La Turquie réduit ses exportations vers Israël – Nicolas Bourcier / LE MONDE

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Le président Erdogan, qui a encaissé une lourde défaite aux élections municipales, donne des gages à l’extrême droite religieuse, très mobilisée sur la question palestinienne.

Le Monde, le 10 avril, 2024, par Nicolas Bourcier

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, confronté à des manifestations et des critiques croissantes pour avoir maintenu des liens commerciaux avec Israël depuis son offensive sur Gaza, a imposé, mardi 9 avril, des restrictions sur l’exportation de dizaines de marchandises vers l’Etat hébreu. « Cette décision restera en vigueur jusqu’à ce qu’Israël déclare un cessez-le-feu immédiat et autorise l’accès continu de l’aide humanitaire », a écrit le ministère du commerce dans un communiqué.

Ces restrictions concernent 54 produits, dont de nombreux matériaux tels que l’acier, l’aluminium et le ciment, ainsi que des huiles moteur et du carburant d’aviation. Le ministère a tenu à préciser que « la vente des produits ou de services pouvant être utilisés à des fins militaires par Israël » n’était plus autorisée « depuis longtemps ».

Officiellement, cette annonce intervient après le blocage par Israël d’une demande turque de largage d’aide humanitaire sur Gaza. « Il n’y a aucune excuse pour qu’Israël bloque notre tentative de parachuter de l’aide aux Gazaouis affamés », avait déclaré le ministre des affaires étrangères Hakan Fidan, annonçant l’imminence d’« une série de nouvelles mesures contre Israël ».

« Etat palestinien libre »

« Nous continuerons de soutenir [les Palestiniens] jusqu’à ce que l’effusion de sang cesse et que nos frères obtiennent un Etat palestinien libre avec Jérusalem-Est pour capitale », a déclaré, mardi, le président turc dans un message à l’occasion de l’Aïd-el-Fitr, qui marque ce mercredi la fin du mois du ramadan.

Depuis le début de l’intervention dans la bande de Gaza, le chef de l’Etat est l’une des voix les plus critiques de la guerre menée par Israël. Il a ainsi revêtu son uniforme favori, celui du champion de la cause palestinienne et de la rue arabe. S’il a retenu ses coups dans les premiers jours qui ont suivi l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre, il n’a eu de cesse de condamner, par la suite, les actes « barbares » de l’Etat hébreu, qualifiant Benyamin Nétanyahou de « génocidaire ». Soutien historique du Hamas, qu’il considère comme une « organisation de libération », le « reis » turc a tenté de galvaniser sa base islamo-nationaliste tout en confortant une majorité de l’opinion très sensible à la question palestinienne.

Mais l’édifice s’est, peu à peu, fissuré. Lorsque le président a rappelé en novembre l’ambassadeur de Turquie en Israël, il a ajouté toutefois qu’il jugeait impossible de « rompre complètement » avec Tel-Aviv. Des voix se sont alors élevées contre ce qu’elles appellent le double discours de l’exécutif.

Avec la campagne des municipales du 31 mars, les critiques se sont intensifiées. Plusieurs meetings du président ont été perturbés par des manifestants critiquant le positionnement du pouvoir sur la guerre à Gaza. Selon de nombreux commentateurs, cette colère a contribué à la défaite historique du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation du président, dans les urnes. Ex-allié de la coalition gouvernementale, le parti d’extrême droite islamiste Yeniden Refah (Parti du bien-être social, YRP), a fait une percée lors de ces élections en surfant notamment sur ce thème. En prônant une rupture totale des liens avec Israël, son dirigeant, Fatih Erbakan, a indéniablement participé au bon score de cette jeune formation désormais à la tête de deux villes jusqu’alors dirigées par l’AKP.

Manifestations

Encore ces derniers jours, plusieurs manifestations ont eu lieu dans différentes localités. Samedi, en plein cœur d’Istanbul, l’intervention violente des forces de l’ordre a suscité un vif émoi. Des images montrant une policière gifler une manifestante voilée ont fait le tour des réseaux sociaux et provoqué l’ire de l’opposition. Selon Metin Cihan, journaliste indépendant, recensant sur son compte X les navires transitant des ports turcs vers Israël, la décision de restreindre les exportations est due notamment à « la peur des manifestations attendues dans tout le pays lors de la prière de l’Aïd ».

Israël a immédiatement réagi à la décision turque qui, selon le gouvernement, constitue « une violation des accords commerciaux » bilatéraux. Des mesures de rétorsion ont été annoncées. Le chef de la diplomatie Israël Katz a demandé de dresser une liste de marchandises supplémentaires qu’il cessera d’importer de Turquie. Israël mobilisera, a-t-il précisé, « des pays et des organisations pro-Israël aux Etats-Unis » pour les convaincre de ne plus investir en Turquie.

Ces dernières années, le pays était devenu un exportateur clé vers Israël. En 2023, avec plus de 7 milliards de dollars (6,5 miliards d’euros) d’exportations, la Turquie s’est classée au cinquième rang derrière la Chine, les Etats-Unis, la Suisse et l’Allemagne, selon la base de données douanières Trade Data Monitor.

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