivant à l’étranger. Comparée à d’autres pays d’immigration qui ont adopté le vote à distance dans les années 1970 et 1980, comme l’Algérie en 1976, le Maroc en 1984, la Tunisie en 1988[42], comment alors expliquer l’adoption tardive du droit de vote pour les émigrés en Turquie ?

Tout d’abord, on peut noter que jusqu’à l’arrivée au pouvoir de l’AKP, les autorités turques considéraient le vote des émigrés comme une menace[43], car pour Ankara, les émigrés avaient une tendance à voter pour les partis islamistes comme ceux du mouvement Milli Görüş [44] ou pour les partis séparatistes comme ceux du mouvement kurde. Ainsi, les autorités turques s’étaient désintéressées du vote des émigrés et l’avaient même découragé[45]. De même, si la Turquie a adopté le vote à distance si tardivement, c’est parce que l’Allemagne a été considérée par les autorités turques, comme le premier et le seul pays négociateur du droit de vote des émigrés turques, en raison de la démographie importante de la population migratoire dans ce pays[46].

Par ailleurs, contrairement à la France et à la Belgique, l’Allemagne et l’Autriche ne reconnaissent pas la double nationalité, une question qui devient la racine d’une tension permanente entre la Turquie et l’Allemagne. Par exemple, les citoyens turcs vivant en Allemagne doivent renoncer à leur nationalité turque afin d’obtenir la nationalité allemande. Comme indiqué par Rainer Bauböck[47], la demande de l’Allemagne de renoncer à la nationalité précédente, engendre pour les migrants turcs une perte de leur droit de retour définitif inconditionnel, l’impossibilité d’être propriétaire (avoir un terrain, un bien immobilier) et du même coup renoncer à l’héritage en Turquie.

En réponse à cette situation, la Turquie a développé deux méthodes pour maintenir ses liens avec les émigrés : d’abord, dans les années 1980, l’importance économique et la proportion démographique des migrants a ouvert la voie à la réglementation de bi-nationalité dans la loi sur la citoyenneté, permettant d’acquérir une citoyenneté d’un autre pays, sans perdre la nationalité turque : sur le plan pratique, il fallait renoncer à la nationalité turque en amont pour obtenir la nationalité du pays de résidence où la bi-nationalité n’est pas reconnue, et réacquérir la nationalité turque en aval.

Ensuite, la solution de la « carte rose » a été adoptée en 1995 suite à une révision de la loi sur la citoyenneté (no. 403). Cette solution qui prévoit une carte spécifique à la place d’une carte d’identité permet d’accéder aux droits civiques turcs, une fois la nationalité perdue, afin que les migrants puissent obtenir la nationalité allemande et ainsi jouir des droits des deux pays. On peut noter ici que ce n’est pas une application propre uniquement à la Turquie, et qu’elle ressemble à la Déclaration de Nationalité Mexicaine, qui a été mise en œuvre dans le même esprit[48].

Durant cette période, les électeurs vivant à l’étranger ont pratiqué la formule du « vote à la frontière », c’est-à-dire la possibilité de ne pouvoir voter que dans les douanes internationales et non dans les consulats, ce qui rend la participation très complexe et coûteuse pour les émigrés. Par conséquent, la décennie 2000-2010 est marquée par la très faible participation électorale des émigrés, en raison du coût élevé des déplacements, et en l’absence d’infrastructure et de logistique nécessaires.

Dans un deuxième temps, en plus de cette tension géopolitique sur la double nationalité, les autorités allemandes ont exigé une procédure spécifique, et demandé des renseignements supplémentaires à l’institution électorale turque, (Yüksek Seçim Kurulu, YSK) sur l’organisation des élections dans sa dimension logistique. Prenant en compte le nombre important d’émigrés turcs vivant dans le pays et les relations conflictuelles entre le gouvernement turc et les mouvements sociaux transnationaux, les autorités allemandes avaient tout intérêt à sécuriser l’espace public allemand lors du déroulement des élections turques sur le sol allemand.

Le principal problème concernant le vote des citoyens de Turquie en Allemagne, outre l’obtention ou non d’une autorisation de la part des autorités du gouvernement fédéral d’Allemagne, était de savoir comment les quelques 2 millions d’électeurs turcs en Allemagne pouvaient techniquement voter dans les locaux de 13 consulats turcs. Compte tenu du fait qu’il y avait environ 2 millions d’électeurs dans toute l’Allemagne et que chaque urne couvre un maximum de 200 électeurs, on estimait qu’environ 10.000 urnes seraient nécessaires, et que les installations des bureaux de vote dans les consulats turcs en Allemagne ne permettaient pas la mise en place d’autant d’urnes en un seul jour.

Dans ce contexte, on peut noter qu’en 2014, aux élections présidentielles, lors desquelles les émigrés ont pour la première fois voté dans les consulats, le scrutin a été organisé dans la cadre de rendez-vous, et les émigrés avaient une durée limitée pour participer aux élections (entre le 31 Juillet et le 3 Août 2014). Par conséquent, les règles du processus électoral pour les émigrés turcs en Allemagne, dépendaient avant tout de l’approbation des autorités allemandes, et même si celle-ci est acquise, les travaux d’infrastructure et de logistique nécessaires doivent être effectués correctement avant d’instaurer les urnes dans les consulats.

Enfin, il faut souligner que cette autorisation conditionnelle de l’Allemagne Fédérale a eu lieu suite aux réformes électorales[49]. En 2010, la loi électorale a modifié la législation, désormais davantage en accord avec les normes européennes. Au-delà d’une législation, cette nouvelle loi a entrainé un renouvellement du matériel électoral : les urnes sont faites en plastique transparent et non plus en bois, les enveloppes ont un nouveau format, les isoloirs sont fabriqués de façon à ce que la personne qui est à l’intérieur ne puisse être vue. Cette nouvelle réforme qui se rapproche des normes européennes du scrutin, a eu un impact positif sur la participation des citoyens vivant à l’étranger. C’est dans ce contexte que l’Allemagne Fédérale a donné son « autorisation conditionnelle » à l’organisation des élections dans les consulats turcs.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’instauration du vote à distance en Turquie, sous le deuxième gouvernement de l’AKP, en 2008, deux changements importants ont eu lieu, qui ont eu un impact direct sur la participation des émigrés. Tout d’abord, avec les développements technologiques, la Turquie a numérisé son système d’inscription sur les listes électorales, a instauré un système d’inscription en se basant sur l’adresse des citoyens, et a mis fin au système de recensement électoral (loi no : 5749). Cette nouvelle pratique a été appliquée aussi aux citoyens vivant à l’étranger, en se basant sur les données obtenues par les consulats turcs. Il s’agit d’un nouveau régime d’inscription automatique qui change radicalement les règles du jeu de la participation électorale, mais cela n’a pas été suffisant pour mobiliser l’ensemble de l’électorat vivant à l’étranger : malgré ce changement, les citoyens devaient en effet se rendre en Turquie pour voter dans les urnes installées dans les douanes.

La même année, le vote à distance a été réglementé par la loi sur les conditions fondamentales des élections et circonscriptions électorales. Cette législation avait prévu la création d’un conseil électoral de l’étranger, attaché au conseil électoral d’Ankara, chargé de la gestion du vote à distance[50]. Ensuite, en 2011, le droit de vote lors des élections présidentielles a été reconnu pour les citoyens vivant à l’étranger, par la loi électorale (no. 298). À partir de cette réglementation, à l’exception des élections municipales, les citoyens résidant à l’étranger ont pu voter lors de chaque élection législative et présidentielle, ainsi qu’aux référendums.

