Dans la tête de William Malet, le tueur de la rue d’Enghien – Christophe Ayad / LE MONDE

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L’expertise psychiatrique de celui qui a tué trois membres du centre culturel kurde, à Paris, en décembre 2022, esquisse le portrait d’un homme en proie à un racisme pathologique envers les musulmans, capable néanmoins de développer des griefs ciblant spécifiquement le PKK. Par Christophe Ayad dans Le Monde du 4 avril 2023.

William Malet, raciste pathologique et tueur solitaire déséquilibré ou assassin déterminé brouillant les pistes au service d’une cause dissimulée ? La justice et la communauté kurde continuent à s’opposer frontalement quant à l’appréciation qu’elles portent sur l’assassin de trois membres du centre culturel kurde de la rue d’Enghien, dans le 10e arrondissement de Paris, le 23 décembre 2022. William Malet, 70 ans, a multiplié les déclarations contradictoires depuis son interpellation sur le lieu de son attaque, nourrissant toutes les interprétations.Tantôt volubile, tantôt mutique, il esquisse des pistes et des explications qu’il annihile en déclarant penser, finalement, être « fou ».

Selon l’expertise psychiatrique de William Malet, révélée par Le Parisien et que Le Monde a pu consulter, réalisée par les docteurs Jean et Zagury le 4 janvier 2023 à la prison de la Santé, où il est placé à l’isolement, le mis en cause ne présente pas de maladie mentale, mais « il révèle des troubles de la personnalité dans un registre de paranoïa de caractère et de schizoïdie ». Il « n’était pas atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », mais l’on peut considérer son discernement « comme ayant été altéré ». Deux précédentes évaluations psychiatriques, en 2022 et en 2016, n’avaient relevé aucun trouble psychiatrique nécessitant un suivi.

Il est d’autant plus compliqué de cerner William Malet qu’il apparaît dans trois dossiers qui s’enchevêtrent. En 2016, victime de l’intrusion de trois sans-domicile fixe (SDF) qu’il prend pour des cambrioleurs dans sa petite maison délabrée de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), il les blesse grièvement à l’aide d’une dague à gibier. Jugé en première instance, il avait été condamné à douze mois de prison – tout comme les trois SDF d’origine maghrébine ayant pénétré dans son domicile. Le véritable arsenal d’armes à feu découvert au sous-sol de son domicile est confisqué. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Kurdes tués à Paris : le mobile raciste derrière l’attaque meurtière de la rue d’Enghien

Estimant être une victime en état de légitime défense, il dit concevoir à partir de là une « haine pathologique des étrangers ». En décembre 2021, il attaque un campement de migrants au parc de Bercy, dans le 12e arrondissement de Paris, en blesse deux dont un gravement. Assommé par les autres, il est placé en détention provisoire en attendant son jugement. Libéré le 12 décembre 2022, il attaque onze jours plus tard le centre culturel kurde de la rue d’Enghien.

Dépressif et solitaire

Durant sa garde à vue, il disait, selon le compte rendu parcellaire qu’en faisait le parquet de Paris, avoir agi seul. Il expliquait s’être rendu à Saint-Denis pour tuer des étrangers, puis avoir renoncé avant d’opter pour le centre culturel kurde, proche du domicile de ses parents, où il logeait depuis sa sortie de détention. Il affirmait avoir tué ses victimes au hasard et avoir eu pour projet de tuer le plus possible d’étrangers avant de se suicider. Il se disait dépressif et insomniaque depuis sa sortie de prison.

Face aux psychiatres, William Malet, conducteur de trains à la retraite, se présente comme un être profondément dépressif et solitaire. Il n’a jamais vécu en couple ni eu de relation amoureuse ou sexuelle. On a retrouvé chez lui quelque 200 dessins étranges et macabres représentant des hommes ou des femmes nus en silhouette de profil et blessés par des multiples coups de feu ou coups de couteau et présentant systématiquement un anus en sang. Une expertise complémentaire a été demandée sur ces dessins.

Bon élève jusqu’au lycée, il « dégringole » à partir de la 2de et en conçoit une amertume certaine. Il entre à la SNCF en 1975. William Mallet n’a pas d’ami. Il se présente comme « timide ». Pourtant, pour un homme mal dans sa peau et complexé par son surpoids (85 kg pour 1,72 m) et la taille de son sexe, Malet a fait plus que compenser son problème de virilité : ancien du 3e régiment de parachutistes, où il officiait comme tireur d’élite pendant son service militaire, il a pratiqué le karaté pendant trente ans, s’arrêtant juste avant la ceinture noire, et le tir sportif assidûment dans deux clubs, l’un à Paris, l’autre à Versailles. Il a aussi appris à piloter de petits avions de tourisme.

