Cannes 2023 : Nuri Bilge Ceylan se perd dans « Les Herbes sèches » Clarisse Fabre – LE MONDE

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« Dans un village reculé d’Anatolie, un enseignant manipulateur inspire le malaise. Un film long et bavard par le réalisateur de « Winter Sleep », Palme d’or en 2014. » Clarisse Fabre publie dans le Monde du 19 mai une critique du film « Les Herbes Sèches »* de Nuri Bilge Ceylan présenté au Festival de Cannes 2023

Habitué de Cannes, où il obtint la Palme d’or en 2014 avec Winter Sleep, le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, né en 1959, revient pour la sixième fois en compétition avec Les Herbes sèches. Ce neuvième long-métrage, qui suit le quotidien d’un enseignant passablement antipathique – comme souvent dans les films du réalisateur –, déroute par son côté bavard et son discours prétentieux sur l’utopie, l’engagement politique, le bien, le mal, et on en passe.

Dans un village reculé d’Anatolie, Samet (Deniz Celiloglu) enseigne le dessin dans une petite école et désespère d’obtenir sa mutation pour rejoindre Istanbul. Il cohabite avec son collègue Kenan (Musab Ekici), éternel célibataire qui aimerait trouver l’amour. Les distractions sont rares, dans cette région déserte aux mœurs rigoristes qui ne connaît que deux saisons, avec un passage brutal de l’hiver à l’été (d’où le titre).

La beauté des plans naturalistes est indéniable, et le cinéaste n’a plus à prouver qu’il sait capter l’essence sauvage de la nature ou les visages des habitants – Samet aime les photographier dans leur environnement. En classe, le professeur essaie aussi d’apporter un peu de chaleur humaine, avec des méthodes qui paraissent toutefois peu orthodoxes : on le voit ainsi offrir un miroir de poche, trouvé par hasard, à une jeune fille de sa classe, Sevim (Ece Bagci), qui, en retour, lui fait de grands sourires.

Confusion dans le scénario

Plastiquement, Les Herbes sèches pourrait être un document contemplatif, anthropologique. Mais, assez vite, le film prend le tournant du drame : deux événements viennent percuter le quotidien morne de Samet, entraînant une certaine confusion dans le scénario, au lieu de lui donner du sens. Le premier a lieu à l’école, lorsque la directrice fait irruption dans la classe pour fouiller les cartables. Une lettre d’amour écrite par Sevim est confisquée. Samet et Kenan font également l’objet d’un signalement pour avoir eu des gestes déplacés envers des élèves. Samet devient très nerveux, sans doute parce qu’il s’est permis de toucher les cheveux de Sevim alors que la jeune fille pleurait de honte, après la découverte du courrier secret.

Lire aussi la critique : Cannes 2018 : avec « Le Poirier sauvage », Nuri Bilge Ceylan creuse son sillon en Anatolie

Samet commence à inspirer le malaise, ce qui se confirme lorsqu’il joue les entremetteurs et présente à Kenan une nouvelle enseignante, Nuray (Merve Dizdar, une belle découverte, qui vaut au film ses meilleurs moments), avant de courtiser celle-ci dans le dos de son ami. L’occasion d’une scène de séduction, comme on en a vu déjà mille, entre la jeune femme, ancienne activiste, et Samet, désabusé et revenu de tout. Durant ces trois heures bavardes, qui paraissent bien longues, Nuri Bilge Ceylan semble scruter toutes les nuances de noirceur de son personnage manipulateur, avant un final grandiloquent qui laisse pantois.

Clarisse Fabre

*Film turc, français, allemand de Nuri Bilge Ceylan. Avec Deniz Celiloǧlu, Merve Dizdar, Musab Ekici, Ece Baǧci (3 h 17). Sortie en salle le 12 juillet.

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