Finalement, en 2012, l’Assemblée Nationale a accepté la révision de la loi sur les élections[51] pour l’instauration du vote à distance au sein des représentations de la Turquie à l’étranger, principalement dans les consulats. Une loi a été préparée en coordination respectivement entre la Présidence des Turcs à l’étranger et les communautés apparentées (Yurtdışı Türkler ve Akraba Topluluklar Başkanlığı, YTB), le Ministère des Affaires étrangères, et enfin le Ministère de la Justice et du Haut Conseil Électoral. Cette dernière réglementation, qui établit les bureaux de vote dans les consulats de Turquie à l’étranger, aura des impacts inédits, à savoir la politisation du champ migratoire turc, et donnera naissance aux rivalités géopolitiques à plusieurs échelles, en impliquant une multitude d’acteurs étatiques, politiques et sociaux.

Le vote à tout prix et les campagnes hors sol de l’AKP : une source de rivalité entre la Turquie et l’Allemagne ?

D’un point de vue juridique, la loi sur les campagnes électorales des partis politiques représente un exemple intéressant sur la situation de l’État de droit : alors que les campagnes et la propagande partisane à l’étranger sont juridiquement interdites par la loi électorale de 2008 (comme c’est le cas au Mexique)[52], les partis politiques n’ont pas respecté, et ne respectent toujours pas cette règle. Depuis les campagnes des élections présidentielles de 2014, les quatre plus grands partis du Parlement ont organisé des meetings à l’étranger. Dès lors, en l’absence d’action ou de sanction de la part du Haut Conseil Électoral, (Yüksek Seçim Kurulu, YSK) sur les partis politiques, nous pouvons considérer cette loi comme caduque et non-appliquée[53].

Or, depuis sa première visite officielle en tant que premier ministre, le 1er septembre 2003 à Berlin, Tayyip Erdoğan s’est rendu en Allemagne plusieurs fois en déplacements officiels et officieux, notamment grâce à une association locale, l’UETD (Les Turcs Démocrates Européens), créée en 2004 à Cologne et devenue le satellite de l’AKP dans l’espace migratoire. Jusqu’en 2008, les autorités allemandes n’ont pas considéré ces visites comme une menace et l’opinion publique allemande ne se souciait pas de ces rassemblements partisans : c’est seulement le 10 février 2008, lorsqu’Erdoğan a pris la parole devant 20.000 émigrés à Cologne, et tenu un discours sur la responsabilité des émigrés envers leur pays d’origine et contre leur assimilation dans leur pays d’accueil[54], que les journalistes allemands ont sonné l’alarme[55].

Le 4 février 2014, l’UETD (Les Turcs Démocrates Européens)[56] a organisé un grand rassemblement à Berlin, en louant la salle de concert « Tempodrom » pour 4.000 personnes, mais aussi en installant des écrans géants à l’extérieur de la salle pour quelques 3.000 sympathisants : l’UETD a ainsi affiché sa capacité d’organisation sur le plan logistique ; en diffusant les affiches du rassemblement dans toute l’Allemagne, l’UETD a effectué un travail de campagne communicationnelle avec les émigrés ; et en organisant des transports pour le déplacement des sympathisants, elle a contribué à la mobilisation des réseaux de l’AKP. Ainsi, l’UETD a mis en place un véritable travail partisan dans l’espace migratoire.

Or, depuis l’instauration du « vote à distance » aux élections présidentielles du 10 août 2014, pour les citoyens de Turquie vivant à l’étranger, les déplacements du président de la République en Europe se sont multipliés dans le but de créer une mobilisation électorale efficace dans l’espace migratoire. Lors des campagnes législatives du 7 juin 2015, Erdoğan a organisé un meeting géant à « Karlsruhe Arena » en Allemagne avec le slogan « l’homme de la nation est en Europe », devant 14.000 émigrés turcs venant de toute l’Europe. Ce meeting sera le dernier spectacle politique d’Erdoğan en Allemagne[57].

En 2017, durant les campagnes référendaires sur le passage au système présidentiel, les initiatives politiques du gouvernement de l’AKP à l’intention des émigrés turcs vivant en Allemagne, ont exacerbé les tensions politiques, et ont donné lieu une crise diplomatique majeure et sans précédent entre deux pays. Le 18 février 2017 à Oberhausen, le dernier Premier ministre turc, Binali Yıldırım, a tenu un meeting pour le référendum sur le passage au système présidentiel[58]. Contesté par des centaines de manifestants, ce meeting a créé une tension locale et prit une ampleur nationale en Allemagne : l’État fédéré de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où se trouve une population issue de la migration turque importante, a lancé un appel au gouvernement fédéral pour interdire ces campagnes. Les autorités locales ont déclaré qu’elles étaient juridiquement incapables d’annuler les meetings de l’AKP, qui « divisent la société allemande et qui construisent une société parallèle ». Suite à la réaction de plusieurs partis politiques et des autorités locales, le gouvernement fédéral a pris la décision d’interdire les campagnes de l’AKP sur le sol allemand, dont celle d’Erdoğan prévues le 6 juillet 2017 à Hambourg[59]. Dans une atmosphère d’affirmation nationaliste croissante, les rivalités géopolitiques entre la Turquie et l’Allemagne se sont cristallisées et se sont transformées en crises diplomatiques lors des campagnes référendaires du 16 avril 2017 qui impliquaient plusieurs acteurs à différentes échelles, à la fois associatifs ou politiques, tant dans les pays d’accueil que dans le pays d’origine.

Depuis cette date, l’AKP n’organise plus des meetings géants en Allemagne et dans l’Europe de l’Ouest. En revanche, cela n’a pas mis fin aux meetings géants hors sol : le 20 mai 2018, le chef de l’AKP a choisi un point de rendez-vous géopolitique avec les émigrés, en tenant un meeting à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, dans un salon (A. Samaranch Olympic Hall-Zetra) loué par les cadres et les membres de l’UETD (Les Turcs Démocrates Européens). Environ 12.000 personnes, provenant d’Autriche, d’Allemagne et des Pays-Bas se sont rendus au meeting[60]. Or, les cadres du parti n’ont pas cessé d’organiser des rassemblements partisans avec les émigrés dans les associations migratoires.

Cependant, les meetings organisés par l’AKP et par les cadres du parti dans l’espace migratoire, notamment en Allemagne, ont suscité plusieurs contre-rassemblements organisés par les associations locales d’opposition : pendant les campagnes législatives de 2011 à Düsseldorf en Allemagne ; durant les campagnes présidentielles en 2014 à Berlin et à Cologne en Allemagne, et à Lyon en France  ;  lors des campagnes législatives de juin 2015 à Dortmund et à Karlsruhe en Allemagne et à Hasselt en Belgique ; durant les campagnes législatives de novembre 2015 à Strasbourg en France ; ou bien les meetings durant la campagne référendaire du 16 avril 2017. À cet égard, les campagnes à l’étranger de l’AKP ont contribué à l’importation de clivages sociopolitiques au sein de l’espace migratoire, et ont suscité la réaction des autorités des pays européens, qui considèrent désormais les campagnes des partis politiques turcs comme une « menace » à la sécurité de leurs espaces publics.