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C’est à l’armée, dit-il, qu’il aurait adopté des idées d’extrême droite. Il a été sympathisant du Front national, « même lorsqu’il faisait 1 % des voix ». Lors de son procès en appel, en mars 2023, pour son agression des trois SDF à son domicile, il a expliqué se méfier des Arabes et des musulmans depuis bien avant les attentats de 2015. Il faisait remonter sa haine antimusulmane à la guerre d’Algérie. Il explique aussi avoir appris l’hébreu par admiration d’Israël, qui ne se laisserait « pas marcher sur les pieds par les musulmans ». Il connaît aussi le russe et confesse une admiration pour Vladimir Poutine, « tant qu’il bousillait Daech » et « jusqu’à ce qu’il attaque l’Ukraine ».

Argumentaire très politique

Comme nombre d’activistes d’ultradroite, sa principale passion est le tir sportif, qu’il pratique depuis l’âge de 16 ans. Il parle de ses armes comme de sa seule « famille », ses seuls compagnons. Dans son pavillon délabré de Livry-Gargan, la seule pièce impeccable était celle, en sous-sol, réservée aux armes. Leur confiscation aurait plongé William Malet dans la dépression et le désir de se venger. L’arme utilisée dans la tuerie de la rue d’Enghien est un pistolet Colt 45 non enregistré acheté en 2018 à un ami, décédé depuis, de son club de tir. Impossible donc de retracer son parcours.

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Alors que le compte rendu succinct de la garde à vue de M. Malet faisait état d’une haine des étrangers pas spécifiquement concentrée contre les Kurdes, face aux psychiatres, il se montre nettement plus explicite. Il reproche aux Kurdes d’avoir participé au génocide arménien. Il reproche au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de mener des actions terroristes en Turquie et dit préférer les Turcs aux Kurdes : « Les Kurdes, c’est des indépendantistes qui font du terrorisme. » Enfin, il reproche aux Kurdes de ne pas avoir achevé les prisonniers de l’organisation Etat islamique : « Soi-disant les Kurdes se battent contre Daech. Ils ont fait des milliers de prisonniers, mais, au lieu de les tuer, ils les renvoient petit à petit et on les récupère. » Un argumentaire très politique, qui ne cadre pas avec sa haine pathologique des étrangers et en particulier des musulmans, arabes ou africains, qu’il livre un peu plus tôt.

« Cet individu ciblait spécifiquement les Kurdes, il le dit lui-même. Ce n’est pas un raciste isolé », réagit Agit Polat, porte-parole du Centre démocratique kurde en France (CDKF), dont le siège se trouveau centre culturel kurde de la rue d’Enghien. « Plusieurs éléments démontrent sa volonté de s’en prendre au PKK [proche du CDKF], ajoute-t-il. A ce stade, on ne peut pas faire le lien entre l’attentat et la Turquie, mais nous remarquons que le tueur utilise les mêmes arguments que l’Etat turc et l’extrême droite turque. » Pour l’avocat du CDKF, Me David Andic, « il y a clairement un caractère terroriste et politique dans cet attentat, comme nous l’avions dit dès le premier jour ».

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William Malet répète à plusieurs reprises avoir voulu commettre un massacre qui l’aurait soulagé et rendu « célèbre » avant de se suicider : « Le monde aurait connu ma souffrance. C’était un message posthume. » Mais le jour des faits il emporte un anorak dans son sac pour pouvoir changer de vêtements – il porte sur lui un manteau orange facilement repérable – après son forfait. Plutôt que dénoncer des vérités, M. Malet semble jouer avec les hypothèses. Pourquoi s’être rendu d’abord à Saint-Denis ? « Il y a plein d’immigrés là-bas, des Arabes, des Noirs. » Pourquoi avoir renoncé ? La réponse est confuse : son sac, trop grand, n’était pas pratique pour attraper de nouveaux chargeurs et il aurait changé d’avis. Une certitude, il échappe sur place pendant plusieurs minutes aux caméras de surveillance. « A-t-il rencontré quelqu’un à Saint-Denis ? », se demandent les parties civiles.

