En Turquie, le président Erdogan se fait champion de la cause palestinienne et attaque violemment Israël – Nicolas Bourcier / LE MONDE

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Lors d’un grand meeting à Istanbul, samedi, le chef de l’Etat turc a réaffirmé que le Hamas n’était pas « terroriste » et accusé les Israéliens : « Vous êtes les occupants, vous êtes les envahisseurs. » Israël a rappelé ses diplomates en poste dans le pays. 

Le 29 Octobre 2023, Nicolas Bourcier, Le Monde.

Devant plusieurs centaines milliers de personnes, rassemblées sur le tarmac de l’ancien aéroport d’Atatürk, à Istanbul, le président Recep Tayyip Erdogan a revêtu, samedi 28 octobre, son uniforme favori, celui du champion de la cause palestinienne et de la rue arabe. Foulard traditionnel à damier autour du cou, micro à la main et sans notes, le chef de l’Etat a pendant près d’une cinquantaine de minutes accusé sans relâche, à la veille du centenaire de la République turque, l’Occident d’être « le principal coupable des massacres à Gaza » et Israël de commettre « des crimes de guerre ».

Un ton et une posture qui ne sont pas sans faire écho à ceux qu’il avait adoptés en 2009, au Forum de Davos, où, après des semaines de négociations dans la région, il avait renversé la table avec son « coup de colère » contre Shimon Pérès, après le lancement par Tsahal de l’opération « Plomb durci » contre le Hamas.

Après avoir rappelé l’étendue de l’Empire ottoman et le fait que « Gaza était [alors] partie intégrante de la patrie », Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé que le Hamas n’« était pas une organisation terroriste »« Quand j’ai dit cela, Israël a été troublé, a ajouté le président turc. Je le savais, et je l’ai dit en toute connaissance de cause. »

Dans un style qui lui est propre, posant lui-même les questions et y répondant, le chef de l’Etat a tenu à interpeller vertement les capitales occidentales et les dirigeants israéliens : « Comment était la situation en 1947 [juste avant la création de l’Etat d’Israël en 1948] ? Comment êtes-vous arrivés là ? Vous êtes un envahisseur. L’Occident vous est redevable, mais la Turquie ne vous doit rien, c’est pourquoi nous vous parlons ainsi. Les pays occidentaux viennent vous rendre visite et vous demandent pardon. Nous, nous sommes du côté des opprimés. » Le président Erdogan d’ajouter : « A l’exception de quelques consciences qui ont élevé la voix, ces massacres [à Gaza] sont totalement l’œuvre de l’Occident. »

« La Turquie sera l’espoir des opprimés »

Le ton plus grave, il poursuit : « Vous avez pleuré les personnes civiles tuées en Ukraine, pourquoi ce silence face aux enfants tués à Gaza ? O Occident : veux-tu créer une nouvelle atmosphère de croisades à l’encontre du Croissant ? », emblème de la religion musulmane. « Chacun sait qu’Israël ne peut pas faire un pas sans eux », a-t-il enchaîné, en reprochant aux grandes puissances occidentales de n’avoir pas appelé à un cessez-le-feu.

Assurant que 1,5 million de personnes assistaient au meeting, il a enchaîné : « Israël, nous vous déclarerons devant le monde entier criminel de guerre, vous êtes les occupants, vous êtes les envahisseurs. » Et puis ceci : « Bien sûr, chaque pays a le droit de se défendre, mais où est la justice ? Ce qui se passe à Gaza n’est pas de l’autodéfense, mais un massacre. » Avant de conclure : « L’oppression d’Israël prendra sûrement fin un jour. La Turquie sera l’espoir des opprimés, tout comme elle l’a été pendant cinq cents ans et pendant la seconde guerre mondiale. »

Il est 17 heures, la foule commence à ranger drapeaux et pancartes. Hakan Kahraman, la quarantaine, est encore tout sourire. Il dit être un électeur d’Erdogan depuis ses débuts. « Je suis venu pour les Palestiniens de Gaza parce que je suis musulman et que personne ne peut massacrer ainsi des civils. » Lui-même se dit satisfait du changement plus radical opéré par le président. « Au début, après l’attaque du Hamas [du 7 octobre], il a cherché à être mesuré et à trouver une solution, ce qui est normal pour un chef d’Etat. Cela n’a pas marché et donc il tape du poing sur la table », se réjouit-il, assurant que les soldats turcs devraient se tenir prêts à intervenir « s’il le faut ».

« Graves déclarations »

Serpil Terzibas, 41 ans, opine du chef. Mère de deux filles, elle a repris ses études dans une faculté de théologie, l’année dernière, dans sa petite ville située au sud de la capitale. Electrice du Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan, elle milite pour le boycott des produits israéliens et soutient « entièrement le durcissement du discours du président »« Ce qui se passe là-bas ne concerne pas seulement le monde musulman, mais le monde tout entier », estime-t-elle avant de quitter en famille le tarmac de l’ancien aéroport.

A peine deux heures plus tard, on apprenait sur X (anciennement Twitter) que les propos du président Erdogan avaient conduit Israël à rappeler ses diplomates. « Etant donné les graves déclarations en provenance de Turquie, j’ai ordonné le rappel des représentants diplomatiques afin de réévaluer les relations entre Israël et la Turquie », a posté le ministre des affaires étrangères israélien, Eli Cohen, sur son compte. Israël avait déjà demandé le 19 octobre à ses diplomates en poste de quitter temporairement le pays par « mesure de sécurité ». Après des mois de tentatives de normalisation, Recep Tayyip Erdogan avait pour la première fois, fin septembre, rencontré son homologue israélien, Benyamin Nétanyahou, après plus de dix ans de tensions.

Mercredi, le chef de l’Etat turc avait déjà annoncé renoncer à tous ses projets de déplacement en Israël. Une visite et une prière à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem avaient, un temps, été évoquées, au moment des festivités du centenaire de la République turque.


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