L’Allemagne est-elle le hub du champ politique turc à l’étranger ?

 À la différence des autres formes de participation non-conventionnelle à la politique, les meetings électoraux ont une particularité profonde, car ils remplissent une fonction intégrative indéniable, tant à destination des électeurs fidèles qu’à celles des responsables politiques. Par ailleurs, ces meetings sont organisés par les acteurs transnationaux émergents. Demeurant sur place, ces acteurs louent des salles, préparent le contenu de l’évènement, et le diffusent à travers leur moyen de communication, par le biais des associations migratoires. D’une part, du côté des dirigeants, ces meetings créent une opportunité pour fabriquer un nouveau type d’électorat à l’étranger et permettent aux acteurs politiques de diffuser leurs valeurs, de maintenir et d’approfondir leur ancrage social, de développer enfin leur rapport à l’espace migratoire. D’autre part, du côté des partisans, ces meetings créent une socialisation politique unique, dans la mesure où ils permettent physiquement et concrètement d’adhérer[61] à un parti politique et de mobiliser les « réseaux transnationaux »[62].

Les modalités de l’implantation des partis politiques turcs et kurdes extraterritoriaux en Europe, nous montrent que tous les partis politiques considèrent l’Allemagne comme le territoire d’ancrage en Europe, car les branches internationales de tous les partis politiques ont vu jusqu’ici le jour en Allemagne. Par ailleurs, on note que la qualité des réseaux relationnels des partis politiques dans l’espace migratoire est déterminée et conditionnée notamment par leur lien avec des mouvements sociaux[63], d’ores et déjà ancrés dans l’espace migratoire en Europe et ce, dès les années 1970 : grâce à l’ancrage social et le transfert du capital politique du mouvement Milli Görüş en Europe, l’institution partisane de l’AKP à l’étranger est créée en 2004 à Cologne sous le nom de l’UETD (Les Turcs Démocrates Européens) ; la première institution partisane du HDP est fondée à Berlin en 2015 – plus tard le HDP a décidé de s’organiser dans l’espace migratoire sous le toit du HDK-A (Congrès Démocratique du Peuple en Europe),  créé en 2017 avec son premier congrès à Bruxelles[64]; enfin, l’Union du CHP (le Parti Républicain du Peuple) est créée en 2012 en Allemagne à Düsseldorf.

D’un point de vue historique, on peut noter que les partis politiques extraterritoriaux de l’AKP, du CHP, du HDP et du MHP, ont été créés grâce à l’implantation des « mouvements sociaux transnationaux » comme le mouvement Milli Görüş, fondé au début des années 1970 en Allemagne, devenu ensuite l’Organisation de la vision nationale en Europe (Avrupa Milli Görüş Teşkilatı, AMGT)[65] en 1995 ; son capital migratoire a ensuite été transféré à l’AKP (fondé en 2001). Le Parti du mouvement nationaliste, le MHP s’organise en Europe à travers la Fédération des Turcs en Europe (Avrupa Türk Federasyonu), fondée en 1978 en Allemagne[66]. L’ancrage du CHP dans le champ migratoire en Europe remonte aux années 1970, avec la Fédération des associations populaires (Halk Dernekleri Federasyonu, HDF), fondées le 29 octobre 1977 en Allemagne.

D’autre part, le mouvement Kurde s’est implanté en Europe à travers divers acteurs comme la Fédération des associations culturelles des travailleurs patriotes du Kurdistan (Federasyona Yekîtîya Kakerên Welatparêzen-çandiya Kurdistan, FEYKA), créée en 1980 en Allemagne, avec l’Institut Kurde de Belgique créé en 1978 à Bruxelles ; en France, un Institut Kurde est également créé à Paris en 1983. Tout comme le mouvement Kurde, le mouvement Alévi s’est organisé en Europe via l’Allemagne : la Fédération des unions des Alévis en 1990, la Fondation de Cem en 1997, la Fondation d’Ehl-i Beyt en 2001, toutes trois crées en Allemagne. Dès lors, d’une certaine manière, on peut considérer que l’Allemagne devient le hub du champ politique à l’étranger ou bien du champ transnational turc, tant pour les mouvements sociaux transnationaux que pour les partis politiques extraterritoriaux.

Si la loi française de 1981 accorde une importante liberté d’association aux étrangers vivant sur son sol, en les réintégrant dans le droit commun de la loi de 1901[67], elle ne leur permet pas de créer des partis politiques : les partis politiques turcs ne peuvent légalement exister en tant que tels dans l’espace politique français, ce qui les amène à se replier sur la création d’associations loi 1901. La norme soulevée par Mathilde Zederman[68] pour le cas tunisien est valable pour le cas turc : les partis politiques étrangers, tels que l’AKP, le CHP, le HDP ou le MHP, ne sont pas autorisés à créer des partis politiques, car leur projet n’est pas compatible avec la définition constitutionnelle des partis politiques mentionnée dans l’article 4 de la Constitution, dont l’action doit nécessairement s’inscrire dans le cadre de la nation française.

Les enjeux électoraux du vote à distance et la faible autonomie du champ électoral turc

Depuis l’adoption et la mise en pratique, en dehors des difficultés logistiques et statistiques, du vote à distance, on observe que les enjeux électoraux deviennent des instruments de domination au profit des « partis cartels »[69]. Si « les dominants ont le dernier mot » et que « ce sont eux qui ont la maîtrise en amont (encadrer par le droit, justification par le discours) et en aval (commenter et annuler) pour dire, par exemple en ce qui concerne le vote, ce que voter veut dire »[70] comme l’a déterminé Michel Offerlé, il faudra prendre en considération les modes de domination dans le « champ électoral » turc à l’étranger afin de déterminer les points aveugles de la démocratie turque, réduite aux urnes sous les gouvernements de l’AKP.

Dans ce contexte, il faut avant tout souligner que les « citoyens profanes »[71] à l’étranger ne disposent pas d’une procédure démocratique définie pour transférer leurs revendications politiques aux « élus initiés » par le biais d’une instance représentative au parlement turc. Autrement dit, la Turquie n’a jamais adopté de circonscription pour construire une représentativité à l’échelle de sa population émigrée[72]. Au lieu d’une circonscription électorale pour les émigrés, les partis politiques proposent des candidats issus de la population migratoire sur les listes de circonscription en Turquie, ce qui entraîne ainsi l’exclusion des problèmes collectifs des émigrés au parlement turc.

Dans un deuxième temps, l’instauration du vote à distance est un vecteur de « politisation » qui a des impacts tant sur la transformation de l’espace migratoire vers un espace de concurrence entre les acteurs transnationaux, que dans l’importation des clivages sociaux domestiques turcs, en particulier lors des campagnes électorales. Ce processus de politisation, va de pair avec l’émergence des rivalités géopolitiques, notamment sur le sujet des campagnes à l’étranger, et ce au profit d’une stratégie électorale d’un parti politique dominant et au détriment de routinisation des crises diplomatiques[73].

