Pinar Selek : « Ils n’ont pas réussi à me condamner » Valérie Marin La Meslée / LE POINT

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Réfugiée en France depuis 15 ans, la sociologue a vu son procès en Turquie renvoyé au 29 septembre. La justice turque a réclamé son extradition. Par Valérie Marin La Meslée avec l’AFP dans Le Point du 31 mars 2023.

Je peux dire qu’ils voulaient clore ce dossier, avant les élections, et qu’ils n’ont pas réussi ! » Pinar Selek, quelques minutes après l’issue de son procès par contumace, qui se tenait aujourd’hui, était en visio avec la délégation des avocats et des amis qui l’ont soutenue lors de son procès à Istanbul. Sur place, comme le raconte Martin Pradel, un des principaux avocats de la sociologue, tous ont été encerclés par la police portant matraques et boucliers pour les empêcher de s’exprimer devant la presse au sortir du tribunal.

« L’acharnement continue, déclare Pinar Selek. Le caractère politique de ce procès est encore plus apparent. Mais je constate notre force dans la lutte juridique : mes avocats ont vraiment montré les vices de forme très concrets dans ce dossier, et après toute la solidarité nationale et internationale dont j’ai fait l’objet, ils n’ont pas pris de décision aujourd’hui. Ils n’ont pas réussi à me condamner. Le report est demandé au motif qu’ils veulent m’entendre, après mon extradition qu’ils demandent à la France et à Interpol. L’urgence, c’est maintenant que la France se prononce, et les organisations de droits humains doivent prendre une position très ferme sans attendre que les choses s’aggravent. C’est maintenant sur les épaules des autorités de la France et de l’Europe que tout repose. »

Un de ses principaux avocats, Martin Pradel, a précisé au cours de la même visioconférence : « Nous avons craint que la cour d’Istanbul considère que la peine qui devait être confirmée soit automatique. La cour n’a pas pu aujourd’hui te condamner. Tu as été acquittée à 4 reprises. Aujourd’hui, on doit en rester là. Ta liberté ne peut pas donner lieu à cette revanche attendue par les autorités turques. »

L’audience de son nouveau procès s’est bien tenue donc ce 31 mars à Istanbul, mais Pinar Selek ne s’y est pas rendue. Outre cette délégation européenne, des amis et un comité de soutiens turcs, étaient sur place son père, avocat de 93 ans, qui a connu la prison après le coup d’État de 1980, et sa sœur, devenue avocate pour la défendre. Un travail quasi à temps plein, comme nous le confiait la sociologue et écrivaine dont le parcours confine à la torture. Une torture qui n’est pas près de se terminer, puisque son procès a été renvoyé au 29 septembre prochain.

Il s’agit aujourd’hui de renforcer la protection autour de la sociologue turque, les demandes sont en cours, car, comme elle l’a dit au final de cet échange entre elle en France et ses amis de Turquie : « Ils me veulent ! »

Réfugiée politique en France depuis 2011, devenue française en 2017, elle est dans le radar du gouvernement turc depuis 25 ans. Bien qu’acquittée à quatre reprises, elle se retrouve de nouveau sur la sellette puisque le parquet n’a de cesse de faire appel. Et à chaque fois, la Cour de cassation annule l’acquittement. Pire, en juin 2022, la Cour suprême annule la totalité des acquittements : un mandat d’arrêt international est lancé, assorti d’un mandat d’emprisonnement immédiat…

Accusée d’avoir commis un attentat

Il y a dix ans, face à sa condamnation à perpétuité par un tribunal d’Istanbul pour terrorisme, elle a demandé l’asile politique en France où elle enseigne à l’université de Nice depuis 2016. « Une partie de l’État veut me condamner à perpétuité au motif d’avoir tué des gens, mais plus personne ne croit à cet attentat, qui était en fait une explosion sur un marché aux épices d’Istanbul », précisait Pinar Selek. Le contexte était alors particulièrement tendu entre le régime et le parti kurde, le PKK.

Tout commence en 1998, avant l’arrivée d’Erdogan : en 1998, elle a 27 ans. Ses recherches sur les minorités l’amènent à interroger des Kurdes et elle se retrouve alors dans le viseur des autorités, qui veulent des noms. Elle est emprisonnée. Torturée. Entre 2006 et 2014, elle sera quatre fois acquittée.

Que signifie ce nouveau procès demandé par de nouveaux juges à la veille des élections présidentielles en Turquie ? « La plupart des personnes en Turquie, qui réfléchissent, ont tout de suite compris que le travail avant les élections avait commencé. Je crois que l’on peut s’attendre à d’autres événements de la sorte jusqu’aux élections, peut-être d’autres attentats ou d’autres accusations, d’autres criminalisations. C’est une stratégie du chaos et de la terreur », confiait-elle le 17 janvier à nos confrères de RFI. Les élections auront lieu à la mi-mai.

N’oublions pas que Pinar Selek est aussi écrivaine et notamment l’autrice de La Maison du Bosphore (Liana Levi, 2013), d’un livre sur le génocide arménien qui a n’a fait qu’empirer sa situation, Parce qu’ils sont arméniens (Liana Levi, 2015). L’an dernier elle publiait aux éditions des femmes Azucena ou Les fourmis zinzines où elle montre Nice à travers le regard des étrangers de sa ville d’adoption.

Par Valérie Marin La Meslée avec l’AFP dans Le Point du 31 mars 2023.

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