Séisme en Turquie : la permaculture, une voie pour reconstruire – Mariane Demers-Lemay / REPORTERRE

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Après la perte de proches dans le séisme ayant dévasté la Turquie et la Syrie le 6 février, un couple de producteurs turcs mise sur la permaculture comme voie de guérison et de résilience, rapporte Miriane Demers-Lemay dans Reporterre du 23 février 2023.

Parmi les milliers d’édifices qui se sont écroulés comme des châteaux de cartes en Turquie le 6 février, il y avait celui qui hébergeait la famille de Sinan Karabağ, dans la ville d’Adıyaman, dans le sud du pays. La catastrophe a fauché la vie de onze membres de sa famille, incluant ses sœurs et ses neveux. Six d’entre eux étaient des enfants. « J’ai dû identifier les corps, et ces images ne cessent de repasser en boucle devant mes yeux », témoigne-t-il, les yeux brillants d’émotion.

Après s’être rendu sur les lieux du drame, il est désormais de retour dans la petite oasis de paix et de verdure où il vit avec sa femme et ses enfants. Sur un petit hectare, poules et canards côtoient les moutons ; arbres fruitiers, ruches et potager parsèment le jardin. Difficile de croire que nous sommes à quelques mètres de l’agitation des boulevards d’Antalya, cinquième agglomération urbaine du pays située sur la côte turquoise de la Turquie, qui accueille désormais les rescapés du séisme.

Près de la table de pique-nique, les plants de brocoli s’épanouissent sous le doux soleil méditerranéen. Quelques ruches ont été posées près des citronniers et des pamplemoussiers. Dans leurs enclos, les poules caquettent et les moutons bêlent. Un chien prêt à jouer tire sur sa laisse. Un chaton lorgne sur les assiettes de biscuits et de feuilles de vigne farcies posées sur la table.

« Ma motivation est encore plus grande »

Depuis environ quatre ans, Sinan Karabağ et sa compagne Nermin Avcı Karabağ font partie des rares pionniers de la permaculture dans ce pays où l’agriculture intensive est reine. Que ce soit avec leur consommation d’aliments sains, leur utilisation de l’eau, leur façon de vivre minimaliste, ils réinventent leur mode de vie en accord avec cette approche s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes naturels.

Après la pandémie de Covid-19, et maintenant la catastrophe secouant la Turquie, la permaculture — et l’autonomie alimentaire qu’elle permet — s’avère d’autant plus pertinente, insiste le couple. « Dans les zones sinistrées, tous les commerces sont fermés, il n’y a pas de nourriture ni d’eau, observe Nermin Avcı Karabağ. Tu as beau avoir beaucoup d’argent, tu ne peux pas manger des billets. »

Malgré l’écrasant sentiment de deuil et l’incertitude de l’avenir qui les animent, la permaculture constitue une lumière qui motive le couple à avancer. « Je suis allé porter du matériel à Adiyaman, mais à mon avis, la vraie aide que je peux apporter est liée à la création d’un mode de vie alternatif, dit Sinan Karabağ avec conviction. On redonne l’importance aux villages, à la terre. Face à la colère, je vais travailler encore plus fort. Ma motivation est encore plus grande. »

Un mode vie alternatif

Dans leur petite oasis, le couple accueille parfois des volontaires souhaitant parfaire leurs connaissances en permaculture. Ils ont déjà, par exemple, organisé des ateliers sur le compostage. Avec d’autres familles, ils souhaitent créer un écovillage dans les montagnes. Malgré leur douleur, ils discutent de leur démarche pour en inspirer d’autres.

« Les gens ont perdu leur famille, leur maison, ils doivent recommencer de zéro. Mais où, comment ? réfléchit Nermin Avcı Karabağ. A-t-on besoin d’autant d’édifices, d’autant d’étages ? »

Pour la famille Karabağ, la permaculture est sans aucun doute une voie d’avenir pour mieux repenser le pays, mais aussi pour surmonter cet immense deuil collectif. Le bilan des victimes, qui ne cesse de s’alourdir, a dépassé les 45 000 morts en Turquie et en Syrie.

« Quand tu caresses les animaux, une énergie positive t’est transmise, croit Nermin Avcı Karabağ. Maintenant que nous vivons une grande souffrance, nous pouvons guérir, notamment en travaillant la terre. »

Miriane Demers-Lemay dans Reporterre du 23 février 2023.

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