En outre, le vote à distance a donné naissance à un nouveau territoire du vote à l’étranger,ce qui pose la question du lieu de vote à l’étranger. Lors du referendum du 16 avril 2017, en raison de la place limitée dans les consulats, les urnes ont été mises à disposition dans les locaux de la DITIB (Affaires Religieuses Union Turco-islamique), lieux possédant une connotation religieuse, à Strasbourg et à Lyon. Cette décision, qui peut influencer le taux de participation aux élections, a suscité des critiques envers les autorités électorales de la part des associations locales, notamment les associations alévies. Par conséquent, la sélection des lieux de vote dans l’espace migratoire, notamment un local où se trouve un lieu de culte, devient un instrument de domination dans les procédures électorales.

Ensuite, la question du temps et du matériel des élections à l’étranger constitue un deuxième instrument de domination : contrairement à la pratique électorale nationale, lors de laquelle les citoyens votent en un seul jour, les émigrés disposent d’un laps de temps de 10 jours – par exemple, pour les élections présidentielles et législatives du 14 mai 2023, les émigrés pourront voter entre le 27 avril et le 9 mai 2023 dans les consulats – pour exprimer leur choix politique. Néanmoins, malgré la surveillance des partis politiques dans les consulats, une fois les élections terminées, le dépouillement des urnes se fait en Turquie, à Ankara, le jour des élections nationales. Autrement dit, les votes provenant de l’étranger doivent attendre le jour des élections, pour être dépouillés dans un lieu déterminé par le Haut Conseil Électoral, ce qui nécessite une surveillance de long terme et un investissement pour les partis politiques afin de sécuriser les résultats.

Or, le sujet de la sécurité des élections est problématique en Turquie, en raison de la monopolisation des processus de dépouillement par le Haut Conseil Électoral : face à cette atmosphère de méfiance électorale et d’incertitude, les partis politiques ont développé des procédures spécifiques pour comptabiliser les résultats en interne, grâce aux observateurs d’élection des partis politiques (müşahit)[74], qui circulent, obtiennent et comptabilisent tous les datas électoraux dans des serveurs informatiques indépendants, loués grâce aux moyens financiers des partis.

Enfin, les recherches ont mis en évidence qu’il n’y a pas de modalité institutionnelle idéale du vote à distance. Néanmoins, l’étude et les analyses du vote à distance dans le champ migratoire turc, montrent que les procédures et les technologies électorales – la décision sur le temps et le lieu de vote, les règles du dépouillement – sont devenues un instrument de domination dans le champ électoral au profit du parti au pouvoir, l’AKP, qui contrôle les procédures et les règles électorales à l’étranger. De même, l’absence d’une circonscription pour les émigrés, constitue un point aveugle dans l’institutionnalisation du vote à distance. En outre, malgré son interdiction par la législation turque et son statut soumis aux autorités publiques des pays européennes, les campagnes hors sol des partis politiques semblent perdurer dans le but d’accaparer le capital électoral du champ migratoire turc en Europe[75].

Nous avons tenté de montrer les dynamiques du champ migratoire et du vote à distance turc, dans lesquelles les émigrés se préparent aux élections présidentielles et législatives anticipées en Turquie (prévues le 14 mai 2023 – au lieu de la date initiale, le 18 juin 2023), qui jouent un rôle capital pour l’avenir du pays. Malgré les dispositifs de la bureaucratie transnationale et les mécanismes de domination dans le champ électoral, mis au service du parti au pouvoir, une seule question se pose maintenant : malgré tout, les partis d’opposition parviendront-ils à créer une contre-mobilisation électorale « par le bas » dans l’espace migratoire ? À notre connaissance, le candidat de l’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu, n’a pas écrit de lettre adressée aux citoyens vivant à l’étranger, mais il a promis d’instaurer une circonscription électorale à l’étranger avec une représentation importante dans le Parlement. En plus, nos enquêtes de terrain montrent que tous les partis politiques d’opposition, notamment ceux du CHP et du HDP, préparent une campagne électorale soutenue à l’étranger afin de conquérir le cœur des émigrés lors des élections.

Halil Yigit est doctorant à l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris8 sous la direction des professeurs Philippe Subra et Nora Seni


[1] La Fédération turque d’Europe, (Avrupa Türk Federasyonu), fondée en 1978 en Allemagne et en 1995 en France, regroupe les petites associations locales dans différents pays, à savoir en Autriche, aux États-Unis, en Australie, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Suisse et dans les Pays Scandinaves. En Allemagne, le mouvement nationaliste turc (ülkücü hareket) est surveillé par l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz, BfV) dans le cadre d’organisations d’extrême droite.

[2] Voir l’annonce du Haut Conseil Électoral dans le journal officiel : https://www.resmigazete.gov.tr/eskiler/2017/04/20170427M1-1.pdf Consulté le 02.07.2022.

[3]  En incluant les votes provenant des urnes mises en place dans les consulats et dans les douanes, au total, 25.157.463 électeurs ont voté pour le système présidentiel contre 23.779.141 voix qui se sont prononcées contre l’instauration du régime présidentiel en Turquie, soit 51.41% contre 48.59% avec une différence de 1.379.322 voix. Voir : https://www.ysk.gov.tr/doc/dosyalar/docs/24Haziran2018/KesinSecimSonuclari/2018CB-416B.pdf, consulté le 10.03.2023. 

[4] Le vote à distance est défini comme « le droit pour tout citoyen de prendre part depuis l’étranger aux élections d’un pays dont il possède la citoyenneté, mais dans lequel il ne réside pas ». Il s’exerce donc par définition, en dehors du territoire national et de ce fait, il se distingue du vote par correspondance, du vote par procuration et du vote à la frontière, c’est-à-dire la pratique qui consiste, pour certains émigrés, à revenir dans leur pays d’origine le jour de l’élection, qu’il s’agisse d’une démarche individuelle ou collective initiée par un ou plusieurs partis politiques. Lafleur, J.-M. (2013), Transnational Politics and the State. The External Voting Rights of Diasporas, London, Routledge; Ellis, A. & Navarro, C. et all. Voting from Abroad, (2007). The International IDEA. Stockholm, p. 278. Cité dans Jaulin, T. & Smith, É. (2015). Généralisation et pratiques du vote à distance. Introduction thématique. Afrique contemporaine, 256, 11-34. https://doi.org/10.3917/afco.256.0011. On préfère utiliser ici le terme de « vote à distance » plutôt que celui de « vote externe », mais on peut noter que les deux sont porteurs du même sens selon leurs définitions.

[5] Un parti politique est « un champ de luttes et un espace de concurrence objectivé entre des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour la définition légitime du parti et pour le droit de parler au nom de l’entité et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à entretenir l’existence ou plutôt la croyance en l’existence ». Offerlé, M. (2022). Les partis politiques. Que sais-je, p. 17.

[6] « Le champ politique est le lieu d’une concurrence pour le pouvoir qui s’accomplit par l’intermédiaire d’une concurrence pour les profanes, ou, mieux pour le monopole du droit de parler et d’agir au nom d’une partie ou de la totalité des profanes ». Bourdieu, P. (1981). La représentation politique. Actes de la recherche en sciences sociales36(1), 3-24.

[7] Depuis l’instauration du vote à distance, tous les grands partis du parlement comme l’AKP, le CHP, le HDP et le MHP ont créé des organisations partisanes à l’étranger afin de mobiliser leurs électeurs vivant à l’étranger.

[8] Aksaz, E. (2015). L’émigration turque en France : 50 ans de travaux de recherche en France et en Turquie. Institut français d’études anatoliennes.

