Marche blanche à Paris : «En tant que Kurdes, c’est important d’être ici» – Libération/Antoine Gallenne

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« Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées ce lundi à la mi-journée en hommage aux trois membres de la communauté tués lors de l’attaque raciste de vendredi. Les participants ont pointé la politique d’Erdogan et dénoncé un acte terroriste » dit Antoine Gallenne dans Libération du 26 décembre 2022.

«Quand on est kurde, on n’est pas en sécurité.» Mazlum, casquette sur la tête et café à la main, se recueille dans le centre culturel Ahmet-Kaya. Le jeune homme a fait le déplacement depuis Rennes pour participer à la marche blanche parisienne de ce lundi midi, en hommage aux trois Kurdes tués ici même vendredi. «Je suis parti ce matin avec mes frères pour être là à temps. En tant que Kurdes, c’est important d’être ici», précise Mazlum, en France depuis vingt ans. En face, dans la grande salle, un mémorial a été érigé. Plusieurs bougies et des photos des victimes, Mir Perwer, Emine Kara et Abdurrahman Kizil, sont exposées. Le suspect de ce triple meurtre, un retraité français de 69 ans ouvertement raciste, a été mis en examen ce lundi et incarcéré.

Nombreux sont ceux qui, les yeux embués, se prennent dans les bras. Les regardstombent dans le vide et les larmes coulent. Près de l’entrée du centre culturel, une trentaine de personnes regardent la chaîne de télévision kurde Medya TV. C’est le cas de Bejna qui, devant les images, réclame «plus d’actions de la part de la France à l’égard des Kurdes», car «ils ont combattu Daech auprès de la France». Quelques minutes plus tard, la jeune femme rejoint le cortège. Il est 12h30 et au 16, rue d’Enghien, la marche blanche débute tout juste, en direction de la rue Lafayette, là où trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avaient été tuées le 9 janvier 2013 à Paris.

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Au milieu de la foule, une marée de drapeaux du PKK rythme l’avancée du cortège. Certains représentent Abdullah Ocalan, leader de l’organisation, d’autres affichent les visages des victimes de 2013. Micro à la main, le porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDKF), Agit Polat, explique ne pas croire à la thèse d’un tireur isolé : «Le motif raciste de cet acte ne peut pas seulement être retenu. Nous savons très bien que c’est un attentat terroriste.»

A coup de «Erdogan assassin» ou de «Terroriste Erdogan», de nombreux militants scandent des slogans contre le président et le régime turcs, en conflit avec le mouvement de libération kurde. «C’est l’Etat turc qui est derrière tout ça», assène un homme à la barbe poivre et sel qui préfère garder son anonymat par peur des représailles. Ici, personne ne veut croire à un assassinat commis par un auteur isolé, piste privilégiée par les premiers éléments de l’enquête.

Le cortège s’avance au son de musiques de Mir Perwer, chanteur tué lors de la fusillade de vendredi. Vedat Allak, professeur de musique au centre culturel kurde, joue du daf, un tambour traditionnel : «Pour nous, les artistes kurdes, jouer est une façon de résister.» A ses côtés, plusieurs musiciens grattent les cordes de leur tambûr, un instrument dont les sonorités émeuvent Geneviève : «Je suis ici en tant que citoyenne du monde», glisse la sexagénaire, profondément touchée, avant d’ajouter qu’elle «se sent tout de même un petit peu seule». Après plusieurs rassemblements organisés vendredi et samedi à Paris, Bordeaux et Marseille, cette marche blanche a essentiellement mobilisé les Kurdes. Si quelques drapeaux de militants du Nouveau Parti anticapitaliste flottent dans le ciel grisâtre, les politiques sont absents. Sur le parcours, des curieux ouvrent toutefois leurs fenêtres du haut de leurs appartements. A la fenetre du cinquième étage d’un immeuble, une femme visiblement émue se prend la tête dans les mains. Du côté des commerçants du coin, la solidarité est de mise, à l’image de Zouhir, employé d’une crêperie de la rue du faubourg Saint-Denis, près du centre culturel. «Je suis algérien, mais aujourd’hui, tout le monde est kurde», déclare-t-il avant de filmer le cortège avec son téléphone.

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A l’issue d’une minute de silence au 147, rue Lafayette, les poings et drapeaux levés laissent place à la pluie. Un symbole pour Berivan Firat, porte-parole du CDKF : «Pour les Kurdes, quand il pleut lors d’un mariage, on dit que c’est le ciel qui pleure. Aujourd’hui, c’est parce que des Kurdes ont été assassinés.»

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Libération, 26 décembre 2022, Antoine Gallenne, Photo/Julien De Rosa/AFP

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