À Diyarbakir, en Turquie, une ancienne prison en voie de reconversion ? – FRANCE CULTURE

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Par France Culture du 20 mars 2023. Marie-Pierre Vérot, correspondante de France Culture en Turquie, nous ouvre les portes de la prison militaire numéro 5, l’un des dix pires lieux de détention au monde selon le Times.

Au micro d’Arnaud Laporte, Marie-Pierre Vérot, correspondante de France Culture en Turquie, nous ouvre les portes de la prison militaire numéro 5, l’un des dix pires lieux de détention au monde selon le Times.

La construction de la prison de Diyarbakir s’est achevée juste avant le coup d’Etat de 1980. Il faut imaginer en pleine ville un vaste quadrilatère cerné de hauts murs aujourd’hui décrépis, surmontés de sacs de sable et de barbelés, un sinistre portail métallique, un mirador… L’armée y a enfermé et cruellement torturé plusieurs milliers d’opposants, cruellement, particulièrement durant les années 80.

Le lieu a été définitivement fermé en octobre dernier. La question est maintenant posée de savoir ce que doit devenir cette prison militaire. Les anciens détenus estiment qu’il est urgent, nécessaire, de garder une trace des actions commises, pour que jamais ne tombent dans l’oubli les sévices commis par l’armée. Les coups, les viols, les tortures à la cigarette, les simulacres d’exécution, les privations d’eau et de nourriture, les meurtres et les suicides, tout cela hante les anciens détenus qui redoutent l’oubli :

Je vais vous donner un petit exemple. Ils m’ont ramené, attaché par les pieds. Il y avait un trou avec de la merde humaine, ils m’ont plongé plusieurs fois la tête dedans. Si cela devient un musée, je ferai une statue qui représente cela. Nuri Sınır, ancien prisonnier, a la tête d’un collectif d’anciens détenus qui réfléchit à l’avenir du bâtiment

La plus grande crainte des membres de ce collectif est que le gouvernement turc ne prenne la main sur l’avenir du bâtiment, qui fonctionnait aussi comme un centre d’endoctrinement pour la population kurde, de « turquification », explique Nuri Sınır :

Tous les jours, ils apprenaient aux prisonniers 60 à 70 hymnes nationalistes, disant que tout le monde est turc. Il fallait les apprendre par cœur. Il s’agissait d’introduire dans le cerveau la supériorité des Turcs. Il y avait tous les discours de Mustafa Kemal Atatürk, il y avait l’hymne national, il y avait les discours pour la jeunesse. Et ça recommençait tous les jours, 24h sur 24 ils nous faisaient répéter tout cela. Les autres langues étaient interdites et il était écrit sur le mur du parloir « Parlez le Turc, vous parlerez plus longtemps ». Parler dans les autres langues était interdit.

Cette tentative d’effacer la langue, la culture kurde, l’identité kurde, reste très douloureuse. La méfiance est forte vis-à-vis des autorités turques. Les anciens détenus appellent de leurs vœux l’érection d’un musée de la honte, un musée pour l’humanité, disent-ils, un musée des droits de l’homme pour dénoncer les crimes commis contre l’humanité. Car au-delà de la culture kurde, des militants allemands et des Arméniens, poursuivent-ils, c’est l’humanité que l’on voulait tuer entre ces murs.

Par France Culture du 20 mars 2023.

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