[9] La notion de champ migratoire est utilisée ici dans la définition qu’en donne Gildas Simon, « le champ migratoire est l’ensemble de l’espace parcouru, pratiqué par les migrants. La notion de champ fait référence à un espace spécifique, structuré par des flux importants, significatifs ; appliquée au domaine international, elle englobe à la fois le pays de départ et le pays d’emploi ». Simon, G. (1981). Réflexions sur la notion de champ migratoire international. Hommes et terres du Nord, (spécial), p. 85.

[10] La notion de géopolitique désigne « des rivalités de pouvoirs sur du territoire qu’il soit de grande ou de petite dimension, y compris au sein des agglomérations urbaines ». Lacoste, Y. (2012). La géographie, la géopolitique et le raisonnement géographique. Hérodote, (3), p. 27.

[11] Nous pouvons considérer le « champ électoral » comme un « champ de forces et de luttes » dans lequel les partis et les entrepreneurs politiques sont en concurrence pour accaparer le capital de ce champ, dans un « marché politique » fonctionnant de manière autonome, avec des règles prédéterminées par une institution électorale indépendante. Selon Pierre Bourdieu, « un champ est un champ de forces, et un champ de luttes pour transformer les rapports de forces. Dans un champ comme le champ politique ou le champ religieux ou tout autre champ, les conduites des agents sont déterminées par leur position dans la structure du rapport de forces caractéristique de ce champ au moment considéré. Le fonctionnement en champ produit une sorte d’effet de fermeture. Cet effet observable est le résultat d’un processus : plus un espace politique s’autonomise, plus il avance selon sa logique propre, plus il tend à fonctionner conformément aux intérêts inhérents au champ, plus la coupure avec les profanes s’accroît ». Bourdieu, P. (2000). Propos sur le champ politique. Presses Universitaires Lyon., p. 61.

[12] Sayad, A. (1977). Les trois « âges » de l’émigration algérienne en France. Actes de la recherche en sciences sociales, 15(1), 59-79.

[13] Cependant, il existe d’autres lectures comme celle de la spécialiste de l’émigration turque Nermin Abadan Unat, qui distingue six grandes phases de la migration turque en Europe : recrutement des travailleurs par les intermédiaires entre 1956-1961 ; la migration basée sur les accords bilatéraux entre 1961-1972 ; la légitimation des migrants « touristes » illégaux entre 1972-1975 ; la réunification familiale et l’éducation des enfants entre 1975-1978 ; l’introduction du visa, l’augmentation de demandeurs d’asile et la croissance de la xénophobie entre 1975-1985 ; enfin, à partir de 1986 le développement de l’ethnic business (l’exportation des produits du pays d’origine aux pays d’accueils), des associations ethno-confessionnelles et des demandes des droits politiques. Abadan-Unat, N. (1995). Turkish migration to Europe. The Cambridge survey of world migration, p. 279.

[14] Bozarslan, H. (1998). Le groupe kurde. Hommes & Migrations, 1212(1).

[15] Il convient ici d’ouvrir une parenthèse sur la notion de « diaspora », souvent employée dans les études de migration, notamment à partir de catégorisations des diasporas globales. Néanmoins, d’une telle schématisation résulte un usage dilué et une dépolitisation du mot. Si le mot peut être utilisé dans sa dimension politique, il ne faut pas pour autant abuser ce mot, en s’en servant pour désigner les multiples phénomènes migratoires de quelque ampleur. Puisque, comme l’a souligné Yves Lacoste, « il existe des vraies diasporas reconnaissables par la ‘dispersion de la plus grande partie d’un peuple’, ce qui signifie qu’une diaspora existe à partir du moment où la majorité d’un peuple se trouve dispersée dans un grand nombre d’États. Il est nécessaire en outre que soit conservée la mémoire du territoire d’origine et que les descendants ainsi chassés – il faut par ailleurs que l’exode ait été massif – gardent et entretiennent le fait qu’ils appartiennent à une même ensemble ». Ainsi, il n’est pas approprié d’utiliser le vocable de diaspora pour qualifier l’immigration turque en Europe. Lacoste, Y. (1989). Géopolitique des diasporas. Hérodote, (53), 3-12. Cité dans Dufoix, S. (2011). La dispersion. Une histoire des usages du mot diaspora. Paris: Editions Amsterdam, pp. 393-394. On peut cependant noter qu’il existe des travaux qui considèrent les émigrés turcs comme une diaspora.

[16] Dans ce cadre, la « disparition forcée » peut être considérée comme une pratique de violence étatique qui conduit les Kurdes non seulement à une migration forcée mais aussi à une déportation de la région. Les Mères du Samedi (Cumartesi Anneleri), symbole de résistance contre ces pratiques criminelles, ont investi l’espace public sur le modèle des Mères de la Place de Mai en Argentine, afin d’obtenir des informations sur leurs enfants disparus. Sevgi Goral, O. (2017). Enforced disappearance and forced migration in the context of Kurdish conflict: loss, mourning and politics at the margin (Thèse de doctorat, Paris, EHESS).

[17] Icduygu, A. (2009). “International Migration and Human Development in Turkey”, United Nations Development Programme, Human Development Research Paper No. 2009/52, p. 47: Table 2: Turkish Asylum-Seekers by Destination, 1981-2005.

[18] Entre le 16 août 2015 et le 1er juin 2017, les gouvernements de l’AKP ont déclaré 218 fois « l’état d’urgence » dans la région, ce qui implique des couvre-feux et des conflits armés dans les villes, qui ont engendré un manque d’accès aux premières nécessités pour la population civile. Selon un rapport de l’Association des Droits Humains en Turquie, en 2016, environ 500.000 personnes sont victimes de la migration forcée dans la région Kurde de Turquie. Voir le rapport de la TIHV :  https://tihv.org.tr/sokaga-cikma-yasaklari/16-agustos-2015-1-haziran-2017-bilgi-notu/, consulté le 10.03.2023.

[19] Depuis le coup d’État échoué, et à partir du 21 juillet 2016, date à laquelle l’état d’urgence a été déclaré, jusqu’au 17 juillet 2018, le pays est gouverné par un régime d’état d’urgence permanent avec des centaines de décret-loi (Kanun Hükmünde Kararname, KHK). Depuis 2015, plusieurs maires élus, en particulier ceux du Parti de la Paix et de la Démocratie (Barış ve Demokrasi Partisi, BDP) dans la région Kurde de Turquie, ont été destitués et remplacés par les administrateurs du centre (kayyum), pour des allégations de liens avec le terrorisme.

[20] Dufoix, S. (1997). Exil et politique: éléments pour une sociologie de la politique en émigration: l’exemple des hongrois, des polonais et des tchecoslovaques en France de 1945 à nos jours (Thèse de Doctorat, Paris 1).

[21] Cette pétition, signée par des universitaires en Turquie, visait à rendre publiques les multiples violations des droits de l’homme et des traités internationaux relatifs à la torture et à d’autres formes de violences « non conventionnelles », qui ont eu lieu dans la région Kurde en Turquie. Par conséquent, des milliers d’universitaires ont dû quitter leurs fonctions au sein des universités publiques et privées, soit par les décrets gouvernementaux, soit par la pression administrative dans les universités. Akin, E. (2019). Atelier Liberade: Endangered scholars and Rescue Politics. Materiaux pour lhistoire de notre temps, (1), 70-73.