« Pétage de plombs »

Face au juge d’instruction, Grégoire Lefebvre, qui instruit l’attaque du camp de migrants et la tuerie de la rue d’Enghien, William Malet exprime des « regrets » – de ne pas s’être suicidé – mais aucun « remord » concernant les personnes qu’il a tuées. Il se contente de remarquer qu’il n’en a pas beaucoup tué. Interrogé sur ses dessins, il évoque un « jeu de rôle » et le fantasme de « tuer des gens » en les empalant. Plus loin, il explique croire à l’existence de bases extraterrestres souterraines aux Etats-Unis.

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Spontanément, il qualifie son projet à Saint-Denis et la tuerie de la rue d’Enghien d’« attentat ». Le juge lui lit deux fois la définition du mot, insiste sur la dimension politique du geste avant que William Malet ne se rétracte et opte pour le mot « attaque ». Spontanément aussi, il traite le PKK de mouvement « terroriste » formé d’« ultranationalistes ». « Ils ont fait des tas de prisonniers [de l’Etat islamique] et ils les ont pas livrés à Bachar Al-Assad et on les récupère en France, ils ont fait venir les femmes et les enfants. Ça c’est du terrorisme qui va se prolonger dans les années qui viennent », ajoute-t-il. A part le centre kurde, il avait songé à attaquer la mosquée Omar de la rue Jean-Pierre-Timbaud, dans le 11e arrondissement. Il identifie clairement le centre de la rue d’Enghien comme « un repaire du PKK ». « Les Kurdes, ils m’énervent », ajoute-t-il plus tard.

A rebours de ses déclarations en garde à vue sur son « racisme pathologique », il met son acte sur le compte d’un « pétage de plombs » qu’il attribue à son manque de sommeil depuis sa sortie de détention. « C’est pas vraiment politique, c’est pathologique », ajoute-t-il. Il dit n’avoir aucun lien avec la Turquie, la Syrie, l’Irak ou l’Iran.

Plus troublant, du point de vue des parties civiles kurdes, William Malet a été détenu pendant une semaine avec un militant kurde du PKK lors de sa détention provisoire pour l’attaque d’un camp de migrants au sabre. Cette information, révélée par Le Point et dont Le Monde a eu confirmation, nourrit au sein de la communauté kurde le soupçon d’une vengeance, d’une manipulation ou d’une infiltration sur l’attaque du centre Ahmet-Kayade la rue d’Enghien. Devant le juge, il reproche seulement à son ancien codétenu de fumer dans sa cellule sans se préoccuper de lui. Interrogé sur le fait qu’il ait pu être manipulé par la Turquie, il répond aux psychiatres : « C’est plausible mais ce n’est pas vrai. » Il ajoute : « J’ai trouvé ça marrant parce que ça met un peu le bazar. » Une phrase qui résume bien l’état du dossier.

Le centre kurde de la rue d’Enghien attaqué par un mercenaire turc

Jeudi 2 mars à 10 h 15, un individu entredans le centre kurde Ahmet-Kaya de la rue d’Enghien, à Paris, que vient d’ouvrir une bénévole. Il s’en prend immédiatement aux portraits des trois victimes de l’attaque du 23 décembre placés dans l’entrée. Il les jette à terre et piétine les cadres. Puis il s’enfoncedans les locaux, casse des meubles, renverse un porte-documents et jette des rayonnages de livres à terre en criant des injures en turc et en arabe. La bénévole appelle à l’aide. La police, en faction devant le centre, intervient alors et arrête l’individu.

Emmené au commissariat du 10e arrondissement, l’homme est rapidement placé en hôpital psychiatrique dans le Val-de-Marne. La préfecture de police a promis de placer l’agresseur en garde à vue dès sa sortie de l’hôpital psychiatrique.

Des sources kurdes ont identifié l’assaillant comme Osman G., un Turc ayant travaillé pour la société militaire Sadat, l’équivalent turc de la milice privée Wagner en Russie. Une forme d’auxiliaire très proche des autorités. Osman G., identifié sur une vidéo YouTube, y confesse avoir combattu pour le président Erdogan lors de la tentative ratée de coup d’Etat de 2016. Il ajoute avoir servi à Chypre et en Syrie pour la compagnie Sadat.

Par Christophe Ayad dans Le Monde du 4 avril 2023.

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