Turquie-Arménie : une fragile normalisation – Thibaut Courcelle / AREION24

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Après la fin du conflit au Haut-Karabagh, en novembre 2020, entérinant une défaite de l’Arménie face à l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie, les relations entre Erevan et Ankara semblent se détendre avec la reprise des vols commerciaux début février 2022 et des discussions sur l’ouverture de leur frontière commune. En décembre 2021, les deux pays avaient nommé des représentants chargés de la normalisation. Peut-elle aboutir ? Par Thibaut Courcelle sur areion24.news du 1er avril 2023.

Plus d’une décennie après les accords de Zurich, signés le 10 octobre 2009 par les ministres des Affaires étrangères de Turquie et d’Arménie, sous l’égide des Américains, des Russes et des Européens, prévoyant une normalisation des relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays et l’ouverture des 268 kilomètres de frontière commune, la situation n’a pas évolué et s’est même détériorée. Ces accords étaient pourtant qualifiés d’« historiques » par l’ONU et les observateurs internationaux après presque un siècle d’hostilités. Pour y parvenir, Erevan et Ankara avaient consenti à ne pas y adjoindre de condition préalable sur la résolution du conflit du Haut-Karabagh souhaitée par la Turquie et à la reconnaissance du génocide de 1915 demandée par l’Arménie.

Le rapprochement s’est alors heurté au rejet des populations turques et arméniennes, peu disposées à faire des concessions sur ces deux sujets sensibles, et à la non-ratification des accords par le Parlement arménien. D’un côté, la Turquie récuse le terme de génocide et ne reconnaît que 300 000 à 500 000 victimes, contre 1,5 million selon Erevan ; de l’autre, l’Arménie refuse de restituer le Haut-Karabagh peuplé d’Arméniens à l’Azerbaïdjan, dont elle a pris le contrôle au terme d’une guerre de six ans (1988-1994), avec pour conséquence une fermeture de la frontière par la Turquie. La guerre de l’automne 2020 a rebattu les cartes. Bénéficiant du soutien de drones turcs et de forces syriennes dépêchées par la Turquie, l’armée azerbaïdjanaise a pu reconquérir une bonne partie des territoires perdus. Affaiblie politiquement et économiquement, l’Arménie a accepté de reprendre les négociations pour se désenclaver.

Pour le gouvernement turc, la réouverture de la frontière permettrait une liaison directe, routière et ferroviaire, connectant la Turquie à l’Asie centrale turcophone et à l’Iran en traversant l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, puis la région arménienne du Zanguezour. Pour l’exécutif arménien, l’intérêt est d’avoir un accès au marché turc et à l’Union européenne (UE) en n’étant plus contraint d’utiliser les routes sinueuses des montagnes géorgiennes et iraniennes. Les deux pays ont donc procédé à de premiers gestes de bonne volonté, la Turquie autorisant en février 2022 une compagnie arménienne à ouvrir une ligne aérienne entre Istanbul et Erevan. De son côté, l’Arménie a levé l’embargo sur l’importation de marchandises turques, en vigueur en 2021. En 2019, avant la Covid-19 et la guerre, le principal partenaire de l’Arménie était la Russie, une dépendance dangereuse à l’heure des sanctions contre Moscou pour le conflit en Ukraine.

Le processus de normalisation engagé devrait faire progresser l’insertion de l’Arménie dans les échanges internationaux. Mais la réconciliation n’est pas pour demain, car les antagonismes restent ancrés. Si les perspectives semblent prometteuses, il ne faut cependant pas pécher par excès d’optimisme, tant les tentatives précédentes ont été vaines. 

Thibaut Courcelle Maître de conférences en géographie à l’Institut national universitaire Champollion (Albi), analyste pour Carto.

Par Thibaut Courcelle sur areion24.news du 1er avril 2023.

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