[22] On peut se rappeler qu’en 2016, la députée du HDP Leyla Birlik, en raison de son discours politique considéré par la justice turque comme une propagande, avait perdu son immunité parlementaire et avait été emprisonné avec 12 autres députés du HDP. En 2018, elle a demandé l’asile en Grèce.

[23] Selon les rapports du Ministère des Affaires Étrangères de Turquie, environ 150.000 personnes d’origine turque – n’ayant pas la nationalité turque – vivent en Grèce. Voir : https://www.mfa.gov.tr/bati-trakya-turk-azinligi.tr.mfa, consulté le 10.04.2023. Néanmoins, selon les résultats officiels du 16 avril 2017, le nombre des électeurs inscrits dans les consulats grecs est seulement de 10.562, soit moins de 1% du nombre total des citoyens vivant à l’étranger. C’est pourquoi, dans la carte ci-dessous, la Grèce est représentée d’une couleur différente, afin d’attirer l’attention sur la nouvelle destination des migrants dans la quatrième phase de l’émigration. Voir les résultats officiels du référendum à l’étranger : https://www.ysk.gov.tr/doc/dosyalar/docs/2017Referandum/2017HO-TemsilciliklerdeOyKullanma.pdf consulté 05.04.2023.

[24] Anastassiadou, M. (2012). D’une rive à l’autre. Les migrations des Grecs de Turquie depuis la Seconde Guerre mondiale. Anatoli. De l’Adriatique à la Caspienne. Territoires, Politique, Sociétés, (3), 85-99.

[25] Voir les rapports d’EUROSTAT : https://www.drdatastats.com/drdatastats-veri-bankasi/, consulté le 24.03.2023.

[26] Voir les rapports d’AUEA : https://stockholmcf.org/asylum-applications-from-turkish-citizens-in-eu-see-494-percent-rise-over-past-12-years/, consulté le 24.03.2023.

[27] Voir le rapport du BAMF : https://www.bamf.de/SharedDocs/Anlagen/EN/Behoerde/Informationszentrum/BriefingNotes/2022/Zusammenfassungen/briefingnotes-zf-hj-2-2022-tuerkei.pdf?__blob=publicationFile&v=2, consulté le 10.03.2023.

[28]  Voir le rapport du DGEF : https://www.vie-publique.fr/en-bref/287990-immigration-les-chiffres-pour-2022, consulté le 08.04.2023.

[29] Sayad, A., & Bourdieu, P. (1991). L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. Bruxelles : De Boeck Université.

[30] Akgönül, S. (2020). La Turquie  «nouvelle » et les Franco-Turcs. Editions, L’Harmattan., p. 50.

[31] Le champ bureaucratique est entendu ici au sens de Pierre Bourdieu : « la genèse, difficile, d’un ordre public va de pair avec l’apparition et l’accumulation d’un capital public, et avec l’émergence du champ bureaucratique comme champ de luttes pour le contrôle de ce capital et du pouvoir corrélatif, c’est-à-dire notamment du pouvoir sur la redistribution des ressources publiques et des profits associés » Bourdieu, P. (1997). De la maison du roi à la raison d’État. Actes de la recherche en sciences sociales, 118(1), p. 67.

[32] Copeaux, É. (1992). Les « Turcs de l’extérieur » dans Türkiye : un aspect du discours nationaliste turc. CEMOTI, Cahiers d’Études sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien, 14(1), 31-52.

[33] Kaya, A., & Kentel, F. (2005). Euro-Türkler: Türkiye ile Avrupa Birliği arasında köprü mü, engel mi?. İstanbul Bilgi Üniversitesi Yayınları. « Les Turcs d’Europe, une menace ou un pont entre la Turquie et l’Union Européenne ? »’

[34] Ostergaard-Nielsen, E. (2003). Transnational politics: The case of Turks and Kurds in Germany. Routledge.

[35]Kastoryano, R. (2010). Minorités et politique étrangère : espace transnational et diplomatie globale. Politique étrangère, automne (3), 579-591. https://doi.org/10.3917/pe.103.0579

[36] La création en 2010 de la « Direction de Coordination de la Diplomatie Publique (Kamu Diplomasisi Koordinatörlüğü) », institution directement liée au Premier ministre, témoigne de l’adoption de cette nouvelle perspective migratoire au sein de l’État, ainsi que d’une volonté de gouverner d’une nouvelle façon, avec comme objectif de redéfinir le rôle de la Turquie dans un contexte de changement des dynamiques géopolitiques. Elle regroupe toutes les institutions publiques qui ont un rôle par-delà les frontières nationales, avec pour objectif de mener des activités d’information publique, des programmes universitaires, des communications politiques et médiatiques. En 2017, dans le contexte du passage au système présidentiel en Turquie, la Direction de la Diplomatie Publique est attachée à la « Direction de Communication Présidentielle » et elle est devenue une institution directement liée au Président de la République.

[37] Bruce, B. (2012). « Gérer l’islam à l’étranger : entre service public et outil de la politique étrangère turque », Anatoli, pp. 131-147.

[38] Massicard, E. (2014). Une décennie de pouvoir AKP en Turquie : vers une reconfiguration des modes de gouvernement?. Centre d’études et de recherches internationales, p. 33. Voir : Hibou, B. (1998). Retrait ou redéploiement de l’État?. Critique internationale, 1(1), 151-168.

[39] Le transnationalisme est défini comme « les processus par lesquels les immigrés forgent et entretiennent des relations sociales qui créent des liens avec les sociétés d’origine et d’accueil ». Basch, L., Schiller, N. G., & Blanc, C. S. (Eds.). (1994). Nations unbound: Transnational projects, postcolonial predicaments, and deterritorialized nation-states. Routledge, p. 7. Cité dans Brand, L. A. (2006). Citizens abroad: Emigration and the state in the Middle East and North Africa (Vol. 23). Cambridge University Press. p. 9.

[40] Ariel Colonomos définit les réseaux transnationaux comme « la multiplicité quantitative et qualitative de liens, déterminant la capacité des groupes et des individus à contextualiser leur action sociale, tout en s’insérant dans des espaces politiques élargis qui transcendent les barrières statonationales » Colonomos, A. (1995). Sociologie des réseaux transnationaux : communautés, entreprises et individus : lien social et système international. Editions L’Harmattan, p. 22.

[41] Sidney Tarrow définit les mouvements sociaux transnationaux comme « des groupes socialement mobilisés ayant des membres dans au moins deux pays, engagés dans une interaction soutenue de contestation avec les détenteurs du pouvoir d’au moins un pays autre que le leur, ou contre une institution internationale ou un acteur économique multinational ». Tarrow, S. (2000). La contestation transnationale. Cultures & conflits, (38-39). Cité dans Angey, G. « Penser les reconfigurations du régime turc de l’AKP et du mouvement Gülen à l’international » dans Erdinc, I., & Gourisse, B. (2022). La domination politique en Turquie: Une analyse relationnelle du régime politique turc. Karthala, p. 310.

[42] Jaulin, T. & Smith, É. (2015). Généralisation et pratiques du vote à distance. Introduction thématique. Afrique contemporaine, 256, 11-34. https://doi.org/10.3917/afco.256.0011

[43] Akgonul, S. « Turks as a Minority » in Baser, Bahar et Öztürk, Ahmet Erdi. Authoritarian politics in Turkey: Elections, resistance and the AKP. Bloomsbury Publishing, 2017, pp. 131-132.

[44] Comme les analyses de Valérie Amiraux le montrent, dans les années 1990, le mouvement Milli Görüş est, d’ores et déjà ancré et structurellement organisé en Europe de l’Ouest. De même, le mouvement n’a pas manqué de mobiliser ses électeurs jusqu’aux frontières de la Turquie pour obtenir le soutien de ses fidèles vivant à l’étranger. Amiraux, V. (1999). Les limites du transnational comme espace de mobilisation. Cultures & Conflits.

[45] De même, il faut se rappeler que depuis les années 1990, les citoyens vivant à l’étranger demandent aux autorités politiques turques de mettre en pratique la possibilité de voter dans les consultas pour les émigrés. Okyay, A., & Baser, B. (2015). How Does Expatriates’ Enfranchisement Reconfigure Transnational Politics? Analyzing the Recent External Voting Experience of Turkey and Its Diaspora (s). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3836659 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3836659.

[46] Selon les rapports officiels du Ministère des Affaires Étrangères, les dix premiers pays d’accueil des citoyens turcs vivant à l’étranger sont répartis comme suit : 5 millions de citoyens turcs vivent à l’étranger dont 2 millions vivant en Allemagne, suivis par 700.000 en France, 500.000 au Pays Bas, 400.000 au Royaume Uni, 300.000 aux États-Unis, 250.000 en Autriche, 240.000 en Belgique, 150.000 en Australie, 130.000 en Suisse, 75.000 au Danemark et 70.00 au Canada. L’Agence de Presse et de Déclaration Officielle (Basın İlan Kurumu) https://www.bik.gov.tr/hangi-ulkede-kac-turk-vatandasi-yasiyor/. Consulté le 21.10.2020.

[47] Bauböck, R. (2006) ‘Interaktive Staatsbürgerschaft’, in Baringhorst, S., Hunger, U. and Hollifield, J. (eds) Herausforderung Migration: Perspektiven der vergleichenden Politikwissenschaft. Festschrift fur Dietrich Thra ̈nhardt. Berlin: Lit Verlag, 12966. Cité dans, Bauböck, R. (2010). Studying citizenship constellations. Journal of ethnic and migration studies, 36(5), p. 850.

[48] Kadirbeyoglu, Z. (2007). National transnationalism: Dual citizenship in Turkey. Dual citizenship in Europe: From nationhood to societal integration, 127-146.

[49] Le rapport de la Fondation Robert Schuman sur les élections législatives de 2011 : https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/oee/oee-1150c-fr.pdf Consulté le 12.03.2023.

[50]               Journal Officiel de 22 Mars 2008, consulté le 17.03.2020: https://www.resmigazete.gov.tr/eskiler/2008/03/20080322M1-3.htm Seçimlerin Temel Hükümleri ve Seçmen Kütükleri  Hakkinda Kanun da Degisiklik  Yapilmasina Dair Kanun, no: 5749.

[51] Journal Officiel de 18 Mai 2012, consulté le 17.03.2020: https://www.resmigazete.gov.tr/eskiler/2012/05/20120518-3..htm Seçimlerin Temel Hükümleri ve Seçmen Kütükleri  Hakkinda Kanun ile Bazi Kanunlarda Degisiklik  Yapilmasina Dair Kanun, no: 6304.

[52] Lafleur, J. M. (2013). Le vote à distance des migrants mexicains : quel impact pour la diaspora dans le champ politique du pays d’origine ? Politique américaine, (1), 143-164.

[53] On peut noter aussi qu’en 2017, lorsque les crises diplomatiques ont éclaté entre plusieurs pays européens et la Turquie, concernant la propagande et les rassemblements partisans à l’étranger, le député du CHP, Sezgin Tanrikulu, a présenté une question parlementaire au gouvernement afin de clarifier cette situation, sans réponse.

[54]  En effet, en étudiant les cas de la Tunisie, du Maroc, du Liban et de la Jordanie, Laurie Brand a noté que les États ont le désir de maintenir la souveraineté et la loyauté des émigrés, et développent un discours contre leur assimilation. Brand, L. A. (2006). Citizens abroad: Emigration and the state in the Middle East and North Africa (Vol. 23). Cambridge University Press.

[55] Der Spiegel écrivait ainsi : « Depuis le fameux discours prononcé par J.F. Kennedy du balcon de la Rathaus Schönenberg en 1961, aucun homme politique n’avait réussi à mobiliser un si grand nombre de gens outre Rhin, même pas Helmut Kohl au moment de la chute du mur. Lors des dernières campagnes électorales parlementaires, Gerhard Schröder et Angela Merkel se considéraient comme chanceux si quelques milliers de personnes venaient écouter leurs discours ». “Erdoğan ‘s One-Man Show, Der Spiegel”. https://www.spiegel.de/international/germany/cologne-s-turkish-spectacle-Erdoğan -s-one-man-show-a-534519.html. Publié le 11.02.2008, Consulté le 20.03.2023.

[56] L’UETD a bénéficié d’environ 10 millions euros de financement entre 2012 et 2013 ; ceci lui a permis d’organiser des meetings spectaculaires. Deutsche Welle, « The lobby behind Turkey’s Prime Minister », https://www.dw.com/en/the-lobby-behind-turkeys-prime-minister/a-17652516, publié le 21.05.2014, consulté le 20.03.2023.

[57] Le 31 juillet 2016, quinze jours après le coup d’État raté en Turquie, lorsque le président de la République, Recep Tayyip Erdoğan, a voulu participer, via téléconférence, aux manifestations turques organisées par les réseaux de l’UETD, dans la ville de Cologne, la Cour constitutionnelle allemande n’a pas autorisé cette rencontre. Selon la presse allemande, environ 30.000 manifestants ont participé à cette manifestation, tandis que le même jour, plusieurs contre-manifestations ont eu lieu à Cologne, notamment pour critiquer les vagues d’arrestations des journalistes en Turquie. Ces rassemblements « statiques » dits de « veilles de la démocratie » (demokrasi nöbetleri) ont été organisés à la suite de l’appel du président de la République, de sympathisants de l’AKP, mais aussi des partis nationalistes dès le 15 juillet 2016, le jour de la tentative de coup d’État.

[58] Lors de ce meeting, Yildirim a accusé l’Allemagne d’avoir accueilli les puchistes du coup d’État raté de 2016, et le public a clamé un slogan pour le rétablissement de la peine de mort en Turquie. « Le meeting de référendum de Yıldırım en Allemagne » https://www.dw.com/tr/yıldırımdan-almanyada-referandum-mitingi/a-37614650 Consulté le 01.04.2023.

[59] Le rebondissement de cette crise diplomatique a eu lieu aux Pays-Bas, lorsqu’une ministre du gouvernement de l’AKP s’est rendue à Rotterdam, sans demander la permission aux autorités hollandaises, pour la campagne du parti aux Pays-Bas, prévu le 11 mars 2017.

[60] « Erdoğan Bosna Hersek’te: Avrupa’nın bize karşı tavrının sebebi oradaki Türklerin dağınıklığıdır » : https://www.bbc.com/turkce/haberler-turkiye-44189205 Consulté le 20.03.2023.

[61] Mariot, N. (1999). Conquérir unanimement les cœurs: usages politiques et scientifiques des rites: le cas du voyage présidentiel en province 1888-1998 (Thèse de doctorat, Paris, EHESS).

[62] Ariel Colonomos définit les réseaux transnationaux comme « la multiplicité quantitative et qualitative de liens, déterminant la capacité des groupes et des individus à contextualiser leur action sociale, tout en s’insérant dans des espaces politiques élargis qui transcendent les barrières statonationales » Colonomos, A. (1995). Sociologie des réseaux transnationaux: communautés, entreprises et individus: lien social et système international. Editions L’Harmattan, p. 22.

[63] Uysal, A., & Topak, O. (2013). Les partisans : Les partis politiques et la construction des réseaux sociaux en Turquie. (Particiler: Türkiye’de partiler ve sosyal ağların inşası) (Vol. 2). İletişim.

[64] En ce qui concerne l’organisation partisane du HDP en Europe, il faut souligner que depuis 2021, le HDP fait face à un procès de dissolution, en raison de ses activités politiques ne respectant pas le caractère unitaire de l’État – procès qui dure toujours. De ce fait, afin de ne pas être éliminé, le parti participe aux élections sous le toit du Parti de la Gauche Verte (Yesil Sol Parti), créé en 2012. Cette situation engendre un problème d’organisation partisane du HDP, qu’elle soit en Turquie ou dans l’espace migratoire. Ainsi le parti prépare une campagne en coordination avec des associations des migrants dans l’espace migratoire. Entretien avec Yusuf Sahin, (responsable du HDP) à Paris, réalisé le 7.04.2023.

[65] Selon Schiffauer, à partir des années 1980, l’organisation de Milli Görüş en Europe a été reconstruite, ce qui a conduit le mouvement à une hiérarchisation depuis la Turquie, où se situe le centre de cette hiérarchie, et Cologne qui est considérée comme son siège central en Europe. Dans ce contexte, les mosquées locales implantées en Europe transfèrent leurs droits de propriété à Milli Görüş. Schiffauer, Werner. “The Milli Görüş Community in Germany (Islamiche Gemeinschaft Milli Görüş  : IGMG), in Peter, F., & Ortega, R. (Eds.). (2014). Islamic Movements of Europe (Vol. 21). IB Tauris, pp. 125-130.

[66] Bien qu’il n’existe pas une organisation partisane du Parti du mouvement nationaliste, le chef du MHP, Devlet Bahceli a tenu à un meeting en Allemagne, à Oberhausen le 26 avril 2015, lors des campagnes des élections législatives du 7 juin 2015 et ce grâce aux réseaux partisans transnationaux de la Fédération turque de l’Allemagne.

[67] Dumont, A. (2007). La marocanité associative en France. Militantisme et territorialité d’une appartenance exprimée à distance (Doctoral dissertation, Université de Poitiers). Cité dans Zederman, M. (2019). « Faire parti » à distance. Partis politiques tunisiens pro-et anti-régime Ben Ali en France. Revue internationale de politique comparée26(2), 33-56.

[68] Zederman, M. (2019). « Faire parti » à distance. Partis politiques tunisiens pro-et anti-régime Ben Ali en France. Revue internationale de politique comparée26(2), 33-56.

[69] Depuis la création de l’alliance républicaine (Cumhur Ittifaki) en 2018, la collusion interpartisane entre l’AKP et le Parti du mouvement nationaliste, le MHP, prend la forme d’un « cartel », dans lequel les partis s’entendent pour se partager les ressources étatiques et en conserver le contrôle politique, tout en s’efforçant de maintenir à l’écart les formations partisanes concurrentes par différents moyens : le maintien ou la modification du seuil électoral, les règles d’accès au financement public, le choix des modes de scrutin en faveur des partis dominants, la monopolisation des processus électoraux et des médias conventionnels. Richard S. Katz et Peter Mair, « Changing Models of Party Organization and Party Democracy : the Emergence of the Cartel Party », Party Politics, 1 (1), 1995, p. 5-28.

[70] ». Offerlé, M. (2007). Capacités politiques et politisations : faire voter et voter, XIXe-XXe siècles (2). Genèses, 68, 145-160. https://doi.org/10.3917/gen.068.0145.

[71] Gaxie, D. (2008). Les profanes en politique : réflexions sur les usages d’une analogie. Thomas Fromentin et Stéphanie Wojcik (sous la dir. de), Le profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan, 289-302.

[72] En France, les citoyens français vivant à l’étranger, bénéficient depuis 1948 d’une représentation au Sénat, qui s’élève depuis 1983 à 12 sièges. Cependant, il est important de souligner que ces 12 sénateurs ne sont pas choisis directement par les Français de l’étranger, mais par un collège composé de 150 membres élus sur les 183 que compte le Conseil Supérieur des Français de l’Étranger (CSFE, également créé en 1948), qui représente auprès du gouvernement français les quelques 2 millions de Français résidant à l’étranger. Les 150 membres de ce conseil sont élus directement par les électeurs de l’étranger. Voir : https://www.senat.fr/expatries/documentation/representation_des_francais_etablis_hors_de_france.html Consulté le 05.04.2023.

[73] Dans son article, Nora Seni discute du caractère conscient de ces crises diplomatiques, qui sont transformées par l’AKP en une opportunité politique dans les politiques domestiques. Seni, N. (2019). Turquie-Allemagne: partenariat tumultueux, liens indissolubles. Herodote, (4), p. 78.

[74] Selon le modèle turc, qui n’est pas identique au modèle français, chaque parti politique recrute bénévolement des militants en tant qu’observateurs du parti (parti müşahiti), afin de surveiller et de comptabiliser les résultats dans chaque scrutin. De son côté, l’État recrute à travers le Haut Conseil Électoral, deux personnels provisoires qui seront responsables dans la commission de scrutin, composée d’un président sélectionné en dehors des partis politiques (Sandık Kurulu Başkanı), d’un fonctionnaire (Sandık Kurulu Memur Üyesi) et des membres venant des partis politiques.

[75] Aux élections présidentielles et législatives du 24 juin 2018, parmi 3.044.837 inscrits, 1.506.543 électeurs ont voté, et la participation électorale à l’étranger s’est élevée à 50% : le candidat de l’alliance populaire (AKP et MHP), Tayyip Erdoğan a obtenu 807.974 voix ; le candidat du CHP, Muharrem İnce a obtenu 328.934 votes ; le candidat du HDP, emprisonné depuis 4 novembre 2016, Selahattin Demirtaş a obtenu 157.111 voix provenant de l’étranger. Parallèlement, selon les résultats des élections législatives du 24 juin 2018, l’AKP a obtenu 778.961 votes provenant de l’étranger ; le CHP a obtenu 267.293 votes ; le HDP a obtenu 260.680 voix provenant de l’étranger ; et le MHP a obtenu 120.603 votes ; le Bon Parti, qui a participé pour la première fois aux élections présidentielles et législatives, a obtenu 60.969 voix provenant de l’étranger. Voir le rapport et les résultats officiels du Haut Conseil Électoral, YSK :

https://www.ysk.gov.tr/doc/dosyalar/docs/24Haziran2018/KesinSecimSonuclari/2018MV-96B.pdf consulté le 20. 03.2023.

More articles

Latest article